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« Le temps des engagements est venu »

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Ce n'est pas un colloque de plus entre spécialistes, mais une rencontre de l'ensemble des acteurs sociaux prêts à contribuer à une société plus inclusive qu'a voulu organiser le Conseil national « Handicap : sensibiliser, informer, former » (1). Explications avec Charles Gardou (2), son vice-président, à la veille des états généraux du handicap, convoqués le 20 mai à Paris.

Actualités sociales hebdomadaires : Revenons un peu en arrière. Pourquoi, dans un domaine qui compte déjà de très nombreuses associations, en avoir créé une de plus avec ce « Conseil national »  ? Charles Gardou : Les associations de personnes handicapées ont fait et font un travail magnifique. Ce sont elles qui, en France, ont porté des projets concrets et permis des progrès considérables. Mais leur action reste fractionnée. Et puis, il manquait un espace qui fasse le lien entre le monde des personnes en situation de handicap, l'île sur laquelle elles ont l'impression d'être reléguées, et le continent des « valides ». Avec Julia Kristeva, nous voulions désinsulariser le handicap, créer la rencontre, l'interaction. Au départ, cela n'a pas été facile. Maintenant, je pense que les associations ont compris que nous n'étions pas en concurrence avec elles, mais en complémentarité, en synergie. Plus il y a de personnes pour s'intéresser à la question, mieux c'est. On vous a aussi reproché de créer un « conseil paillettes »...

- En regroupant une centaine de personnalités du monde des arts, du spectacle, des médias, du sport, de la science, notre idée, c'était d'être audibles, d'utiliser des vecteurs capables d'être entendus de tous. Nous, universitaires, nous ne sommes guère connus hors de notre milieu, nous ne passons pas la rampe du grand public, contrairement à des personnalités comme Patrick Poivre d'Arvor, Serge Moati, Laure Adler ou Bernard Pivot, qui peuvent être des facilitateurs.

Certains se sont aussi demandés de quel bord nous étions, pour qui nous roulions. Nous nous inscrivons dans une optique républicaine, qui transcende les divisions droite-gauche. Nous voulons simplement apporter notre pierre à une meilleure prise en compte des personnes en situation de handicap dans la société.

Vous écriviez récemment que « les conditions sont réunies pour un nouvel élan » (3). Croyez-vous vraiment à un début de mobilisation citoyenne et médiatique ?

- Disons que nous sentons des frémissements... Le fait qu'un président de la République fasse du handicap l'un de ses « grands chantiers » est un signe ; que nous ayons pu créer ce conseil en y attirant des personnalités très diverses en est un autre. Dans le champ universitaire, quand j'ai créé mon premier enseignement, j'avais quelques étudiants, maintenant il y en a 200 dans l'amphi. C'est un début de prise de conscience. La difficulté, c'est le passage à l'acte.

Mais vous reconnaissez aussi que le handicap continue de faire peur...

- Il suscite souvent des réactions irrationnelles, archaïques, qui relèvent d'abord de l'ignorance et de la peur de l'inconnu. Nous véhiculons aussi des représentations millénaires du handicap - synonyme de punition des dieux à Rome, d'impureté pour l'Ancien Testament, de dangerosité au Moyen Age... - qui pèsent toujours dans le tréfonds de l'inconscient collectif. Et puis, l'Homme n'a jamais accepté de se voir brisé et mortel. On sort mal à l'aise d'un hôpital où on vient de voir des malades en chimiothérapie : on met tout de suite la radio dans la voiture pour essayer de se changer les idées. Le handicap aussi nous tend le miroir brisé de l'humain. Parce qu'on a peur de soi, de sa propre fragilité, on ne peut pas voir cette image de la vulnérabilité humaine. Entrer en relation avec des personnes touchées par le handicap suppose d'accepter la vulnérabilité qui est en chacun de nous et qui est le lot commun de l'humanité.

Vous appelez à un « changement de regard »... Cela ne tient-il pas de l'incantation ?

- C'est une autre façon de dire qu'il faut opérer une véritable révolution, c'est-à-dire une transformation profonde de la pensée et de l'action. Mais je sais que cela ne se décrète pas ! Appeler au grand cœur n'est pas efficace. Il faut agir sur les leviers du changement. Au premier rang desquels l'information et la formation. Dès l'école maternelle, l'enfant doit apprendre la diversité. S'il est élevé dans un milieu aseptisé, où il ne voit que ses semblables, il aura du mal plus tard à accepter les différences.

L'inclusion scolaire reste un sujet sensible. On l'a encore vu lors du récent débat au Sénat sur la loi « handicap ».

- Je ne décolère pas que des élus aient songé à restreindre l'obligation d'accueil des enfants handicapés à l'école en les assimilant à des fauteurs de troubles. De même, que des sénateurs aient pensé à faire sauter le délai de dix ans pour réaliser les travaux d'accessibilité est préoccupant. Ces élus confirment l'ampleur du travail qui reste à accomplir !

J'en reviens à l'impératif de formation, qui concerne aussi toutes les professions amenées à être en contact ou à répondre aux besoins des personnes handicapées et qui n'y sont pas du tout préparées. Combien d'architectes ont travaillé sur l'accessibilité des bâtiments et des villes ?Combien de médecins ont réfléchi à l'annonce du handicap ?

Je suis aussi frappé, quand on parle d'inclusion scolaire, que l'Education nationale pense tout de suite à la formation d'enseignants spécialisés. Non : tous les enseignants doivent avoir l'occa-sion de réfléchir à l'accueil de la diversité pendant leur formation. Cela doit aussi faire partie du cursus de base de tous les architectes, de tous les DRH, de tous les cadres, de tous les médecins, etc., pas seulement de quelques spécialistes. D'où l'importance que nous attachons à la création d'un institut national de formation, de recherche et d'innovation. Il aurait vocation à impulser des recherches transversales, notamment en sciences humaines, dans un domaine trop peu exploré en France. Il aurait aussi à concevoir les formations qui devraient être incluses dans de nombreux cursus initiaux.

La loi du 11 février ne prévoit-elle pas la création d'un institut de ce type ?

- Notre proposition a effectivement été formellement reprise à l'article 6 de la loi, mais sous la forme d'un observatoire, ramené, dès la phrase suivante, au seul terrain médical. Or il faut absolument sortir le handicap de la culture « médicaliste », et du registre caritatif et compassionnel à travers lequel il est encore trop souvent envisagé.

Vous restez donc critique après le vote de la loi ?

- Elle est votée et c'est dans ce cadre que nous agirons, en espérant que les décrets sortiront rapidement et l'infléchiront dans le sens des principes qui s'imposent au plan européen. Il reste que, 30 ans après la réforme de 1975 qui avait marqué un vrai bond en avant, la nouvelle loi n'est pas un étendard de la modernité, ni le texte volontariste fixant les objectifs pour les dix prochaines années que nous espérions.

A vos yeux, quelles sont ses lacunes ?

- La définition même de la « personne handicapée » reste insatisfaisante. On ne peut tout réduire à la déficience individuelle. Elle existe, certes, personne ne la nie, mais elle peut être plus ou moins lourde à porter selon l'environnement. L'école, la ville, l'entreprise peuvent aggraver ou amoindrir l'effet de la déficience. Parler de « situation de handicap » n'est pas une coquetterie sémantique : cela reconnaît qu'il s'agit d'une interaction entre une déficience avérée et des facteurs environnementaux... sur lesquels on peut agir. Les termes reflètent une philosophie.

Certes, la loi a un titre ambitieux et énonce des principes humanistes que l'on ne peut que partager. Mais derrière, il faut des engagements concrets. Par exemple, quand je lis qu'il faut assurer un revenu d'existence digne et qu'ensuite on propose 80 % du SMIC... Est-ce qu'on peut avoir une existence digne avec 80 % du SMIC, quand on voit notamment le coût du logement ?

De même, le texte finalement retenu sur l'inscription obligatoire d'un enfant à l'école du quartier doit être accompagné de mesures concrètes. Sinon, bien des établissements se mettront en conformité administrative, les enfants seront inscrits à l'école, mais ils n'y seront pas scolarisés. On ne changera pas la culture de l'Education nationale seulement en préconisant ou en exhortant. Il faut former les enseignants. On les présente souvent comme rétifs au changement, ils ne le sont pas plus que d'autres...

Vous demandiez aussi la création d'un médiateur des personnes en situation de handicap. Est-ce toujours le cas ?

- Bien sûr. On estime que 6,5 millions de personnes de tous âges sont touchées par le handicap. Si vous ajoutez leurs familles, cela fait beaucoup de monde. Il faut un médiateur, avec des relais locaux, qui se consacre exclusivement à cette question et à l'immensité des incompréhensions qui empêchent les intéressés de vivre pleinement leur vie. Outre les problèmes immédiats que son intercession aiderait à résoudre, il aurait un rôle de veilleur pour les droits des plus vulnérables et de prospecteur des réformes à entreprendre.

Quel but poursuivez-vous avec les états généraux ?

- Le temps des engagements concrets est venu. On ne peut s'en tenir à la dénonciation, il faut faire émerger des projets constructifs pour que cela bouge. D'autant qu'il se fait déjà des choses intéressantes dans tous les secteurs, chez Total comme dans de petites entreprises, à Tourcoing comme à Toulouse. Il faut que cela se sache et se répande.

Nous voulons aussi montrer que le handicap n'est pas une question marginale, qu'elle concerne tout le monde. Inscrire les personnes en situation de handicap au cœur du pacte républicain, c'est aussi contester la norme écrasante qui veut que tout le monde soit jeune, beau, performant, c'est lutter pour une société plus humaine pour tous.

Propos recueillis par Marie-Jo Maerel

UN MILLIER DE PROJETS

La presse nationale s'en est fait l'écho, mais surtout 20 quotidiens régionaux ont relayé dans de grands placards l'appel à projets lancé par le Conseil national « Handicap, sensibiliser, informer, former » (4). L'accord passé avec le Syndicat de la presse quotidienne régionale et l'ARPEJ (Association régions presse-enseignement jeunesse) prévoit aussi que les propositions donneront lieu à reportages. Résultat : un millier de projets sont remontés. « Deux sur trois présentent des initiatives déjà engagées qui peuvent servir de prototypes, un tiers expose des idées nouvelles ,constate la coordinatrice, Catherine Lawless. Parmi les huit thèmes retenus, les projets les plus nombreux concernent la vie scolaire et l'accessibilité. Pendant les débats, nous espérons que des entreprises, des régions, des villes... s'engageront par contrat à développer ou à essaimer ces idées. » Plus de 1 200 inscriptions sont aussi arrivées pour les états généraux qui se tiennent le 20 mai à l'Unesco (5).

Notes

(1)  C/o : CRHES - Université Lumière Lyon II - 16, quai Claude-Bernard - 69365 Lyon cedex 07 - Tél. 04 78 69 73 62.

(2)  Professeur en sciences de l'éducation à l'université Lumière Lyon II, Charles Gardou préside le collectif de recherches « Situations de handicap, éducation, sociétés ». Il synthétise 15 ans d'expérience et de réflexions sur le sujet dans un ouvrage qui vient de paraître aux éditions érès, « Fragments sur le handicap et la vulnérabilité ».

(3)  Dans une tribune du Monde du 16-10-04.

(4)  Voir ASH n° 2394 du 11-02-05.

(5)  Informations et inscription sur www.etatsgenerauxhandicap.net ou auprès de Catherine Lawless : 173, boulevard Saint-Germain - 75006 Paris - Tél. 01 55 55 06 55.

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