Comment un centre de formation en travail social, organisme d'une association ancrée dans l'éducation populaire, intègre-t-il la mise en place d'une démarche qualité et du mode managérial qui l'accompagne ?Au prix, visiblement, de grandes difficultés, comme le montre Yvan Grimaldi, animateur et responsable de formation d'aides médico-psychologiques dans cet institut. Tout au long des trois années qui aboutiront à la certification Qualité ISO 9001 du centre, les nombreuses transformations suscitées par l'introduction de la démarche - dans les procédures, les terminologies, les relations hiérarchiques et interpersonnelles, les modes d'évaluation des formations - ont, en effet, déclenché de multiples formes de résistance chez les salariés, pourtant au départ plutôt mobilisés par le projet. Cette longue opposition collective finira cependant par se dissoudre dans la routine des procédures à remplir et le rythme régulier des audits internes et externes. Mais elle s'est aussi soldée par le départ de plusieurs responsables de formation :pour eux la démarche ISO a sonné le glas du maintien de la place du formateur au centre du dispositif de formation. De fait, « avec la qualité, le système et l'organisation prenaient plus d'importance que la personne de l'enseignant et la relation pédagogique construite sur ses savoirs et son parcours », explique l'auteur.
Yvan Grimaldi élargit ensuite son champ de vision :dans le cadre de son DSTS, il a réalisé une enquête qualitative auprès de huit formateurs ou responsables de formation en travail social exerçant dans d'autres établissements (IRTS, centre associatif) ayant aussi mis en place différents types de démarches qualité. Quels remaniements identitaires le management par la qualité a-t-il occasionné chez ces formateurs ? Un clivage net s'établit entre les professionnels issus du travail social (éducateurs spécialisés, animateur) et les autres (infirmière psychiatrique, juriste, universitaires) :les premiers sont se sentent les plus menacés par l'introduction de démarches qualité et s'y montrent le plus opposés. Viennent ensuite, par ordre décroissant de réticences, les formateurs qui ne possèdent pas de diplôme du secteur mais y ont travaillé, puis ceux qui ne revendiquent aucun héritage dans la culture ou la pratique du travail social. Cette symétrie entre résistance et appartenance montre que les travailleurs sociaux au profil traditionnel ne limitent pas leur critique des démarches qualité à l'aspect technico-procédurier des outils qu'elles proposent de développer. Pour eux, dont l'entrée dans le métier a une forte dimension militante, le plus inquiétant est le discours des chantres de la qualité qu'ils assimilent à une véritable idéologie gestionnaire. Leur refus s'explique aussi par l'expérience de précédentes désillusions, la qualité apparaissant, après la gestion par projets ou par objectifs, comme l'ultime avatar d'une quête éperdue de performance. Or les cadres qui ont initié une démarche qualité dans les centres de formation étudiés ne semblent pas avoir anticipé ce type de réactions. « Après avoir repéré du vide provoqué par une certaine crise des valeurs et des appartenances dans le travail social », ils ont cru pouvoir bâtir sur ce désenchantement à coup de « mots artificiellement mobilisateurs », souligne l'auteur. C'était sans compter sur le fait qu'on ne peut limiter la réflexion à un système technique d'organisation matérielle et administrative optimale, sans prendre en compte les qualités - intellectuelles, relationnelles, pédagogiques - du formateur, partie intégrante de la qualité recherchée.
Démarches qualité et identité professionnelle en conflit. Quand le management par la qualité s'impose à des formateurs en travail social - Yvan Grimaldi - Ed. L'Harmattan -17,50 €.