La vieillesse ne saurait se limiter à une approche strictement médicale et la société doit changer de braquet à son égard. Venant de l'Académie de médecine, cette recommandation prend toute son importance. C'est à la quasi-unanimité (moins une abstention) que les sages de cette assemblée ont adopté, le 10 mai, le rapport sur « le maintien de l'insertion sociale des personnes âgées » (1) du groupe de travail créé au lendemain de la canicule et présidé par Maurice Tubiana. Présente ce jour-là, Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, a d'ailleurs lancé l'idée de créer, cette année, un groupe de prospective sur le vieillissement et la place des seniors dans la société (rassemblant médecins, démographes, économistes, journalistes, chefs d'entreprises et partenaires sociaux).
Soulignant la nécessité de remettre en question les idées reçues, le rapport réclame des « décisions urgentes » en vue d'instaurer une politique globale en direction des personnes âgées. « Une politique inévitablement coûteuse, mais sans doute moins dispendieuse que si l'on laissait aller les choses. » En effet, si l'espérance de vie s'est allongée (passant de 45 ans en 1900 à 80 ans au début du XXIe siècle), le regard de la société, lui, n'a pas changé sur les personnes âgées. Alors que leur santé physique et leurs conditions matérielles ont été améliorées, les plus de 60 ans restent considérés comme des « vieux », « ce qui a de graves conséquences éthiques, sociales et économiques et rien n'a été fait pour lutter contre ces préjugés », déplore l'Académie de médecine. Comment alors éviter la ségrégation par l'âge de personnes en bonne santé, qui a elle-même un impact sur l'accélération du processus du vieillissement ?
Il faut tout d'abord sortir de la catégorie faussement homogène des plus de 60 ans, qui ne correspond plus à la réalité de la population. « En moyenne, l'état de santé et la résistance des sujets de 75 ans correspondent aujourd'hui à ce qu'ils étaient à 60 ans au XIXesiècle. » Le rapport repère ainsi quatre situations : les personnes sans incapacité, celles que les démographes appellent « les jeunes vieux » de 60 ans. Un sur deux en moyenne a encore devant lui 20 ou 30 ans de vie autonome, soulignent les académiciens, qui refusent de parler pour eux de vieillesse. Beaucoup éprouvent un sentiment d'inutilité, facteur d'anxiété et de dépression. D'ailleurs, une proportion particulièrement élevée d'entre eux en France (au moins 20 %) consomment régulièrement des hypnotiques et des psychotropes. D'où la nécessité, pour l'Académie de médecine, d'introduire une vision plus souple du concept de retraite et de l'âge auquel elle doit être prise en tenant compte des souhaits individuels et de l'état physique et mental. Mais également d'organiser et de structurer le bénévolat. « Il n'existe pas de solution unique et il faut favoriser les passerelles entre différentes voies », estime le rapport, qui appelle l'Etat, les autorités locales, les syndicats et les entreprises à faciliter les expérimentations et leur évaluation. Par ailleurs, outre le développement de la formation gériatrique pour pouvoir prévenir et détecter précocement les petites infirmités, l'Assem-blée suggère d'enseigner et d'expliquer « le phénomène physiologique normal » du vieillissement pour faire évoluer son image dans la société.
Deuxième catégorie : les personnes atteintes d'incapacités surmontables, dont le nombre, estimé à plus de dix millions, augmentera inéluctablement. Ces publics, qui présentent de petites infirmités (déficit de vision, d'audition, difficultés à monter des marches), pourraient avoir une vie normale « si les transports en commun, les administrations et les services publics tenaient compte de leur existence », souligne le rapport. Qui regrette que la loi du 11 février 2005 sur l'égalité des droits et des chances ne fasse aucune allusion aux handicaps liés à l'âge.
Troisième situation, quand des handicaps plus sévères apparaissent sans altération des fonctions intellectuelles. Là, le rapport préconise de favoriser le maintien à domicile, mais en l'assortissant de mesures propres à maintenir les liens sociaux et à éviter l'isolement et l'abandon. Il insiste sur le développement d'une approche médicale et sociale permettant d'organiser la prise en charge de ces malades chroniques âgés et sur l'approfondissement de la formation en gérontologie et gériatrie de tous les soignants.
Enfin, ce n'est qu'avec la dernière catégorie que l'Académie de médecine parle de dépendance. Progressivement, certaines personnes perdent leur autonomie, notamment à la suite d'une maladie dégénérative cérébrale. La proportion de sujets en dépendance passerait d'environ 10 % à 80 ans, à 30 % à 90 ans et à 40 % à 95 ans. Pour les sages, le maintien à domicile, dans la phase initiale, est possible « si des mesures adéquates sont prises, no-tamment une aide aux aidants naturels ». Cependant à terme, l'entrée en institutution est inéluctable. Encore faut-il « préserver la dignité de ces personnes et éviter un acharnement thérapeutique ».
I.S.
(1) Académie nationale de médecine : 16, rue Bonaparte - 75272 Paris cedex 06 - Tél. 01 42 34 57 70.