Près de quatre ans après les sévices infligés à un détenu par ses deux co-détenus, le tribunal administratif de Rouen vient, dans un jugement du 26 mai 2005, de condamner l'Etat pour non-respect de l'encellulement individuel.
En 2001, un homme « souffrant d'alcoolisme » et se trouvant dans un « état psychologique dégradé » est placé, à la suite de la révocation partielle de son sursis avec mise à l'épreuve, dans une cellule avec deux autres détenus, l'un emprisonné provisoirement dans l'attente de son procès d'assises en appel, condamné, à l'époque des faits, à une peine de 11 années de réclusion criminelle pour avoir exercé des violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et l'autre incarcéré pour des faits de vol avec violences et de violences. Débutent alors pendant près de deux mois une série d'agressions à l'encontre de cet homme. Rasé de force, brûlé, aspergé de détergent la tête coincée dans la cuvette des toilettes, obligé d'absorber des quantités massives d'eau, le détenu est finalement hospitalisé à la suite d'un malaise.
Poursuivis pour ces faits, les deux agresseurs ont été condamnés par le tribunal correctionnel. Mais l'intéressé a cherché à faire condamner l'administration pénitentiaire pour faute de surveillance et de placement. Il a invoqué notamment le droit à un encellulement individuel. En effet, l'article 717-2 du code de procédure pénale énonce que « les condamnés sont soumis dans les maisons d'arrêt à l'emprisonnement individuel de jour comme de nuit [...]. Il ne peut être dérogé à ce principe qu'en raison de la distribution intérieure des locaux de détention ou de leur encombrement temporaire ou des nécessités d'organisation du travail. » La juridiction administrative a donné raison au plaignant, estimant que « le régime de droit commun de détention d'un détenu est celui de l'emprisonnement individuel et que celui à deux ou trois détenus par cellule ne constitue qu'un régime dérogatoire lequel impose à l'administration pénitentiaire, dans une telle hypothèse, de s'assurer que la promiscuité des détenus ne génère pas entre ces derniers de risques pour leur intégrité physique, sexuelle ou morale ».
En l'espèce, elle considère que ces conditions dérogatoires n'ont pas été démontrées. Elle retient, au surplus, le défaut de surveillance de l'administration pénitentiaire. Cette dernière ne pouvait, juge le tribunal administratif, « soutenir que rien dans le comportement [du détenu] ne permettait de suspecter les violences commises à son encontre dès lors qu'il résulte de l'instruction [qu'il] ne sortait pas en promenade, qu'il ne participait à aucune activité, que son état moral se dégradait et que son aspect physique s'était modifié, les deux co-détenus[...] lui ayant rasé le crâne contre sa volonté ». L'Etat est donc condamné à 3 000 € en réparation du préjudice moral.
C'est une petite victoire pour les organisations de défense des droits des détenus. Même si la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière, non applicable au moment des faits, a depuis discrètement vidé de son sens la règle de l'encellulement individuel en prévoyant son report de cinq ans « si la distribution intérieure des maisons d'arrêt ou le nombre de détenus présents ne permet par un tel emprisonnement individuel » (1) et a introduit d'autres dérogations à la règle.
(1) Voir ASH n° 2322 du 29-08-03. Toutefois, cette disposition s'applique aux personnes mises en examen, aux prévenus et accusés soumis à la détention provisoire. L'article 717-2 du code de procédure pénale joue, en revanche, à l'égard des condamnés à une peine privative de liberté placés en maison d'arrêt ou en établissement pour peines (dans ce cas, il s'agit seulement d'un isolement de nuit).