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« Il faut réhabiliter la fonction politique des administrateurs »

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Les associations gestionnaires ont su prendre le virage de la professionnalisation, mais ont-elles pour autant su conserver leur dynamique fondatrice ? Affrontant une véritable crise de l'engagement des administrateurs bénévoles, elles sont désormais dos au mur. Pour Thibault d'Amécourt, directeur de l'Uriopss Picardie et membre du pôle « vie associative » de l'Uniopss, leurs dirigeants doivent retrouver la dimension politique de l'association.

Actualités sociales hebdomadaires : L'Uniopss appelle à une nouvelle gouvernance associative. Y aurait-il péril en la demeure ?

Thibault d'Amécourt : Les associations du secteur social et médico-social connaissent une succession d'effets pervers. Le premier tient à la perception qu'ont les autorités de contrôle des associations gestionnaires, qu'elles considèrent essentiellement comme des prestataires, et au fait que les associations elles-mêmes se sont installées dans cette logique. Nous avons par exemple demandé à des membres du réseau de l'Uniopss et des Uriopss de travailler sur leur identité associative, puis de mesurer les écarts qui existaient entre les valeurs revendiquées et la pratique quotidienne. Il est apparu qu'un grand nombre d'entre eux se situaient davantage comme des gestionnaires d'équipements que comme des représentants d'associations portées par un projet politique de transformation sociale.

Le second effet pervers tient au renforcement de l'encadrement législatif et à la montée de la judiciarisation de la société. Ce contexte très lourd a incité les administrateurs des associations à se focaliser sur la gestion, au détriment de la dynamique interne de l'association. Aujourd'hui, nous constatons un appauvrissement de la vie démocratique à l'intérieur des associations et une composition des conseils d'administration très « notablière » et pyramidale, rendant l'engagement d'autant moins attractif pour les jeunes. Quant à ceux qui souhaitent néanmoins s'investir dans la vie de l'association, le poids de la responsabilité est devenu tel qu'ils préfèrent rester dans un bénévolat actif plutôt que s'impliquer à un niveau décisionnel. Résultat : on assiste à une désertification des conseils d'administration. De plus en plus de dirigeants associatifs déplorent le petit nombre d'administrateurs investis. Nous ressentons des difficultés très vives au niveau de la succession des conseils d'administration de la plupart des associations.

Comment peut-on redresser une telle tendance ?

- Le soubresaut de la vie associative passe par la redécouverte de l'identité des associations. Avant de faire, vous avez à être. Ce qui nous renvoie à l'instrumentalisation des associations par les pouvoirs publics et au combat à mener pour repositionner la vie associative comme une donnée déterminante de la vie de notre société, non plus en tant qu'instrument des politiques mais en tant que lieu créateur de lien social. Il faut retrouver cette fonction d'acteur de la collectivité, qui représente le fondement de la vie associative, et mieux l'articuler avec les réponses techniques.

Cette grande famille associative du secteur sanitaire, social et médico-social a dû s'engager dans une professionnalisation, certes légitime, mais qui a déteint sur les conseils d'administration en entraînant une recherche systématique de dirigeants techniciens. Face à cette situation, il nous faut favoriser la prise de conscience que la réhabilitation de la fonction politique des administrateurs est nécessaire, en même temps que le repositionnement de l'association dans son environnement.

Les associations doivent sortir de l'ère de la cohésion, qui leur faisait constituer des conseils d'administration entre amis autour d'un dirigeant charismatique, pour passer à l'ère de la cohérence et de la formalisation de leur projet.

A travers des actions de formation ou d'accompagnement de conseils d'administration, nous voyons que la remise à plat du projet associatif réveille un nouveau dynamisme. La mobilisation qui s'effectue permet d'échanger sur les valeurs partagées, de poser les projets, et de redynamiser le conseil d'administration. C'est un peu comme si le groupe prenait le pas sur la personne et devenait garant de la pérennisation de l'esprit de fondation. Ce retour sur l'histoire et les valeurs partagées éclaire le rôle de chacun, puisque finalement nous sommes confrontés à des administrateurs embourbés dans la gestion, qui souvent ne savent pas ou plus quel est leur champ de compétences, et qui ont oublié que ce n'était pas au directeur de fixer les orientations politiques, mais bien à eux.

La montée de la judiciarisation est, selon vous, une des raisons du désengagement des administrateurs. Par quel moyen « pacifier » leur fonction ?

- En définissant clairement la place des différents acteurs et leur participation dans l'association... Le projet associatif et sa traduction dans les statuts forment le socle de l'organisation interne. Plus la place et le rôle de chacun seront formalisés et plus il sera facile d'anticiper les éventuels risques. Ensuite, tout dépend de l'histoire de l'association et des problèmes auxquels elle est confrontée. Une voie parmi d'autres consiste à revisiter son mode de gouvernance, traditionnellement fondé sur le binôme conseil d'administration-bureau exécutif. Dans certaines grosses associations gestionnaires, ce schéma classique fonctionne mal, car il distingue trop peu le rôle de chacun. Une piste juridique, sur laquelle travaille l'Uniopss, consisterait à substituer un autre binôme constitué d'un conseil de surveillance et d'un directoire. Dans ce montage, issu du domaine marchand, le conseil de surveillance permettrait aux administrateurs de fixer les orientations politiques de l'association, à la manière d'un gardien du projet associatif, tout en restant absent de la gestion opérationnelle. Quant au directoire, son rôle purement opérationnel l'amènerait à appliquer les orientations politiques fixées par le conseil de surveillance. L'un des avantages de ce système, clairement cloisonné, serait d'offrir une meil-leure visibilité aux personnes souhaitant s'engager dans l'association. Celles attirées par la dynamique du projet iraient plus facilement vers le conseil de surveil-lance ; celles que la dynamique opérationnelle intéresserait se tourneraient vers le directoire. On peut aussi imaginer que, dans la composition du directoire, puisse figurer le directeur salarié sous certaines conditions. Voire que des groupes de travail réunissant administrateurs et techniciens y soient associés sur des thématiques transversales rejoignant les valeurs du projet de l'association et permettant d'intégrer la parole des salariés.

Mais quel que soit le cadre d'intervention retenu, la position de l'administrateur est clarifiée dès lors que des passerelles sont posées entre bénévoles et salariés et que la parole circule dans l'association. Tout l'art consiste à s'assurer qu'aux côtés du groupe des administrateurs bénévoles et du président, se trouve un directeur salarié en situation de diriger, sans que se crée de fracture entre le lieu politique et le lieu de l'action.

A travers ce prisme de la responsabilité, n'est-ce pas aussi la question de l'acceptation du risque qui est posée ?

- Il existera toujours des règles et des contraintes, donc des risques de franchissement. Pour répondre sur le fond, j'emprunterai à Jean-Baptiste de Foucauld (1), qui dit qu'on oppose trop souvent la culture de la résistance, celle de la régulation et celle de l'utopie. En ce qui concerne la vie associative, on a beaucoup développé, dans les conseils d'administration, la culture de la régulation, tout en laissant ce qui était fondateur, c'est-à-dire la culture de la résistance, et en ne travaillant pas suffisamment sur la culture de l'utopie. De ce fait, ce n'est pas l'une ou l'autre qu'il faut choisir, mais les trois en même temps. Et peut-être avec des personnalités différentes au sein des conseils d'administration. Se retrouvera alors cette dimension du risque, mais un risque d'autant plus acceptable qu'on sait pour quelle utopie il est pris et qu'on se situe dans une forme de résistance. Il faut pouvoir redonner cette audace à des militants afin que les lois évoluent par la suite, comme cela s'est produit pour les maires avec différents textes venus récemment atténuer leurs responsabilités.

Devant l'augmentation des exigences techniques, y a-t-il encore une place pour les bénévoles de terrain ?

- Certaines associations ont évolué vers une telle professionnalisation des salariés qu'elles n'ont plus besoin de faire appel à des bénévoles pour des missions de proximité. Il n'est pas rare de rencontrer des dirigeants associatifs, pourtant eux-mêmes bénévoles, qui n'ont jamais exprimé le besoin de faire appel à des militants de terrain pour accompagner les usagers des services gérés par l'association. En réalité, plus l'accent était mis sur la professionnalisation, plus la dimension bénévole devait trouver une place nouvelle. Au point que cette place suscite d'abondants débats chez les professionnels qui craignent une captation de leurs emplois.

Dès lors, comment encourager le recours au bénévolat ?

- Il faut travailler avec les directeurs d'établissements et de services, ainsi qu'avec les directeurs généraux, sur l'appartenance à la famille associative. Trop de directeurs font fi de cette culture associative. Aujourd'hui, il est urgent de retrouver dans nos structures ces hommes et ces femmes qui s'engagent dans la vie associative un peu comme on refait le monde. C'est ce mélange de fonctions, de positions et de regards qui rend passionnante la vie d'une association et assure son renouvellement. Encore faut-il qu'on reconnaisse aux associations la nécessité de dégager des moyens pour ces bénévoles, et que les pouvoirs publics acceptent d'accorder des fonds au-delà du seul financement des actions. Il est de la responsabilité de la société d'encourager le bénévolat. C'est pourquoi nous demandons une augmentation des crédits du Fonds national de développement de la vie associative, afin de former et de fidéliser les bénévoles, qu'ils soient administrateurs ou de terrain, et de les faire évoluer dans leur parcours militant. C'est aussi à cette condition que l'engagement associatif redeviendra productif et attrayant.

Propos recueillis par Michel Paquet

UNE RÉPONSE ASSOCIATIVE SANS TABOU

Plusieurs réflexions sont conduites au sein du réseau de l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) pour adapter l'appareil associatif sanitaire et social aux défis qui se posent à lui. C'est ainsi que les dirigeants d'associations sont invités à engager une dynamique d'auto-évaluation. Un guide d'analyse (2) leur est proposé pour les aider à mettre en cohérence leurs pratiques au quotidien avec les valeurs qui les animent (solidarité, non-lucrativité, primauté donnée à la personne accueillie ou suivie), et qui se retrouvent dans leur projet associatif. Les associations peuvent être aidées dans cette démarche par des « accompagnateurs » formés au sein du réseau. Par ailleurs, l'Uniopss travaille sur les conséquences des activités économiques réalisées par les associations sanitaires et sociales. Dans ce cadre sont évoquées les questions du mode de gouvernance ainsi que des différentes formes juridiques que peuvent prendre les activités associatives. On notera l'absence de tabou sur les pistes suivies :mutualisation de moyens entre associations, opérations de fusion, sectorisation, expérimentation de sociétés coopératives d'intérêt collectif dans l'économie sociale permettant à certaines associations de réorienter leurs activités.

Notes

(1)  In Les trois cultures du développement humain, Jean-Baptiste de Foucauld, Ed. Odile Jacob, 2002.

(2)  L'ambition associative - Guide pour interroger nos pratiques - Septembre 2003 - Uniopss : 133, rue Saint-Maur - 75541 Paris cedex 11 - Tél. 01 53 36 35 00.

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