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Des étudiants en travail social prennent le relais

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A Nancy, le dispositif « Arc-en-ciel » propose une garde d'enfants à domicile pour les parents occupant un emploi à horaires atypiques et souffrant d'isolement familial. Originalité : les étudiants de l'Institut régional de travail social (IRTS) assurent ce service innovant qu'a mis en place le centre communal d'action sociale.

Le projet de garde d'enfants à horaires décalés baptisé « Arc-en-ciel » (1) est né dans le quartier du Haut-du-Lièvre, à Nancy (Meurthe-et-Moselle). Cette zone d'habitation de 7 000 âmes, perchée sur une colline boisée, n'a de bucolique que le nom et la route alentour. Réputé pour abriter l'une des plus grandes façades d'Europe, ce quartier paupérisé aux immeubles surdimensionnés rassemble une population fragile, souffrant du chômage (33 %) et d'éclatement familial (30 % de parents isolés).

En 2000, le groupe de travail « accueil et insertion » réunissant notamment, sous la houlette du conseil général, les travailleurs sociaux du secteur, la mission locale, le centre social et le Centre d'entraide aux Français rapatriés (CEFR), s'est penché sur les freins à l'insertion économique des habitants. « On cherchait à comprendre pourquoi, malgré des progrès sur les mesures d'accès à l'emploi, une frange de la population restait au chômage », se souvient Marie Mellinger, éducatrice spécialisée au sein du CEFR.

Plusieurs sous-groupes de travail sont mis en place, dont l'un est exclusivement consacré à la garde d'enfants. Une enquête menée au sein du quartier dresse alors un constat préoccupant. La crèche et la halte-garderie n'accueillent que les enfants dont les deux parents travaillent, et les assistantes maternelles sont en nombre insuffisant : sur les 19 personnes recensées, seules 11 sont en capacité d'accueil-lir des enfants et aucune d'entre elles ne dispose d'un agrément en horaires particuliers. Par ailleurs, une enquête menée auprès des travailleurs sociaux du quartier révèle que les personnes les plus handicapées dans leur démarche d'insertion à cause d'un problème de garde d'enfants sont celles occupant des emplois à horaires atypiques.

Une fois ce diagnostic établi, le groupe de travail tente d'imaginer un mode de garde à mi-chemin entre les assistantes maternelles et les structures d'accueil traditionnelles. « Nous nous sommes rendu compte que nous disposions de quelque chose d'extraordinaire sur le quartier : l'Ins-titut régional de travail social », rappelle l'éducatrice spécialisée. Les étudiants de l'école sont alors sollicités pour assurer, contre rémunération, ces gardes d'enfants à horaires décalés au domicile des parents. Située en plein cœur du Haut-du-Lièvre, l'école a une longue tradition d'ouverture sur l'extérieur. « L'institut a toujours tenté de s'ouvrir sur le quartier, en proposant du soutien scolaire ou des séances de cinéma, indique Pascale François, cadre de formation à l'IRTS (2). Mais cela n'a pas toujours été facile à mettre en œuvre. » L'accord de principe du centre de formation en poche, les travailleurs sociaux forment un comité de pilotage afin de rassembler les partenaires potentiels. Au terme de ce travail de prospection, le projet sera financé à hauteur de 11 000 € dans le cadre du contrat de ville pour mener une expérimentation de six mois à compter de juin 2003. « Notre action était plus qualitative que quantitative, mais cela nous a permis de vérifier qu'elle correspondait bien aux besoins des familles et des étudiants », note Marie Mellinger. Reconduite pendant un semestre, l'expérience demande un lourd travail administratif aux travailleurs sociaux qui portent le projet, au-delà de leurs fonctions habituelles (3). « L'élaboration des contrats de travail et le recrutement des étudiants nous prenaient beaucoup de temps, témoigne l'éducatrice spécialisée. Il est arrivé un moment où nous ne pouvions plus tout porter sur nos épaules. Il fallait que cela devienne une volonté politique. » La ville de Nancy, qui réfléchissait également à un système de garde à horaires décalés, découvre l'expérience menée au Haut-du-Lièvre à l'occasion d'un débat consacré au « temps des femmes ». Le centre communal d'action sociale (CCAS) prend finalement le relais à partir du 1er septembre 2004, et embauche une coordinatrice chargée d'animer le dispositif, désormais baptisé « Arc-en-ciel ». Un mode de garde « complètement intégré à la politique petite enfance de la ville », estime Elisabeth Laithier, adjointe au maire chargée de la politique familiale et de la petite enfance (4). L'expérience devrait d'ailleurs s'étendre à moyen terme. D'abord réservé aux familles isolées du Haut-du-Lièvre et en démarche d'insertion, ce service devrait profiter à toute famille nancéienne occupant un emploi à horaires décalés et souffrant d'isolement familial.

Deux pièces du puzzle qui s'emboîtent

Pour l'heure, cinq familles (dont quatre mères seules) en bénéficient, et six étudiants y participent. Les horaires de garde s'étalent au plus tôt entre 5 heures et 8 h 30 du matin, puis de 18 h 30 à minuit au plus tard. Les étudiants, rémunérés par le CCAS, sont payés 16,62 € l'heure de nuit, et 8,31 € pendant la journée (5). Les familles participent à hauteur de 31 centimes à 2,30 € l'heure de garde en fonction de leurs revenus (6). Pour les parents, cette solution a l'avantage de respecter le rythme de vie et de sommeil de l'enfant. « C'est l'étudiant qui réveille l'enfant, explique Elisabeth Laithier. Cela lui évite d'être transporté d'un lieu de garde à un autre, ce qui représente souvent un stress terrible pour les parents. » Ce mode de garde à domicile évite ainsi à l'enfant des situations déstabilisantes. « Je me souviens d'une mère qui partait travailler très tôt le matin et déposait son enfant chez la voisine, raconte Marie Mellinger. Cette garde de bricolage fonctionne tout au plus un mois ou deux. Quand on a un tissu familial ou amical très pauvre et très instable, on a un vrai besoin de sécurité par rapport à l'enfant. » Du côté des étudiants, ce dispositif leur permet de financer leurs études tout en enrichissant leur formation. Claire Cortes, en deuxième année de préparation au diplôme d'assistant de service social à l'IRTS, intervient auprès d'une famille monoparentale près de 16 heures par mois : « Mes horaires sont tout à fait compatibles avec mes études, assure-t-elle. Je suis contente de pouvoir mettre en pratique ma formation théorique. Je pense continuer l'an prochain car je souhaite, à terme, travailler avec des enfants. » Les besoins des familles et des étudiants représentent, pour Elisabeth Laithier, « deux pièces de puzzle qui s'emboîtent parfaitement ».

Etudiants et familles sont mis en relation par l'intermédiaire de la coordinatrice du dispositif, chargée de recevoir et de traiter les demandes émanant des uns et des autres. Les familles sont généralement orientées par des institutions partenaires (centre médico-social, travailleurs sociaux du CCAS, centre maternel, gîte familial...). « Quand les familles me contactent, je fais une première évaluation au téléphone puis je me rends au domicile, explique Cathy Poirson, assistante sociale de formation. Je vérifie en priorité s'il y a un projet professionnel ou de formation en toile de fond, et s'il n'existe pas d'autre solution de garde au sein de la famille. » Les étudiants, recrutés sur curriculum vitae et lettre de motivation, sont présentés à la famille par la coordinatrice. « J'accompagne l'étudiant au domicile familial pour qu'il prenne connaissance en même temps que les parents du dispositif, indique-t-elle. Il faut un certain temps pour que la confiance s'instaure entre les deux parties. » Véritable trait d'union entre plusieurs modes de garde, le dispositif « Arc-en-ciel » ne viendrait pas, selon Cathy Poirson, concurrencer le travail des assistantes maternelles : « Il ne s'agit pas pour ces étudiants de s'occuper d'enfants d'âges différents de 7 heures du matin à 18 heures, justifie-t-elle. Ils font au maximum un lever ou un coucher, un biberon ou un repas et, parfois, de l'aide aux devoirs. De plus, les horaires décalés ne semblent pas intéresser les assistantes maternelles. » Pas de doute non plus quant à la capacité de ces étudiants à s'occuper de jeunes enfants. « Le fait qu'ils soient issus de l'IRTS nous donne une garantie, poursuit la coordinatrice .Les étudiants utilisent même ce qu'ils apprennent à l'école, comme la tenue d'un cahier de liaison à destination des parents. D'autres vont essayer de faire jouer les enfants au lieu de les laisser devant la télévision. » Pour Marie Mellinger, les difficultés ne résident pas tant dans l'approche de l'enfant que dans celle de la famille. « L'étudiant n'est pas là en tant que travailleur social mais pour garder un enfant, estime-t-elle. Les parents doivent rester les chefs. Certes, l'étudiant doit veiller aux risques de mise en danger, mais il ne doit pas juger leur mode de vie et doit savoir garder ses distances. » Un rapport aux familles qui ne va pas forcément de soi quand on suit une formation d'assistante sociale. Claire Cortes, qui garde une petite fille dont la mère est en contrat emploi-solidarité, avoue dépasser régulièrement son rôle de baby-sitter. « Je suis dans une famille aux problématiques sociales assez lourdes, indique-t-elle . A la base, je ne suis là que pour garder la petite, mais j'essaie de faire évoluer la maman sur certains points, comme ses rapports avec les services sociaux, l'hygiène de l'appartement et l'éducation de sa famille. Et je remarque que des choses changent. Au début, la maman partait dès mon arrivée. Maintenant, on prend le temps de parler. » Si les étudiants ont parfois du mal à se situer par rapport aux parents, il se développe, au fil du temps, de « beaux échanges avec la famille », remarque Marie Mellinger.

Une évaluation du dispositif réalisée en novembre 2004 indique que ce mode de garde produit des effets bénéfiques sur l'insertion économique. Ce service innovant a permis, selon les cas, l'accès à une formation ou le maintien, voire la reprise, d'un emploi. Par exemple, une mère ayant failli quitter son emploi après le départ de son compagnon a pu conserver son poste grâce au dispositif « Arc-en-ciel ». Prochainement, une nouvelle famille - dans laquelle le père est chauffeur routier -bénéficiera du dispositif. Si une bonne dizaine d'étudiants de l'IRTS, inscrits sur liste d'attente, sont prêts à travailler au sein d'autres familles nancéiennes, l'extension du dispositif risque cependant de trouver, un jour, ses limites. « Le vivier des étudiants de l'IRTS n'est pas intarissable, prévient Marie Mellinger. Il faudra veiller à ne pas recourir à n'importe quel étudiant. » Une limite dont Elisabeth Laithier a pleinement conscience : « Nous n'aurions jamais confié ce travail à des étudiants en mathématiques ou en gymnastique... »

Florence Pagneux

DES VILLES S'INVESTISSENT

Des services de garde à horaires décalés, assurés à domicile et en complémentarité des services existants ont déjà été instaurés dans plusieurs villes de France. L'association Parenbouge a mis en place avec le soutien de la ville de Rennes le service « Parendom », qui propose des gardes d'enfants la nuit, le week-end ou lors d'imprévus (Tél. 02 99 33 92 29). A Lorient, Vannes et Lanester, la prestation « Bambino service » offre un service de garde 24 heures sur 24 (association Adapar : Tél.02 97 21 12 13). Enfin, à Poitiers, l'association Temps Dem prévoit des gardes à horaires atypiques (Tél. 05 49 39 21 86). A la différence du dispositif « Arc-en-ciel » de Nancy, ces services font intervenir des professionnels de la petite enfance et non des étudiants en travail social.

Notes

(1)  Dispositif « Arc-en-ciel » - Multi-accueil David Abensour : 35, avenue de Boufflers - 54000 Nancy.

(2)  IRTS de Lorraine : 201, avenue Raymond-Pinchard - 54100 Nancy - Tél. 03 83 93 36 36.

(3)  Une expérimentation portée à bout de bras par deux personnes : Marie Mellinger, éducatrice spécialisée au CEFR, et Géraldine Flosse, assistante sociale.

(4)  Ce dispositif entre dans le cadre du contrat enfance qui lie la caisse d'allocations familiales à la mairie.

(5)  La garde qui a lieu après 7 heures et avant 22 heures est payée en horaire de jour. La rémunération indiquée est brute.

(6)  La somme restante est financée par la caisse d'allocations familiales, le conseil général, la communauté urbaine du Grand Nancy dans le cadre du contrat de ville et le CCAS.

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