« Une société inquiète et incertaine des valeurs qui sont les siennes. » C'est le constat formulé par le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, dans son premier rapport annuel remis le 4 mai à Jacques Chirac (1). Ses services - qui interviennent dans les litiges opposant des particuliers ou des personnes morales à une administration ou à tout autre service public - auront été saisis en 2004 de près de 57 000 affaires, soit une hausse de 2,4 % par rapport à l'année précédente.
Rien qu'au siège de l'institution, à Paris, les services du médiateur ont reçu l'an passé environ 5 800 plaintes, soit 15,1 % de plus qu'en 2003. Le rapport souligne, à cet égard, la part croissante des dossiers touchant à des « questions sociales » (27,8 % au total) -c'est-à-dire entrant dans le champ de la protection sociale (2) - et aux « questions judiciaires ou afférentes à la nationalité » (23,1 %). Les 292 délégués du médiateur, répartis sur tout le territoire, ont pour leur part traité près de 22 900 réclamations - soit une hausse de 8 % - ainsi qu'environ 28 300 demandes d'information et d'orientation. Plus que les dysfonctionnements de l'administration, c'est bien souvent la complexité de la réglementation qui pose problème, note Jean-Paul Delevoye. « Une certaine inflation législative débouche sur des textes incomplets, contradictoires et dont l'interprétation se révèle de plus en plus délicate. Les citoyens sont perplexes et désarmés, les services administratifs compétents se trouvent eux-mêmes parfois submergés. »
Le rapport multiplie les exemples de litiges auxquels le médiateur a dû apporter une solution. Il contient également 21 propositions de réformes, certaines destinées à « faire cesser des situations dramatiques », tandis que d'autres, « plus modestement, s'attaquent aux petits tracas de l'existence qui, juxtaposés, ont pourtant tendance à devenir des problèmes de société ». Le médiateur de la République demande notamment la suppression de la règle imposant à l'administration de ne pas verser une aide personnelle au logement à un bénéficiaire potentiel lorsque le montant est inférieur à un seuil fixé actuellement à 24 €. Et propose qu'une aide, quelle qu'en soit le montant, soit toujours versée à partir du moment où le bénéficiaire remplit les conditions requises. « Les inconvénients qu'entraînent pour les organismes gestionnaires le paiement mensuel de ces allocations peu élevées pourraient être surmontés en instaurant un versement trimestriel, semestriel, voire annuel », estime-t-il.
Dans le collimateur de Jean-Paul Delevoye également : l'évaluation forfaitaire des ressources pour les prestations familiales (3), mode de calcul dont il ne « comprend pas les raisons qui conduisent à le maintenir ». Rappel : les ressources prises en compte pour déterminer si une personne a droit ou non à des prestations familiales sont en principe celles perçues au cours de l'année civile précédant la période où ces aides sont accordées. Toutefois, pour les personnes dont le total des revenus nets perçus pendant cette année de référence a été inférieur ou égal à un seuil fixé à 812 fois le montant du SMIC horaire, une méthode particulière de calcul - l'évaluation forfaitaire - est appliquée. Elle correspond, pour un salarié, à 12 fois la rémunération mensuelle perçue lors du mois précédant l'ouverture du droit à l'allocation et, pour un non-salarié, à 1 200 fois le SMIC horaire. Des réclamations parvenues au médiateur, tout comme les informations recueillies auprès de la caisse nationale des allocations familiales, font apparaître que « cette méthode dérogatoire a des effets injustes » , indique le rapport. « Elle crée d'importants effets de seuil, privant d'allocations des personnes aux faibles revenus et souvent en emploi précaire. » Le médiateur suggère en conséquence de la supprimer au profit de la prise en compte des ressources réelles de l'intéressé au cours de la période de référence.
Le rapport donne encore un coup de projecteur sur les grands dossiers dont s'est saisi le médiateur en 2005. Celui du surendettement des particuliers figure en haut de la pile. Des réclamations ont, en effet, d'ores et déjà attiré l'attention de Jean-Paul Delevoye sur « certains effets négatifs » de la dernière réforme en la matière (4). Les personnes qui ont fait l'objet d'une procédure de traitement du surendettement sont inscrites au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers pour une durée pouvant aller de huit à dix ans, « avec comme conséquence[...] la quasi-impossibilité de souscrire un emprunt durant cette longue période », voire d'ouvrir un compte en banque et ce, malgré l'existence du droit au compte. « Or l'exclusion bancaire augure souvent d'une exclusion sociale plus large. » Le médiateur envisage donc de proposer la révision des modalités et des implications de l'inscription à ce fichier « pour favoriser une véritable réinsertion économique et sociale des personnes ayant connu des incidents bancaires ».
(1) Document disponible sur le site
(2) Litiges mettant en cause toutes les branches d'assurance du régime général de la sécurité sociale et des autres régimes (hors fonction publique), en matière de cotisations comme de prestations, mais aussi litiges portant sur l'aide sociale et les minima sociaux, l'indemnisation du chômage, les aides à l'emploi et à la formation professionnelle.
(3) Voir ASH n° 2362 du 4-06-04.
(4) Portée par la loi du 1er août 2003 - Voir ASH n° 2350 du 12-03-04.