Il n'est pas question aujourd'hui de réinventer des politiques [...] décidées par le législateur et affinées par des propositions récentes. Elles ont avant tout besoin de continuité. Mais il faut, à propos de chacune d'elles, mettre en valeur la référence à l'indivisibilité des droits » des personnes en situation de précarisation et d'exclusion, affirme la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) dans un avis rendu le 23 juin (1). Car, pour l'instance, « une lutte effective contre la pauvreté passe certes par une meilleure garantie des droits dits « sociaux », mais aussi, indivisiblement, par celle des droits civils, politiques et culturels ».
Le document fait tout d'abord le tour des facteurs dominants de l'exclusion, en particulier la mise à l'écart du circuit productif. Il s'attarde ensuite sur les « manifestations non économiques de l'exclusion » - difficultés rencontrées dans les relations privées ou en tant que consommateur, rapport à la vie publique et à la cité... - qui « mettent en lumière le rôle du travail comme facteur du lien social ». « Parce que le droit au travail n'est pas isolé des autres droits (sociaux, culturels, civils et politiques), redonner un emploi, c'est souvent restituer la capacité réelle de faire des projets personnels en matière de santé, de logement... », souligne l'avis. Qui en conclut que, « dans ces conditions, la stratégie de l'assistance , c'est-à-dire notamment celle d'une déconnexion totale des revenus minima par rapport au travail, risque non seulement de ne pas lutter contre les exclusions mais au contraire de figer les exclus dans une marginalité dévalorisante ». La sortie de la précarité et de l'exclusion passe donc « fondamentalement », indique la commission, par les processus de retour à l'emploi et par l'accès à un statut de travailleur reconnu. Mais, regrette-t-elle, l'efficacité des politiques en la matière « est obérée par des logiques contraires, qui maintiennent dans la précarité et dans l'exclusion les bénéficiaires de ces efforts ». Ainsi, « les mesures destinées à rompre la dépendance créée par l'assistance peinent d'autant plus à trouver leur efficacité qu'elles se bornent parfois à poser une obligation de travailler en sous-estimant les difficultés d'accès au travail des personnes en situation d'exclusion », explique la CNCDH, qui souligne également la « nécessité de ne pas pénaliser le retour au travail , de garantir que le travail, même à temps partiel, permette de franchir le seuil de pauvreté et de rendre les revenus plus sûrs et plus prévisibles pour les familles en difficulté ».
Autre cause majeure d'inefficacité des politiques : « la parcellisation des responsabilités au stade de [leur] mise en œuvre et [de leur] suivi », notamment dans le cas des politiques territoriales de l'emploi. Mais encore « le déficit d'échelons de synthèse tant dans l'écoute des personnes concernées et des associations que dans l'arbitrage politique lato sensu ou enfin dans la conduite des actions de terrain ». Aussi la commission plaide-t-elle, dans un premier temps, pour une meilleure connaissance du terrain, ce qui passe par une écoute plus attentive des personnes vivant les situations d'exclusion et de précarité, mais aussi par un renforcement des outils de mesure et d'analyse de ces situations. Dans ce cadre, elle suggère notamment qu'une attention particulière soit portée aux personnes nées dans la pauvreté ou en situation d'exclusion durable, ces dernières nécessitant une véritable construction, différente du processus de reconstruction. Autre axe de travail : la reconnaissance des personnes exclues, qui doivent être plus impliquées dans les processus de décision qui les visent, ce qui nécessite « sans aucun doute la mobilisation de moyens en temps et en personnels, mais aussi le développement de procédures (telles que la co-élaboration, la co-formation...) permettant une participation effective des intéressés ».
L'instance insiste aussi longuement sur la responsabilité des politiques. D'ailleurs, sur ce point, elle s'inquiète, tout comme les acteurs professionnels, syndicaux et associatifs, de « certains développements de la décentralisation porteurs d'un risque de désengagement de l'Etat, alors que l'Etat démocratique doit rester le garant de l'effectivité de l'accès aux droits pour tous et veiller aux équilibres budgétaires ». Un effort de clarté et d'effectivité des responsabilités, notamment politiques et administratives, doit ainsi être fait (2). Au-delà, les transformations des rapports économiques et sociaux nécessitent également un effort d'adaptation des instruments normatifs protégeant les droits sociaux mais aussi, dans la conduite des actions publiques, un souci global de « développement social durable » . La Commission nationale consultative des droits de l'Homme rappelle ainsi qu'il convient de développer des actions de promotion familiale, sociale et culturelle car, « si l'indivisibilité des droits est l'objectif, l'égale dignité le fondement des droits, il s'agit bien de l'accès au droit commun de tous et non de droits minimum ». Dernière recommandation : faire de l'effectivité des droits un objectif des politiques. Outre la sécurisation des ressources des personnes en grande difficulté, cela suppose une meilleure effectivité des garanties des droits, laquelle implique en particulier le renforcement des voies de recours. La CNCDH relève par exemple que les moyens d'action de l'inspection du travail sont « dramatiquement » hors de proportion avec le rôle qu'elle pourrait jouer pour assurer la régularité des processus de décision affectant l'emploi. Ou encore qu'il est « urgent » d'améliorer les conditions d'accès des « exclus » à la justice, ce qui suppose entre autres le renforcement de la formation des magistrats à la connaissance et à l'application des normes internationales protectrices des personnes en situation de précarité et d'exclusion.
F.T.
(1) « L'indivisibilité des droits face aux situations de précarisation et d'exclusion » - Avis de la CNCDH du 23 juin 2005 - Prochainement disponible sur
(2) Il convient plus généralement, selon la CNCDH, de prendre en compte et d'articuler l'ensemble des responsabilités « de terrain », qu'elles soient économiques (responsabilité sociale des entreprises et surtout des groupes d'entreprises par rapport au destin de leurs filiales), étatiques (intervention des autorités locales de l'Etat, des tribunaux de commerce), politiques (implication des élus dans les politiques de maintien de l'emploi, de réinsertion, de lutte contre les discriminations et les exclusions) ou associatives (distinction entre les rôles de représentation des intéressés et de participation à la gestion des services publics sociaux).