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« CRÉER DES CONDITIONS FAVORABLES »

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Mieux définir les compétences transférées, revoir les règles de compensation et permettre aux régions de réguler l'offre : telles sont les pistes que propose le conseiller régional Philippe Chevreul, dans un rapport sur la décentralisation des formations sanitaires et sociales remis en février dernier au gouvernement, mais non encore rendu public.

Très attendu, notamment par les organismes de formation et les régions en pleine discussion sur ce sujet sensible (1), le rapport de Philippe Chevreul sur la décentralisation des formations sanitaires et sociales (2) a été remis en février dernier à Gérard Larcher, ministre délégué chargé de la formation professionnelle, qui l'avait commandé il y a un an, ainsi qu'à Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion , à Philippe Douste-Blazy, ministre des Solidarités, de la Santé et de la Famille et à Marie-Josée Roig, ministre déléguée à l'intérieur. Depuis, il tarde à être rendu public, même s'il a été tout récemment transmis au Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et au Conseil supérieur du travail social (CSTS).

Le document, qui résulte d'une large consultation -conseillers régionaux, administrations, centres de formation, collectivités territoriales, partenaires sociaux et des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) ont été auditionnés -, a pourtant plusieurs mérites : l'auteur, conseiller régional (UMP) des Pays-de-la-Loire, praticien hospitalier et ancien président du Comité de coordination des programmes régionaux de l'apprentissage et de la formation professionnelle, démontre les difficultés réelles d'une décentralisation effective depuis le 1er janvier 2005, et dont les derniers décrets d'application viennent de paraître (voir ce numéro). Cela, au-delà des affrontements politiques sur lesquels les débats se sont jusqu'ici cristallisés. Rappelant que les acteurs du secteur auraient souhaité un report de sa mise en œuvre et une période de transition, il propose aussi des pistes pour la réaliser dans des conditions favorables aux collectivités territoriales comme aux établissements de formation et aux professionnels.

Premier sujet d'inquiétude : l'imprécision du champ de compé-tences transféré par la loi. Si les formations sociales initiales s'inscrivent désormais dans l'exercice de la compétence des régions en matière de formation professionnelle, leur définition prête à confusion. Ainsi, le secteur social qualifie les formations diplômantes de « formations initiales », alors que pour les régions, la formation des personnes « en situation d'emploi » relève de la formation continue, donc du financement des employeurs ou des OPCA. « Les formations aux métiers d'aide médico-psychologique ou d'éducateur technique spécialisé ainsi qu'aux fonctions de directeur d'établissement et de service d'intervention sociale, qui ne sont accessibles qu'en situation d'emploi, sont particulièrement concernées par ce débat », souligne le conseiller régional. D'où la nécessité, selon lui, de rassembler l'ensemble des acteurs pour décider, en fonction des publics, « ce que chacun est prêt à financer ».

En outre, ajoute-t-il, la loi ne différencie pas les formations selon le ministère qui délivre le diplôme. En 1986, les lycées professionnels ont été transférés aux régions, selon des règles de décentralisation spécifiques. Doit-on alors raisonner selon la nature sociale des formations ou selon le type d'établissement qui les dispense ? « Il convient de lever rapidement cette contradiction qui impacte l'ouverture et le financement des établissements, l'accueil des élèves en leur sein et l'attribution des aides, ainsi que de préciser les règles applicables aux établissements du second degré qui dispensent des formations sanitaires et sociales. »

Le droit à compensation financière des compétences obligatoires constitue, selon Philippe Chevreul, un autre point à éclaircir. Outre que le calcul de cette compensation « apparaît défavorable aux régions », la montée en puissance de l'exercice des compétences régionales, les conséquences financières des politiques d'action sociale conduites par l'Etat et les départements ainsi que le coût de l'harmonisation des bourses pourraient creuser cette surcharge. Une situation « qui constitue à ce jour une source majeure de tensions politiques entre l'Etat et les régions ».

Des transferts financiers insuffisants

Selon les règles de compensation, en effet, les ressources attribuées doivent être équivalentes aux dépenses de l'Etat à la date du transfert. Or, force est de constater, commente Philippe Chevreul, « que la subvention de fonctionnement versée par l'Etat aux établissements de formations sociales et de formations sanitaires privés ne couvrait pas la totalité de leurs dépenses ». Ce qui obligeait les organismes à compléter leurs ressources par la formation continue ou la participation des étudiants aux droits d'inscription et aux frais de scolarité. Il y a donc une contradiction manifeste, pointe-t-il, entre le principe d'une compensation égale aux dépenses de l'Etat et celui de la gratuité des études, lui aussi inscrit dans la loi. « Les étudiants pas plus que les établissements ne manqueront de rappeler la région à ses obligations », insiste-t-il.

Par ailleurs, le plan pluriannuel de développement des formations en travail social avait prévu l'ouverture de 3 000 places supplémentaires entre 2002 et 2005, conduisant à terme à une augmentation de 30 % des effectifs en formation initiale. L'auteur propose par conséquent de « déroger aux règles de compensation financière des charges de fonctionnement » afin de prendre en compte « le financement de l'extension en année pleine des places supplémentaires créées aux rentrées scolaires 2003 et 2004 » pour les formations en trois ans. Il préconise par ailleurs une définition précise de la nature des dépenses de fonctionnement et la réévaluation des fonds transférés, après l'harmonisation des bourses qui devrait être mise en œuvre.

La loi impose par ailleurs aux régions de participer aux dépenses d'investissement et d'équipement des établissements. Or, en la matière, « les dépenses antérieures de l'Etat étaient relativement faibles et variables d'une région à l'autre », remarque Philippe Chevreul, ajoutant que la règle de compensation favorisera alors les régions dotées d'un parc immobilier et d'équipements récents et pénalisera celles dont le parc est en plus mauvais état. « Ce faisant, la compensation financière risque d'accroître les inégalités régionales », déplore-t-il. Il propose donc de revoir les règles prévues, de « globaliser » les fonds consacrés par l'Etat aux investissements et de repenser les critères de répartition entre les régions. Dans cet objectif, un état des lieux du coût des investissements et un inventaire du patrimoine devraient selon lui être réalisés à l'attention des régions.

Alors que les services déconcentrés de l'Etat ont par ailleurs estimé que la gestion des formations nécessite moins d'une personne en équivalent temps plein, évaluation sous-estimée selon les régions, la mission propose une autre « règle de compensation concrète » : un poste à mi-temps par département situé dans la région, un poste équivalent temps plein et un poste équivalent temps plein supplémentaire par tranche de 30 établissements au-delà de 30 établissements.

Comment ensuite ajuster la compensation financière au regard de la croissance des besoins, de la création de nouveaux diplômes, de l'allongement éventuel de la durée des formations et des politiques sociales engagées par l'Etat et les départements ? « Les acteurs intervenant sur le champ sanitaire et social doivent prendre conscience qu'ils exercent une véritable responsabilité partagée », estime Philippe Chevreul. Une co-responsabilité « qui invite l'Etat ainsi que les départements à participer au financement des formations ou aux aides aux étudiants du fait de l'impact financier de leurs décisions ».

Reste que, selon l'élu régional, la décentralisation, qui rapproche les centres de décision du terrain, devrait permettre « de mieux répondre aux enjeux de société ». A condition que les régions disposent de réelles marges de manœuvre en matière de régulation et que les compétences des collectivités territoriales soient articulées. Car, d'un côté, l'Etat conserve un rôle essentiel en matière de formation et, de l'autre, le département, chef de file de l'action sociale et médico-sociale, aura un poids déterminant dans la définition des besoins. Il sera, contrairement aux régions, consulté par l'Etat sur la définition et le contenu des formations et pourra même se voir déléguer l'agrément des établissements par les régions. « Cette pratique pourrait générer des conflits d'intérêt, note Philippe Chevreul, d'autant plus que certains départements se sont dotés d'un appareil de formation. » Il est également, selon lui, « difficile, sur le plan de l'éthique, que les départements cumulent les rôles : ils ne peuvent être juges et parties ». Afin que les régions puissent aussi participer à la réflexion sur l'évolution des formations, ce qui rejoint peu ou prou le principe selon lequel « qui paie décide », il propose de leur ouvrir la Commission professionnelle consultative du travail social et de l'intervention sociale. La déclaration préalable des centres de formation auprès de l'Etat et l'agrément par les régions devraient, selon lui, être articulés par des conventions entre les DRASS et les régions, et faire l'objet d'un formulaire unique.

La régulation de la carte de la formation, préconise également Philippe Chevreul, doit essentiellement passer par une concertation approfondie entre les acteurs du champ sanitaire et social, aux plans régional et national. Il suggère à cet effet de créer un groupe de réflexion, dont la mission serait de définir des lieux de dialogue à partir des instances existantes. Une conférence sur les formations sociales pourrait ainsi associer les départements à la définition du schéma régional. Une commission spécialisée du Comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle pourrait être créée et établir des liens avec le Comité régional de l'organisation sociale et médico-sociale. A l'échelle nationale, Philippe Chevreul propose d'élargir la représentation des collectivités locales au CSTS et d'étendre les missions de ce dernier au suivi des schémas régionaux et à l'accompagnement de la concertation entre les régions et les départements. Une commission spécialisée du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie pourrait aussi, selon lui, articuler les formations sanitaires et sociales, ainsi que les formations initiales et continues.

Une concertation Etat-régions-partenaires sociaux

Face aux défis de la qualification des personnels, la mission propose par ailleurs de lancer une grande campagne de sensibilisation aux métiers sanitaires et sociaux et d'améliorer l'outil statistique et d'observation prospective du secteur. Elle préconise que les régions impulsent « une politique globale de formation répondant aux problématiques des territoires » par le biais d'une concertation tripartite Etat-régions-partenaires sociaux. Elle invite à réfléchir sur le sujet- certainement moins consensuel - de la diversification des voies d'accès à la qualification, notamment par l'implication de l'Education nationale dans le système de formation, le développement de l'apprentissage, des contrats d'alternance et de la validation des acquis de l'expérience.

Autre sujet délicat : celui de la régulation interrégionale. Les régions, notamment celles qui disposent d'un important appareil de formation, doivent-elles supporter le coût des étudiants « non résidents » sans être assurées d'avoir un « retour sur investissement » en raison de la mobilité « post-formation »  ? Sans trancher, Philippe Chevreul renvoie la question à une réflexion entre régions sur les règles communes à adopter pour réguler les flux, la carte des formations et la compensation financière nécessaire.

« Les élus régionaux ont le souci de rationaliser l'action publique, c'est-à-dire d'accroître l'efficacité des dispositifs, en améliorant le coût, tout en ne perdant pas de vue l'objectif d'égalité d'accès à la formation, à la qualification et à l'emploi sur l'ensemble du territoire régional », conclut Philippe Chevreul en toute transparence. Pour relever cet « incroyable défi », il appelle à une période de transition et à un accompagnement par l'Etat, « tant sur le plan technique que sur le plan financier ». Maryannick Le Bris

Notes

(1)  Sur les inquiétudes des régions, voir ASH n° 2400 du 25-03-05.

(2)  Intitulé « La mise en œuvre du transfert aux régions des formations sanitaires et sociales ».

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