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Les centres d'aide par le travail dans la tourmente

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La logique comptable actuelle va-t-elle mettre en péril les centres d'aide par le travail, qui ont pourtant fait leurs preuves ? Malgré la volonté affichée du président de la République de faire du handicap un chantier prioritaire, les gestionnaires de ces structures de travail protégé dénoncent la diminution des financements publics qui fait peser des charges de plus en plus lourdes sur leurs comptes commerciaux. Ils craignent que soit dénaturée leur mission, à l'articulation du social et de l'économique.

Le flou. A lui seul, ce mot en dit long sur l'environnement des centres d'aide par le travail (CAT). Car si la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées comporte des avancées certaines et fait valoir les principes de non-discrimination et de choix d'un projet de vie, elle n'en suscite pas moins de nombreuses inquiétudes pour les responsables de ces structures.

En effet, son application est largement subordonnée à la parution de nombreux décrets. Pas moins de « 80 dispositions réglementaires sont attendues. Elles seront regroupées au sein d'une cinquantaine de décrets », chiffrait Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale à l'occasion du dernier congrès de l'Association nationale des directeurs et cadres de CAT (Andicat), qui regroupe près des deux tiers des responsables de ces structures (1).

Créés en 1954, les centres d'aide par le travail ont, selon la circulaire du 8 décembre 1978, « une double finalité : faire accéder, grâce à une structure et des conditions de travail aménagées, à une vie sociale et professionnelle, des personnes handicapées momentanément ou durablement incapables d'exercer une activité professionnelle dans le secteur de production ou en ateliers protégés ; permettre à celles d'entre ces personnes qui ont manifesté par la suite des capacités suffisantes de quitter le centre et d'accéder au milieu ordinaire de travail ou à un atelier protégé ». Tout en étant juridiquement des établissements sociaux, relevant des dispositions relatives aux institutions sociales et médico-sociales, les CAT sont aussi des structures de mise au travail et, en cela, se rapprochent des entreprises. Cette dualité est au cœur même de leur origine.

Le financement de ces structures se compose d'un compte social, alimenté par l'Etat, destiné à la rémunération des personnels et aux activités sociales, et d'un compte commercial - ou économique -alimenté par les prestations de services des travailleurs handicapés et la commercialisation du produit de leur travail. « Or le financement des CAT se réduit chaque année depuis plus de 15 ans et le compte commercial est toujours plus sollicité, mettant les CAT soit en déficit, soit en équilibre précaire », s'alarme Gérard Zribi, président d'Andicat.

Pour preuve, jusqu'en octobre 2003, date du décret budgétaire, comptable et financier pour les établissements et services sociaux et médico-sociaux, le compte économique ne devait payer que les salaires directs des travailleurs handicapés, les matières premières et les investissements professionnels. Or, dans sa version actuelle, le nouveau texte réglementaire prévoit aussi la participation des CAT, via leur compte commercial, au co-financement du siège social de leur organisme gestionnaire.

Charges brutes ou valeur ajoutée ?

Loin de remettre en cause l'intérêt des sièges sociaux et le fait qu'ils doivent disposer d'un financement suffisant pour assurer la création et la gestion d'établissements, les directeurs de centres d'aide par le travail sont très inquiets. Certains établissements ne pourront pas faire face à une telle charge. En effet, le calcul retenu est effectué sur les charges brutes des comptes commerciaux. Or Andicat a fait ses calculs : pour une association qui gère plusieurs CAT employant 300 travailleurs handicapés, la participation du compte économique devrait s'élever à 90 000 € par an. Si le calcul était établi sur la valeur ajoutée (chiffre d'affaires diminué des charges de production), la participation se monterait à 30 000 €, soit trois fois moins. Les gestionnaires ont donc multiplié les démarches pour obtenir, dans le cadre de la concertation interministérielle engagée autour du décret (2), que la contribution des comptes commerciaux aux frais de siège soit indexée sur la valeur ajoutée, ce qui, soulignent-ils, représente déjà une somme considérable. Reçu le 9 mai à la direction générale de l'action sociale, Gérard Zribi estime n'avoir obtenu aucune assurance que l'on revienne sur cette mesure. Pour lui, le mode de calcul retenu risque de provoquer des déficits structurels importants dans 85 % à 90 % des CAT (contre 20 % actuellement).

Autre problème de taille : la sortie du dispositif « 35 heures ». En l'absence de pérennisation du financement public ou d'un autre relais, faudra-t-il licencier 6 % des personnels d'encadrement ? Si tel était le cas, les gestionnaires redoutent une dégradation de l'accompagnement des personnes handicapées et l'apparition de conflits sociaux.

Le contexte économique général contribue également à rendre les comptes commerciaux des CAT très tendus, alors que, depuis plusieurs années, ils sont de plus en plus sollicités pour couvrir des dépenses autrefois financées par le budget social, comme certaines charges obligatoires liées à la rémunération des personnels d'encadrement. Dénonçant le désengagement de l'Etat et la logique de rationalisation des coûts, les responsables évoquent la menace d'un risque majeur : celle de voir s'opérer une sélection des travailleurs en CAT selon des critères de productivité à l'encontre de leur mission avant tout humaine et à l'articulation du social et de l'économique.

Des avancées à confirmer

La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (3) vient encore ajouter son lot d'inconnues. Certes, elle comporte de nombreuses dispositions en faveur des usagers, qui tendent à rejoindre celles de droit commun. Par exemple, elle ouvre aux travailleurs handicapés un droit à congés au sens large (congés payés, congés pour événements familiaux, pour enfants malades, congé parental d'éducation...) qui vient, surtout, conforter et officialiser des pratiques de terrain, jusque-là souvent inégales. Les travailleurs handicapés pourront avoir accès à des actions d'entretien des connaissances, de maintien des acquis scolaires et de formation. La validation des acquis de l'expérience (VAE) va également leur être ouverte, dans des conditions qui restent à fixer par décret. Cette loi instaure aussi un dispositif « passerelle » permettant aux personnes accueillies en CAT de signer un contrat avec un employeur du milieu ordinaire et de bénéficier, à l'initiative du CAT, d'une convention d'appui pour accompagner la transition entre le milieu protégé et le milieu ordinaire. Si cette intégration échoue, la loi prévoit un « droit au retour » en centre d'aide par le travail.

Par ailleurs, la loi de rénovation de l'action sociale et médico-sociale de 2002 préconise, pour les usagers, l'établissement d'un contrat de séjour. La loi du 11 février 2005 est venue préciser ce point. Ce contrat, qui doit être signé à l'entrée en établissement social et médico-social, aura la dénomination spécifique de « contrat de soutien et d'aide par le travail » pour les personnes admises en CAT.

Toutes ces mesures marquent assurément des avancées, bien que certaines d'entre elles soient encore soumises à la parution de textes d'application... Ce qui incite bon nombre de syndicats et d'associations, à l'image d'Andicat, à insister pour être consultés sur les différents projets de décrets afin de faire part de leur expérience et de leur expertise de terrain.

Ce qui inquiète, en revanche, c'est le statut financier des travailleurs de CAT. Jusqu'ici, leurs revenus se composaient de la garantie de ressources des travailleurs handicapés -composée d'un salaire direct versé par les centres d'aide par le travail et d'un complément de rémunération - et de l'allocation, à taux partiel, aux adultes handicapés, financée par l'Etat et versée par la caisse d'allocations familiales. Le nouveau système de rémunération s'annoncerait-il plus prometteur et plus important ? Là encore, seule la parution des décrets permettra de lever les inquiétudes et de clarifier le caractère pour le moins opaque de ce nouveau statut. La loi prévoit en effet la transformation de la garantie de ressources des travailleurs handicapés en une rémunération garantie versée par l'établissement ou le service d'aide par le travail. Pour la financer, les employeurs recevront, pour chaque personne handicapée accueillie, une aide au poste à la charge de l'Etat.

Cette aide sera-t-elle une réplique de la garantie de ressources ? Ce changement permettra-t-il d'améliorer le niveau des revenus des travailleurs handicapés, situé aujourd'hui entre 80 et 88 % du SMIC (garantie de ressources + allocation aux adultes handicapés)  ? « Cette aide sera-t-elle suffisante pour remplir les missions imparties ?, s'inquiète également Fernand Tournan, président de l'Association pour adultes et jeunes handicapés. Et si tel n'était pas le cas, faudra-t-il encore puiser dans les comptes commerciaux des CAT ? Cette aide au poste sera-t-elle plus motivante pour les travailleurs ? Car, à défaut, nous risquons fort de voir les effectifs des CAT diminuer », ajoute-t-il. D'autant qu'il apparaît déjà clairement que, pour les quelque 30 000 travailleurs possédant un habitat autonome, le faible niveau de rémunération actuel pose problème, certains envisageant même une entrée ou un retour en foyer d'hébergement, solution pourtant plus onéreuse pour la collectivité et moins favorable à l'intégration.

Dans un tel contexte, les gestionnaires des centres d'aide par le travail se sentent menacés. Leur ratio de personnel, toutes catégories confondues, est passé, ces 15 dernières années, de 1 professionnel pour 4 travailleurs handicapés à 1 pour 5,5. Ils ont souvent été contraints de financer sur les comptes commerciaux un poste, voire un poste et demi, d'encadrement. « Veut-on l'asphyxie des CAT ? », s'interroge Gérard Zribi, qui dénonce le décalage entre l'affirmation des droits des usagers et une logique comptable « irréaliste » qui ignore la réalité du fonctionnement des structures. Avec le risque, souligne-t-il, que la logique de défiance des autorités de contrôle à l'égard des gestionnaires ne tue toute créativité et tout esprit d'initiative. Pourtant, rappelle Gérard Zribi, « bien loin d'être des structures vermoulues, les CAT constituent l'un des meilleurs systèmes de travail protégé en Europe et expérimentent pour des populations défavorisées de nouveaux modes de production, d'échanges et de relation ».

Aliona Darzon

Notes

(1)   « Les CAT au bord de l'asphyxie ? Pour un rapport rénové avec les pouvoirs publics », les 16 et 17 mars 2005 à Paris - Andicat : 1, avenue Marthe - 94500 Champigny-sur-Marne - Tél. 01 45 16 15 15.

(2)  Rappelons que le Conseil d'Etat a rejeté les recours contre la première version du décret budgétaire et comptable - Voir ASH n° 2404 du 22-04-05.

(3)  Voir ASH n° 2394 du 11-02-05.

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