Quand la barrière institutionnelle tombe, tout deviendrait-il possible ? En 1993, le centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) de Nanterre (1) dresse un constat alarmant dans les Hauts-de-Seine : les contacts avec les écoles du secteur montrent que de plus en plus d'enfants rencontrent des difficultés scolaires pour des raisons d'ordre psychologique notamment. La mobilisation de leurs familles pour les accompagner vers une structure de soins fait trop souvent défaut. En conséquence, l'exclusion de ces jeunes vers des structures lourdes (hôpital de jour, institut médico-éducatif...) s'accroît.
Fort de ce constat, le CMPP de Nanterre lance une nouvelle formule d'accompagnement. « Les familles n'allant pas ou peu vers les structures classiques de soins, nous avons décidé d'aller vers elles », résume Danielle Papiau, directrice du centre. En 1995, un premier groupe thérapeutique baptisé Zilina voit le jour. Cinq ans plus tard, et dans un autre quartier difficile de la ville, c'est au tour du groupe thérapeutique des Tournesols. Cette année devrait être marquée par la naissance d'autres groupes sur Nanterre tandis que le CMPP de Suresnes s'apprête à lancer, sur le même schéma, dès la rentrée prochaine, un premier « groupe ».
Il s'agit d'accueillir, pour une action thérapeutique, cinq ou six enfants de maternelle deux fois par semaine, dans des locaux non scolaires et non étiquetés « CMPP ». « Nous avons voulu des lieux banalisés, précise Danielle Papiau, car un centre de soins comme le nôtre est, comme toutes ces structures publi-ques, difficile d'accès pour les familles en difficulté sociale. » Les locaux, mis à disposition par l'Office public des HLM (le CMPP ne paie pas de loyer mais règle les charges), se trouvent au cœur du quartier où résident les familles et à proximité des écoles où se rendent les enfants.
Cet accueil a lieu sur le temps scolaire. L'enfant doit y être déposé par un membre de sa famille. « Ce petit temps d'échanges avec les parents est très important. Il contribue à les mettre en confiance et à dédramatiser, explique Nicole Monnier, la pédopsychiatre du CMPP. Nous leur montrons que nous ne sommes pas un lieu où l'on pointe la folie mais un lieu neutre, où l'on travaille autour des difficultés. Leur confiance en nous est essentielle. » Durant une heure et demie, les enfants jouent, vont d'activité en activité, parlent, s'expriment avec leur corps et à travers leur comportement, encadrés par trois professionnelles du CMPP (deux psychopédagogues et une orthophoniste pour le groupe des Tournesols). Puis, ils sont reconduits à l'école par les thérapeutes. Ce qui leur permet d'échanger, cette fois, avec l'équipe enseignante. Un temps essentiel car tous ces enfants en souffrance ont été repérés par les instituteurs. « C'est l'école qui nous les adresse à cause de leur agitation, de leur mutisme réfractaire à toute relation, de leur problème d'intégration ou de leur inadaptation », poursuit la pédopsychiatre.
D'ailleurs, si elle s'adresse aux enfants, cette offre de soins répond à une demande de l'école bien plus qu'à une demande des parents. « Les parents sont souvent tellement démunis eux-mêmes, socialement et psychologiquement, qu'ils ne sont pas en mesure de faire une demande pour leur enfant. D'ordinaire, les parents s'entendent dire : votre enfant a des soucis, allez consulter. Mais consulter, c'est faire une démarche, explique Danielle Girard, psychologue au CMPP . Dans notre cas, c'est la structure qui fait la démarche en faisant un pas vers l'école et vers les parents. Nous réduisons la distance entre ces familles et ce lieu de soins un peu idéalisé, qui fait peur et dont le siège paraît loin pour les personnes qui ne sortent pas de leur quartier. »
Si elle diminue les distances, cette façon d'intervenir réduit aussi les délais entre les premiers signes d'une souffrance chez l'enfant et le début d'un suivi thérapeutique. Afin d'instaurer un suivi précoce, l'équipe du CMPP accueille, au sein de ces groupes, uniquement des enfants de deux écoles maternelles. « Notre travail ne produit pas d'effets magiques, tempère Hélène Prével, l'une des psychopédagogues du CMPP, en charge du groupe des Tournesols. Nous ne pouvons pas tout réparer. Mais nous réduisons incontestablement la souffrance... » Les troubles du comportement et les difficultés d'apprentissage de ces enfants diminuent en effet, au point de permettre à la majorité d'entre eux une entrée en cours préparatoire par le circuit ordinaire, une orientation qui ne semblait pas aller de soi au départ. Cet accompagnement thérapeutique, dès le plus jeune âge donne de meilleurs résultats qu'une prise en charge traditionnelle en centre médico-psycho-pédagogique, où les enfants arrivent à un âge plus tardif... quand ils y arrivent.
Ici, bon nombre de difficultés sont contournées, à commencer par la nécessaire adhésion des familles. « En général, il est difficile de les mobiliser. Lorsqu'un instituteur rencontre des parents pour leur dire que des problèmes se posent et qu'il faut agir, une famille sur dix se mobilise en moyenne. Dans notre cas, nous n'avons pratiquement pas d'échecs, se réjouit Danielle Papiau. Probablement parce que nous avons su prendre en compte un certain nombre de barrières, dont celle de l'institution. Ces familles ont besoin de médiation. Or celle-ci est assurée par l'institutrice de leur enfant, qui fait figure de relais. L'équipe enseignante reçoit les parents pour pointer les difficultés, mais aussi pour leur dire qu'il existe une aide qui se trouve juste à côté de chez eux et juste à côté de l'école. Elle leur propose alors un rendez-vous avec notre équipe, après avoir validé auprès de nous le fait que cet enfant puisse entrer dans un de nos groupes. »
Le coût de ces groupes se résume pratiquement aux frais de personnel. Michèle Rhétière, directrice du CMPP de Suresnes, qui va ouvrir un premier groupe thérapeutique en septem-bre, avance un budget prévisionnel annuel de 36 813 €. Ce montant sera financé par la ville, le département et la région. « Au final, cela revient bien moins cher que les séances classiques du CMPP, financées par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales, dans le cadre du prix de journée. Calculez vous-même : six enfants venant deux fois par semaine, le temps d'une séance à 80 € ... et pour un résultat moindre car il est difficile d'avoir les enfants à une telle fréquence. » Sa collègue de Nanterre, qui annonce pour les Tournesols un budget annuel prévisionnel de 25 000 €, bénéficie dans le cadre du contrat de ville d'un financement de l'Etat et de la ville. Participent également à ce budget le conseil général des Hauts-de-Seine et le programme régional d'accès à la prévention et aux soins (PRAPS) (2).
Au-delà de l'aspect médical et pédagogique, « notre stratégie prend en compte la dimension sociale. Nous faisons un travail de médiation sociale », explique Danielle Papiau. Si l'action des CMPP est « particulièrement tournée vers le soin et le pédagogique, insiste Michèle Rhétière , il est clair que, par notre travail, nous avons un impact social. Nous anticipons sur d'éventuelles difficultés ultérieures qui seraient observées bien plus tard chez ces enfants. Nous évitons des prises en charge plus lourdes où le social serait contraint d'intervenir davantage. »
Aliona Darzon
Outre son travail avec les enfants au sein des groupes thérapeutiques, le centre médico-psycho-pédagogique de Nanterre a formalisé des relations avec les parents et les enseignants.
A raison d'un entretien par mois, afin de les associer à la prise en charge de leur enfant, les parents sont reçus en dehors du CMPP. Ce lieu d'accueil et de parole leur permet d'aborder leurs difficultés quotidiennes et leur problématique familiale.
Des rencontres sont également organisées, une fois par trimestre, avec l'équipe enseignante des écoles concernées et le réseau d'aide. Elles ont pour but d'évaluer les progrès de l'enfant, de dédramatiser certaines situations et d'éviter des cas de rejet par l'institution.
Qu'est-ce qui fait l'originalité et le succès du groupe thérapeutique des Tournesols, implanté à proximité de votre établissement ?- Pour les parents des enfants accueillis, ce n'est pas loin, ce n'est pas dans un autre quartier de la ville et cela ne nécessite pas de prendre le bus, chose souvent difficile pour cette population socialement très défavorisée. C'est un lieu à proximité duquel ils font leurs courses, devant lequel ils passent. Cette proximité dédramatise le fait d'envoyer son enfant en soins. Le centre est alors perçu davantage comme un endroit connu que comme une structure médico-sociale ou une institution. Concrètement, quels résultats constatez-vous chez les enfants pris en charge ?- Les enfants adressés présentent souvent des troubles du comportement. Au bout de quelques semaines, les premiers effets sont notables. Ils contrôlent mieux leurs impulsions, parviennent à écouter les autres. Ils se structurent dans leur comportement. Les professionnelles des Tournesols mènent là un travail important de socialisation. Le succès est d'autant plus visible que le travail est fait en bonne collaboration avec les parents. Il arrive également que certains enfants quittent assez rapidement le groupe pour être suivis directement au CMPP. Or, bien souvent, ce type de prise en charge n'aurait pas été possible sans ce travail amorcé aux Tournesols. Car la prise en charge devient logique et plus facile à accepter pour les parents. Qu'est-ce que cela a changé dans le rapport entre votre école et le CMPP ?- La création de l'antenne des Tournesols a permis un rapprochement entre l'équipe enseignante et l'équipe des soignants. Nous nous voyons régulièrement et nous échangeons. Travailler ensemble est devenu plus facile car nous nous connaissons mieux et nous nous comprenons mieux. Leur professionnalisme nous aide, par exemple, dans notre réflexion sur l'orientation à donner à des enfants non pris en charge aux Tournesols. C'est un interlocuteur par rapport aux enfants en difficulté et une aide dans notre travail. Marie-Pascale Paumier est directrice de l'école maternelle des Pâquerettes à Nanterre.
(1) CMPP : 56, boulevard des Provinces-Françaises - 92000 Nanterre - Tél. 01 47 25 23 92.
(2) Les PRAPS constituent un outil de concertation et de coordination permettant d'associer de multiples partenaires : associations, mutuelles, organismes d'assurance maladie, hôpitaux, organismes professionnels, collectivités locales et services de l'Etat. Leur objectif est d'améliorer l'accès aux soins et à la prévention des personnes en situation de précarité.