Dans un rapport remis en février au ministre de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo, l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) avait tiré la sonnette d'alarme à propos de la situation des milliers de mineurs isolés qui, arrivés en France sans papiers, plongent dans la clandestinité à leur majorité (1). Sans prendre au pied de la lettre les préconisations de ce rapport, Dominique de Villepin fait aujourd'hui un geste dans une circulaire -plutôt bien accueillie du côté de l'association Défense des enfants international (DEI) -France (voir ce numéro) - pour faciliter l'accès de ces jeunes à un titre de séjour.
Il s'agit en fait, pour l'actuel pensionnaire de la Place Beauvau, de corriger l'un des effets pervers de la loi « Sarkozy » du 26 novembre 2003. Jusqu'à leurs 18 ans, les mineurs étrangers arrivés clandestinement en France non accompagnés bénéficient le plus souvent d'une mesure de placement auprès des services de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Auparavant, à leur majorité, ils pouvaient demander la nationalité française. Mais Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur, y a vu un risque d'implantation de filières et a donc modifié la loi (2). Désormais, ces jeunes doivent, pour pouvoir prétendre à la nationalité française, justifier au minimum de trois ans de prise en charge par l'ASE. Or la majorité d'entre eux arrive en France après l'âge de 15 ans. Ceux qui ne répondent pas au critère de la loi « Sarkozy » voient ainsi leur prise en charge déboucher, à leur majorité, sur l'irrégularité et donc la reconduite à la frontière ou la clandestinité. Cassant par là même tout le travail éducatif réalisé précédemment et annihilant les efforts de ces jeunes étrangers pour s'intégrer.
Pour remédier à cette situation, Dominique de Villepin a choisi de ne pas passer par la voie législative -ce qui était pourtant l'une des solutions préconisées par l'IGAS - et de s'adresser directement aux préfets via une circulaire dans laquelle il les invite à délivrer « dans certains cas » à ces jeunes des titres de séjour à leur majorité. Cela entre autres « lorsqu'il apparaîtra que les perspectives de retour [...] dans leur pays d'origine sont très faibles » et que l'admission de ces jeunes au séjour à compter de leur majorité apparaît opportune « au regard de leur parcours d'insertion en France ». Le ministre de l'Intérieur demande également aux préfets d'apporter « notamment » mais, précise-t-il, « pas exclusivement », une attention toute particulière aux jeunes majeurs qui, avant leur prise en charge par les services sociaux, « ont pu être victimes de réseaux de traite des êtres humains ou d'exploitation sexuelle et qui ne sont plus soumis au contrôle de tels réseaux ».
Bien sûr, le comportement de cette population ne doit en aucun cas représenter une menace pour l'ordre public. En outre, d'autres éléments d'appréciation sont à prendre en compte :
l'ancienneté du séjour en France de l'intéressé ;
la réalité, le sérieux et la permanence de la formation ou des études réalisées sur le territoire, qui peuvent se poursuivre après la majorité ou déboucher sur un emploi ;
l'absence justifiée de liens maintenus avec la famille restée dans le pays d'origine (par exemple en cas d'enquête auprès du pays d'origine demeurée infructueuse...) ;
la présentation d'une attestation motivée et circonstanciée produite par la structure d'accueil justifiant du degré d'insertion du jeune majeur dans la société française (rapport de l'éducateur référent évoquant son comportement, ses projets scolaires ou professionnels, relevés de notes, connaissance suffisante de la langue française, etc.).
Au final, s'ils considèrent au regard de ces critères qu'une admission au séjour est justifiée, les préfets sont invités à délivrer à ces jeunes, à leur majorité, une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » ou, le cas échéant, si l'intéressé souhaite exercer une activité professionnelle ou suivre une formation professionnelle nécessitant l'obtention préalable d'une autorisation de travail, une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié ».
Le ministre demande encore aux préfets de ne pas opposer, dans ces dossiers, l'absence de visa de long séjour ou l'irrégularité des conditions d'entrée en France.
Il revient également sur la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, dont l'une des dispositions vise à favoriser l'intégration socio-professionnelle des mineurs pris en charge par l'aide sociale à l'enfance avant l'âge de 16 ans, en leur permettant d'accéder dans des conditions facilitées à l'exercice d'une formation professionnelle rémunérée. Le texte prévoit plus précisément que, sous réserve qu'ils justifient toujours d'un tel placement au moment de leur demande, ces jeunes ne peuvent pas se voir opposer la situation de l'emploi s'ils réclament la délivrance d'une autorisation de travail, document nécessaire pour pouvoir conclure un contrat d'apprentissage ou de professionnalisation (3). Répondant en partie à l'une des préconisations du rapport Hirsch (4), le ministre va plus loin en demandant aux préfets saisis d'une demande d'admission au séjour émanant d'un mineur de plus de 16 ans ou jeune majeur satisfaisant à ces conditions - c'est-à-dire toujours pris en charge par l'ASE au moment de sa demande - de munir l'intéressé d'une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire » en fonction de la durée du contrat de travail souscrit (5). L'irrégularité des conditions de l'entrée en France ou l'absence de visa de long séjour ne pourront pas, en outre, leur être opposées. Les préfets vérifieront simplement, au préalable, que la présence du jeune en question ne représente pas une menace pour l'ordre public, en tenant compte toutefois, recommande le ministre, « de la situation parfois particulièrement précaire de ces personnes qui, avant leur prise en charge par les services sociaux, ont pu commettre des faits constitutifs d'infractions pénales ». Enfin, à chaque demande de renouvellement, les préfets devront s'assurer de la réalité et du sérieux de la formation engagée (qui peut se poursuivre après la majorité) et solliciter, entre autres, « un rapport de l'éducateur chargé du suivi socio-éducatif de l'intéressé ou de l'organisme qui le prend en charge, attestant de sa progression ».
(1) Voir ASH n° 2402 du 8-04-05.
(2) Voir ASH n° 2338 du 19-12-03.
(3) Voir ASH n° 2395 du 18-02-05.
(4) Voir ASH n° 2405 du 29-04-05.
(5) La carte de séjour temporaire « travailleur temporaire » est délivrée pour les contrats de moins de 12 mois et la carte « salarié » l'est pour les contrats d'une durée supérieure.