Recevoir la newsletter

Parole d'usager contre parole de salarié : nouveau risque pour les professionnels ?

Article réservé aux abonnés

Il est nécessaire de trouver un équilibre entre les droits des usagers - renforcés par la loi du 2 janvier 2002 - et ceux des salariés des institutions. Il en va de la qualité du climat social dans les établissements, et donc de celle de l'accompagnement des publics accueillis, défend Marie-Thérèse Lorans, directrice d'un EHPAD à Rennes, la Maison Saint-François.

« Les affaires médiatisées - et celles qui ne le sont pas -, la mobilisation des associations, la production d'études spécialisées mettent peu à peu au jour l'impérieuse nécessité de lutter contre les mauvais traitements à l'égard des personnes fragiles, et particulièrement des personnes très âgées accueillies en établissement.

La loi du 2 janvier 2002 rénove l'action sociale en renforçant les droits des usagers. C'était indispensable. La prévention et la lutte contre la maltraitance sont des priorités nationales, tant mieux, et une circulaire du 30 avril 2002 renforce les procédures de traitement des signalements de maltraitance dans les établissements sociaux et médico-sociaux (1). Le citoyen ne peut que se féliciter de la fissuration progressive de la chape qui couvrait trop souvent des pratiques d'un autre âge, dites "professionnelles" mais qui ne l'étaient en rien.

Une fois dépassée la prise de conscience et acquise la connaissance théorique des règles à respecter et des dispositifs à activer, on s'aperçoit que la mise en œuvre sur le terrain soulève moult questions et difficultés, qui peuvent déboucher, si on n'y prend garde, sur de nouveaux risques pour les professionnels compétents. Risque lié aux pressions psychologiques, risque de détérioration de l'estime de soi avec toutes les conséquences personnelles qui peuvent en résulter, risque de perte immédiate d'emploi... Tous les salariés dans les établissements pour personnes âgées, de l'agent de service au directeur, peuvent y être confrontés.

Renforcer la parole de l'usager et de la famille est indispensable à la construction des dispositifs individuels d'accompagnement. S'inscrire dans une démarche de qualité est impératif. Mais répondre aux attentes toujours croissantes des résidents et de leurs familles avec un ratio de salariés de l'ordre de 0,40 (4 salariés pour 10 résidents) après signature d'une convention tripartite, relève souvent de la gageure et conduit à une prise de risque permanente. Tout dysfonctionnement de l'institution pouvant être qualifié de "maltraitant ", faut-il, par précaution, engager d'une part la procédure de signalement, et d'autre part la faire suivre sans délai d'une sanction disciplinaire préventive ? Telle semble être la marche à suivre préconisée par les administrations déconcentrées : dénoncer systématiquement les faits de mauvais traitements dont on a connaissance et sanctionner immédiatement le salarié.

Code pénal contre code du travail

Il est - malheureusement - des cas où le respect de la consigne s'imposera de toute évidence. Pour d'autres, et ce sont ceux-là qui préoccupent, l'évidence sera moins flagrante. Faudra-t-il procéder de la sorte lorsqu'une personne âgée se plaindra d'un salarié sans apporter le moindre commencement de preuve, que le salarié ne reconnaîtra absolument pas les faits reprochés et que les investigations des responsables ne déboucheront sur aucun élément probant ? Tel est bien le dilemme auquel sont confrontés les responsables. Des situations de cette nature sont suffisamment fréquentes dans des établissements où les personnes fragiles et désorientées sont de plus en plus nombreuses pour être préoccupantes.

C'est là que surgit un télescopage entre les dispositions pénales et le droit du travail.

Dans ce type d'affaires, le responsable procédera sans délai au signalement des propos que lui aura transmis le résident ou sa famille. En effet, l'article 434-3 du code pénal impose de dénoncer tout mauvais traitement sur personne vulnérable à l'autorité administrative ou judiciaire, le fait de s'en abstenir étant passible de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende. Charge ensuite à l'administration et au procureur de poursuivre, s'ils le jugent utile, leurs investigations. Celles-ci pourront déboucher sur le classement sans suite de la plainte ou sur une possible mise en examen, éventuellement complétée d'une condamnation pénale.

Au-delà de la procédure pénale, quelle stratégie adopter au regard du droit du travail ? La parole de l'un venant contredire celle de l'autre, faut-il sans délai sanctionner de manière "préventive" le salarié ? Concrètement, le responsable aura le choix entre une mesure expéditive mais "préventive" et une mesure conforme aux prescriptions du droit du travail par nature protecteur du salarié.

Au motif qu' "il n'y a pas de fumée sans feu ", la tentation pourra être grande d'engager immédiatement une procédure de licenciement pour faute grave privative de préavis et d'indemnité de licenciement. L'employeur laissera au juge prud'homal le soin de se prononcer sur le bien fondé de sa démarche et à l'administration la charge du financement des conséquences d'une décision qui, faute de s'appuyer sur des éléments de preuve incontestables, aura toutes les chances d'être qualifiée d' "abusive ". En effet, selon l'article L. 122-14-3 du code du travail, l'employeur doit fonder la rupture du contrat de travail sur un motif réel et sérieux dont il doit impérativement rapporter la preuve. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

L'art délicat de la motivation des équipes

A l'inverse, l'employeur conscient de ses prérogatives mais soucieux de ses responsabilités s'inscrira dans le processus légal disciplinaire, sans doute contraignant mais protecteur du salarié. Le point crucial restera la preuve du motif dont il faudra démontrer le caractère réel et sérieux. Force est de constater que la parole de l'un (le résident), contraire à celle de l'autre (le salarié), ne suffira pas à atteindre l'objectif requis par les textes et conduira à l'impasse, quoi qu'en pensent les autorités administratives de contrôle des établissements médico-sociaux.

Ne faudrait-il donc pas accepter de moduler la portée de la parole de l'usager ? Sa force sera d'autant plus pressante qu'elle sera étayée d'éléments de preuve incontestables. Pour les cas où elle en sera totalement dépourvue, son impact devra être mesuré avec la plus grande précaution et inciter l'employeur, comme les autorités administratives et judiciaires à la plus grande prudence. En effet, adopter une pratique de "sanction préventive" a sans doute des avantages à très court terme, mais la lame de fond éventuellement provoquée par une injustice individuelle déstabilisera en profondeur le climat social de l'établissement. La motivation des équipes, sans cesse à renouveler, est un art délicat. Elle s'accommode très mal des mesures individuelles injustes et inappropriées.

L'injustice, source de violence

Donner un pouvoir absolu et sans nuance à la parole de l'usager aux dépens de celle des salariés et de la réglementation qui les protège contribue à détériorer le climat social, donc la qualité de la prestation servie aux usagers. Affirmer, comme peuvent le faire des services déconcentrés de l'administration sanitaire et sociale, que "la violence institutionnelle comporte tout ce qui donne prééminence aux intérêts de l'institution sur les intérêts de la personne accueillie " ne devrait-il pas être modéré par le fait que tout ce qui privilégie injustement et illégalement l'intérêt de la personne accueillie sur celui des salariés contribue également à cette violence ?

Le renforcement des droits des usagers ne peut faire l'économie du respect des droits des salariés. La qualité de la vie dans les institutions passe aussi par cet équilibre, qui doit permettre d'éviter de créer pour les seconds un risque professionnel supplémentaire. »

Marie-Thérèse Lorans Maison Saint-François : 30, canal Saint-Martin - CS 30612 - 35706 Rennes - Tél.02 99 14 40 80 - E-mail :maison.sf@wanadoo.fr.

Notes

(1)  Circulaire n° 2002/265 du 30 avril 2002 - Voir ASH n° 2262-2263 du 17-05-02.

TRIBUNE LIBRE

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur