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Alerte propose un pacte aux partenaires sociaux

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Dix ans après sa naissance, le collectif Alerte change de braquet pour lutter contre l'exclusion : il invite les partenaires sociaux à agir davantage sur les politiques économiques et sociales, pour lancer une dynamique de prévention et en finir avec la « réparation » sociale.

La journée organisée par le collectif Alerte (1) le 26 mai au Conseil économique et social (CES) sera à la fois emblématique et stratégique : c'est dans cette maison de la représentation civile, où ont été votés les rapports du père Wresinski en 1985, de Geneviève Anthonioz-de Gaulle en 1995 et de Didier Robert en 2003, que le collectif associatif prévoit, dix ans après sa création, d'inviter les partenaires sociaux à « développer leur coopération pour lutter ensemble et préventivement contre l'exclusion ». Cette journée de travail, résultat de plusieurs mois d'échanges entre ses associations membres et les cinq plus grandes confédérations syndicales de salariés (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO), devrait se traduire par la signature d'un engagement commun à se concerter pour agir, au plan national et local, sur les politiques de l'emploi, de l'insertion, du logement et de la santé.

L'objectif est, en d'autres termes, de mettre sur pied l'articulation entre le social et l'économique qui fait encore défaut aujourd'hui. « Tant que les associations interviendront aux marges du système économique, ce qu'elles font depuis des décennies, nous n'arriverons pas à attaquer les racines de l'exclusion », explique Bruno Grouès, chargé de mission à l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) et coordinateur d'Alerte. Cette prise de conscience de la nécessité ne plus « sectoriser » la lutte contre l'exclusion, explique Marie-Thérèse Join-Lambert, présidente de la commission « Lutte contre la pauvreté et l'exclusion en France et en Europe » de l'Uniopss, est née de trois constats : « la déception occasionnée par le fait que la loi de 1998 contre les exclusions n'a pas réussi à réduire de façon durable et sensible la pauvreté, l'apparition de situations de misère dans des conditions indignes et le durcissement de l'opinion publique sur les précaires, avec une tendance à leur attribuer la responsabilité de leur situation ».

On est loin en effet du contexte de la création d'Alerte, en 1995. A l'épo-que, le rapport de Christian Chassériaud sur « la grande exclusion sociale » évaluait le nombre de titulaires du revenu minimum d'insertion à 575 000 ménages, contre plus de un million aujourd'hui. La société, et les politiques, découvraient l'ampleur du phénomène. La naissance du collectif a même été favorisée par le gouvernement de l'époque. En 1994, le Premier ministre Edouard Balladur voulait décerner le label « Grande cause nationale » à six associations de la commission « Lutte contre la pauvreté et l'exclusion » de l'Uniopss, créée en 1985. Finalement, à leur demande, ce seront les 31 organisations qui composent la commission qui se verront attribuer le label. Cette marque de reconnaissance leur donne les moyens d'organiser une grande campagne de communication : « Alerte contre l'exclusion ». Les associations, qui garderont de cette action médiatique leur « nom de code », jouent d'abord le rôle d'aiguillon pour la société. Avant de devenir un instrument d'interpellation politique. Le « Pacte contre la pauvreté et l'exclusion » est signé en 1995. Il interpelle tous les acteurs, ceux politiques et ceux de la société civile, y compris les entreprises, sans encore insister sur le rôle des partenaires sociaux.

« Très vite, on est arrivé à la conviction que l'on pouvait gagner une grande loi contre les exclusions », raconte Lucien Duquesne, vice-président d'ATD quart monde . Première -et jusqu'ici unique - initiative du genre : le collectif organise avec France Inter et La Croix un débat au cours duquel trois candidats à l'élection présidentielle de 1995 - Lionel Jospin, Jacques Chirac et Edouard Balladur - s'engagent à présenter un projet de loi d'orientation destiné à apporter une réponse à la « fracture sociale ». Jacques Barrot et Xavier Emmanuelli, respectivement ministre de l'Emploi et de la Solidarité et secrétaire d'Etat à l'action humanitaire du gouvernement Juppé, engagent l'élaboration du texte, interrompue en 1997 par la dissolution de l'Assemblée nationale. Les associations membres d'Alerte critiquent déjà un projet de loi qui ignore les causes de l'exclusion et s'efforcent d'améliorer le texte, qui sera finalement adopté en juillet 1998.

Le pari de l'expression interassociative

Depuis, le collectif a tenu son pari de porter la parole commune des associations auprès des pouvoirs publics. « Le miracle d'Alerte est d'avoir réussi à construire un travail inter-associatif, commente Gilbert Lagouanelle, directeur de l'action institutionnelle du Secours catholique. Cela n'a pas été évident, mais a constitué un élément majeur dans la lutte contre l'exclusion. » Pour y parvenir, il a fallu en effet que les associations fassent fi de leurs divergences de sensibilité et de stratégie.

Faut-il rappeler en effet que la construction de la loi contre les exclusions a suscité des questionnements en interne ? « René Lenoir, président de l'Uniopss à l'époque, avait exprimé ses réserves quant à une loi d'orientation qui serait plus déclarative qu'opérationnelle. Il était davantage favorable à un plan piloté par une équipe interministérielle », se souvient Jean-Paul Péneau, ancien directeur de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS). Plus tard, les différentes options retenues pour le logement - le droit au logement opposable a succédé à la couverture logement universelle - ont suscité des discussions. Mais le collectif, qui n'a pas d'instance de décision formalisée, a toujours fonctionné sur le mode du consensus. Sans pour autant affaiblir ses positions. « Au pire, on a plutôt assisté à des silences... », reconnaît Jean-Paul Péneau.

Ce qui n'empêche pas le réseau d'être traversé par un débat permanent sur son positionnement, favorisé par la coexistence d'associations « gestionnaires » et d'autres plus militantes. « Notre approche technique tend à prendre le pas sur notre parole politique, déplore ainsi Lucien Duquesne. Il faut faire attention à ne pas devenir des "gens de dispositifs ". L'Etat a besoin des associations pour mettre en place la politique publique. Et une fois que l'on est devenu un appareil d'Etat, il est plus difficile d'être une force d'interpellation. »

Avis que ne partage pas tout à fait Nicole Maestracci, présidente de la FNARS. « Le secteur ne peut pas se contenter de dire : "Les pauvres sont de plus en plus pauvres et les structures d'insertion sociale n'ont pas assez de moyens pour faire face ", argumente-t-elle. Ce discours s'est révélé en grande partie inefficace parce qu'il a du mal à être entendu au-delà du cercle étroit des spécialistes du social. La FNARS défend un certain professionnalisme et cherche à avoir un discours plus construit, et solidement argumenté, afin de convain-cre non seulement les décideurs politiques mais aussi le grand public qui ne se contente plus du seul registre de l'émotion. » Ce qui ne signifie pas que les associations doivent s'opposer entre elles, mais qu'elles sont au contraire complémentaires.

C'est d'ailleurs en se positionnant aussi comme un expert technique face aux ministères que le collectif a su passer de l'interpellation à la proposition. La façon dont il a pu enrichir les articles de la loi de programmation pour la cohésion sociale, et notamment ceux portant sur les contrats aidés et le revenu minimum d'activité, le prouve. « La perspective n'est plus la même qu'en 1995, analyse Bruno Grouès, coordinateur du collectif. Les grandes batailles ne sont plus d'ordre législatif. Il faut désormais chercher à mettre en œuvre les lois existantes par la territorialisation de nos actions, et à s'attaquer aux causes de l'exclusion. »

Le rapprochement avec les partenaires sociaux participe de cet objectif. Mais associations et syndicats doivent d'abord s'apprivoiser, après s'être longtemps tenus à distance. Historiquement d'abord. Il est vrai que le terme de Lumpenproletariat pour désigner les pauvres comme une masse inorganisée et non productive, cher à Karl Marx, est encore gravé dans les esprits. « Les syndicats français, contrairement aux italiens, ne se sont jamais intéressés à la vie des salariés hors travail, estime Jean-Michel Belorgey, président du Comité européen des droits sociaux, qui prône de son côté une « stratégie des alliances » entre associations et syndicats. Et la situation est aggravée par les critères de représentativité, largement favorables aux gens installés. » « Il n'y a jamais eu de lien entre les partenaires sociaux qui ont construit la protection sociale et les associations de lutte contre l'exclusion, renchérit Marc Gagnaire, directeur adjoint de la FNARS. Il est d'ailleurs exceptionnel d'avoir retrouvé à la même tribune Gaby Bonnand, secrétaire national de la CFDT, et Maryse Dumas, numéro deux de la CGT, ATD quart monde et Emmaüs pour présenter le rapport Hirsch. »

Le signe d'un retournement de tendance ? Malgré l'existence de quelques instances où ils siègent côte à côte - dont le Conseil économique et social, mais aussi le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et le Conseil national de l'insertion par l'activité économique -, il faut admettre que le dialogue n'arrive pas vraiment à se nouer entre associations et syndicats. Pour autant, ces derniers, qui assistent à l'émergence des « travailleurs pauvres » et au développement des emplois précaires, commencent à sortir des murs de l'entreprise. Aujourd'hui, le cloisonnement des publics n'est plus de mise. Certains syndicats n'avancent d'ailleurs pas en terrain totalement vierge. « Il est vrai que les partenaires sociaux ne sont pas suffisamment mobilisés sur la question, juge Jacques Rastoul, secrétaire confédéral de la CFDT. Mais nous sommes déjà impliqués par exemple au sein du Conseil national de l'habitat, et nous nous sommes mobilisés sur l'emploi avec la FNARS. La plate-forme rédigée avec les acteurs de l'insertion en mai 2004 continue à servir de référence pour nos fédérations et dans les régions » (2).

La CFTC, historiquement liée à la mouvance humanitaire, a dès les années 90 mis en place une instance de réflexion sur la lutte contre l'exclusion. Ce combat « coûte cher pour de piètres résultats, estime Bernadette Cadistan, conseillère chargée de la formation et de l'insertion. Concrè-tement, il faut mettre les acteurs autour de la même table pour rendre effectif le rapport de Didier Robert sur l'accès de tous aux droits de tous, qui avait été, rappelons-le, voté à l'unanimité. » Même bonne volonté exprimée du côté de la CGT, qui elle aussi s'est rapprochée de la FNARS. « Nous essayons de sortir du schéma traditionnel de l'entreprise pour pousser le débat sur les précaires et les salariés qui n'ont aucun droit, explique Jack Tord, conseiller confédéral. Les principaux enjeux sont le niveau des salaires et l'anticipation des phénomènes qui conduisent à l'exclusion. » La confédération est la seule à avoir donné naissance à un comité de chômeurs, en 1995, qui fonctionne aujourd'hui de façon autonome. Mais ce dernier souhaiterait la voir plus offensive : « La victoire des recalculés a bien été celle des chômeurs, commente François Desanti, secrétaire général du Comité national chômeurs CGT. Si la confédération avait participé davantage à ce mouvement, nous aurions pu réussir à bousculer l'institution d'indemnisation du chômage. Même en interne, les chômeurs font peur. Mais c'est plutôt bon signe : cela prouve au moins que la relation existe. » Reste encore une autre question à laquelle sont confrontées toutes les organisations syndicales : comment mobiliser sur l'exclusion, à l'heure où elles se heurtent à une hémorragie de leurs effectifs ?

Mais les syndicats ne sont pas les seuls à faire leur mea culpa. Les associations veulent désormais traiter la question sociale dans son ensemble, alors que l'accès à l'emploi ordinaire n'a pas toujours figuré parmi leurs priorités. « C'est pour aboutir à des solutions partagées que j'avais demandé la création d'un lieu d'expertise à travers le conseil d'orientation pour l'emploi, où les associations auraient dû être partie prenante », rappelle Jean-Baptiste de Foucauld, inspecteur général des finances, mais aussi président de Solidarités nouvelles face au chômage (SNC). Sauf que le décret instituant cette instance au mois d'avril évoque parmi ses membres des représentants du CES, mais pas du monde associatif...

Trouver des terrains d'accord

Alerte met donc cet enjeu de la coopération sur la table. Malgré les clivages naturels entre les syndicats, partisans du changement des politiques structurelles, et les associations, davantage inscrites dans une logique d'assistance. Le concept même des contrats aidés, qui, selon certains syndicats, ont l'inconvénient majeur de sortir les personnes en insertion du droit commun, a suscité des débats. « Les combats syndicaux ne sont pas forcément propices à la maximisation de l'emploi, juge Patrick Boulte, vice-président de SNC et président de la branche française du réseau européen EAPN. Je pense par exemple à la fin de non-recevoir opposée par les syndicats à la proposition de créer un contrat de trois ans. Elle montre que l'on vit encore dans le monde virtuel des trente glorieuses. » Pour Hugues Feltesse, ancien directeur de l'Uniopss et expert auprès de la Commission européenne, chargé de la stratégie de la lutte contre l'exclusion, la politique de l'emploi représente pourtant l'une des failles majeures de notre système économique. « Dans les pays du Nord, le risque de perdre son emploi est très élevé mais, grâce aux dispositifs de soutien, la chance d'en retrouver un est importante, explique-t-il. Tandis qu'en France, on perd son emploi moins souvent mais une fois devenu chômeurs, on le reste pour longtemps. »

Sur ces sujets précisément, Alerte espère qu'associations et partenaires sociaux trouveront des terrains d'accord. L'accès des chômeurs à la formation tout au long de la vie et la politique de recrutement des syndicats d'employeurs confrontés à une pénurie de main-d'œuvre constitueront à coup sûr des sujets de réflexion communs. « Les syndicats pourraient appuyer certaines revendications associatives lors de l'élaboration de lois, dont certaines ont une plus grande conséquence sur l'exclusion qu'ils ne l'imaginent, suggère Marie-Thérèse Join-Lambert. Mais aussi dans les instances paritaires dont ils sont co-gérants. Localement, ils pourraient par exemple réagir aux comportements de certains organismes sociaux que leur signaleraient les associations. L'exclusion est en effet parfois favorisée par des atteintes à l'accès aux droits, en raison de la complexité des dispositifs. » Alerte s'apprête par ailleurs à discuter des propositions d'aménagements à la convention Unedic, dans la perspective de les remettre aux partenaires sociaux.

Quant au patronat, plutôt silencieux sur le sujet, il aurait accueilli avec intérêt l'invitation d'Alerte à la journée du 26 mai. La CGPME devrait être représentée ainsi que le Medef, sous réserve d'impératifs pour cause de campagne électorale. « On a déjà montré, en Rhône-Alpes, qu'il était possible d'intégrer les personnes en situation d'exclusion dans l'entreprise, notamment dans les PME », témoigne Robert Fierher, président de la mission régionale d'information sur l'exclusion en Rhône-Alpes, où patronat et syndicats sont représentés. Reste alors à espérer que le 26 mai sera l'occasion de dépasser les déclarations d'intention et de décliner concrètement des formes de coopération.

Maryannick Le Bris

LES 41 MEMBRES D'ALERTE

Toutes les associations membres d'Alerte participent à la commission « Lutte contre la pauvreté en France et en Europe » de l'Uniopss, hormis Solidarités nouvelles face au chômage et ATD quart monde. D'où cette question en débat au sein du collectif : ce dernier est-il l'expression de la commission ou celle, plus large, d'un réseau inter-associatif ? Les autres membres en sont : Adessa, Amicale du Nid, Association des collectifs enfants parents professionnels, Association nationale de prévention de l'alcoolisme, Association pour le droit à l'initiative économique, Comité chrétien de solidarité avec les chômeurs, Coorace, Droits d'urgence, Emmaüs France, Fédération de l'entraide protestante, Fédération des associations de conjoints survivants, Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement, Fédération des centres sociaux, Fédération française des banques alimentaires, Fédération française des équipes Saint-Vincent, Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale, Fédération nationale des associations de maisons d'accueil, Fédération nationale des centres Pact Arim, Fédération nationale Familles rurales, Fédération Relais, Fondation Abbé-Pierre, Fondation armée du salut, Fonds social juif unifié, France terre d'asile, la Ligue des droits de l'Homme, La raison du plus faible, Les petits frères des pauvres, Médecins du monde, Restaurants du cœur, Secours catholique, Secours populaire français, Société Saint-Vincent-de-Paul, Union des foyers et services pour jeunes travailleurs, Union des professionnels de l'hébergement social, Union féminine civique et sociale, Union nationale d'aide à domicile en milieu rural, Union nationale des associations familiales, Union nationale des institutions sociales d'action pour les tsiganes, Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux. Seule la Croix-Rouge, soumise par son statut d'auxiliaire des pouvoirs publics à une obligation de neutralité, est membre de l'Uniopss mais pas d'Alerte.

DU TERRITOIRE À L'EUROPE

Le collectif a mis en place quatre groupes de travail sur l'habitat et le logement, l'emploi et l'insertion, l'accès aux soins et les personnes à la rue. Un autre travaille à la refondation de sa stratégie et un groupe supplémentaire sur les étrangers devrait voir le jour. Parallèlement à son rapprochement avec les partenaires sociaux, le réseau souhaite développer sa territorialisation en renforçant les collectifs locaux, enjeu essentiel au regard de la décentralisation. 28 collectifs sont déjà présents dans 14 régions, à l'échelle départementale ou régionale, la plupart animés par des Uriopss. Autre échelle de développement : l'Europe. Par son antériorité et son ampleur, le collectif a de fait une très grande proximité avec la branche française du réseau européen EAPN, présidée par Patrick Boulte.

Notes

(1)  C/o Uniopss : 133, rue Saint-Maur - 75541 Paris cedex 11 - Tél. 01 53 36 35 00.

(2)  Voir ASH n° 2361 du 28-05-04.

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