L'ordre de grandeur était déjà connu et il se confirme : pour 2004, le déficit global des départements au titre du revenu minimum d'insertion (RMI) tourne autour de 430 millions d'euros, plus ou moins 10 millions (1). Soit à peu près 8 % du montant des allocations. Les sommes versées aux bénéficiaires atteignent en effet environ 5,36 milliards d'euros (un chiffre qui varie légèrement selon les sources et qui ne sera définitivement connu que dans un ou deux mois, quand tous les comptes administratifs des départements auront été validés). Dans l'autre plateau de la balance, la part de la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) affectée à titre de compensation aux conseils généraux n'atteint que 4,94 milliards d'euros. Pour 2004, le gouvernement a promis une compensation « à l'euro près », qui devrait intervenir à l'automne avec une loi de finances rectificative.
Mais pourquoi ce décalage ? s'est demandé l'observatoire de la décentralisation du Sénat, créé en janvier dernier (2), qui tire le bilan de la première année de décentralisation complète du RMI dans son premier rapport (3). D'une part, la dépense a beaucoup augmenté avec le bond de 9 % du nombre des allocataires (soit près de 100 000 de plus) en un an. Cela, du fait de la conjoncture économique (le chômage a augmenté de 1,6 % pendant cette même année) mais surtout à cause de la réforme de l'assurance chômage, qui a réduit les durées d'indemnisation et fait basculer plus précocement les demandeurs d'emploi dans le RMI (4).
D'autre part, les recettes issues de la TIPP se révèlent « peu dynamiques ». La taxe correspond à un forfait pour chaque type de carburant (qui va de 8,31 €à 13,56 € par hectolitre). Son produit varie donc avec les volumes consommés. Or ceux-ci diminuent notamment du fait des limitations de vitesse et de l'amélioration du rendement des moteurs. Deux excellentes raisons... qui permettent de penser que, à montant égal, le produit de la taxe ne devrait guère augmenter à l'avenir.
« Recettes et dépenses évoluent donc en sens opposé, résume Michel Mercier, rapporteur de l'observatoire et président du conseil général du Rhône. Or le département, qui gère le RMI, n'a de prise en amont ni sur la réglementation qui modifie le nombre de bénéficiaires ni sur le montant de la TIPP », regrette-t-il. D'où une série de propositions, dont le premier volet est financier.
Pour asseoir des « modalités pérennes », qui ne nécessitent « pas d'ajustements chaque année », l'observatoire suggère de diversifier les sources de financement. Il s'agirait à la fois d'augmenter la fraction de la TIPP reversée aux départements, de l'ordre de 1 € par litre, de leur transférer une nouvelle part de la taxe spéciale sur les conventions d'assurance et d'y ajouter une dotation différentielle, qui pourrait être adaptée en permanence à la dépense, à la hausse comme à la baisse d'ailleurs. Les sénateurs proposent également d'intégrer la prise en compte du nombre de titulaires du RMI dans la dotation globale de fonctionnement de tous les départements, plus seulement dans celle des seuls départements urbains. Cette péréquation devrait toutefois être modulée en fonction des efforts de gestion desdits départements, ce qui pourrait se traduire par une pondération en fonction du nombre de bénéficiaires dotés d'un référent et titulaires d'un contrat d'insertion.
Autre volet sensible des relations Etat/conseils généraux : la compensation des charges de personnel. Alors que le transfert de compétences aurait dû se traduire par une mise à disposition des agents correspondants, ce n'est pas toujours le cas, loin de là, estime l'observatoire. Les départements interrogés situent souvent de un à six le rapport entre les effectifs nécessaires et les personnes affectées par les préfets. Le rapport demande « davantage d'exhaustivité ».
L'observatoire souhaite aussi une amélioration des relations entre les départements et leurs partenaires. Les caisses d'allocations familiales, dont le service lui paraît globalement satisfaisant, doivent se montrer « plus réactives » aux demandes des conseils généraux, notamment quand il s'agit d'extraire des données de leurs fichiers. Le jugement sur l'ANPE est moins amène et pourrait se résumer en un mauvais rapport qualité-prix. L'observatoire lui demande donc une diminution du tarif des mises à disposition des agents travaillant sur l'insertion professionnelle (58 000 € par équivalent temps plein), un encouragement aux initiatives locales et l'adoption d'une « culture du résultat », avec des objectifs chiffrés contraignants.
Les sénateurs plaident également pour que les départements soient associés aux mesures nationales qui affectent, directement ou indirectement, le RMI. Ils pensent bien sûr à la gestion de l'assurance chômage et de l'allocation de solidarité spécifique, mais aussi aux évolutions des contrats aidés, qui constituent leur « premier outil » d'insertion. Ils souhaitent à cet égard que la maîtrise du contrat d'avenir soit confiée aux seuls départements, et non indifféremment à ceux-ci ou aux communes et communautés de communes (5).
Dernière recommandation, adressée cette fois aux conseils généraux eux-mêmes : utiliser tous les outils à leur disposition pour gérer le RMI de manière « efficace et rigoureuse ». A eux de contrôler les allocataires - Michel Mercier assure, expérience faite dans son département, que les fraudeurs sont peu nombreux -, et de les suivre par un référent nommément désigné, avec un contrat d'insertion (qui peut, pour les plus éloignés de l'emploi, ne comporter que des mesures sociales). Enfin, un « forum des bonnes pratiques » permettrait d'échanger méthodes et idées.
M.-J.M.
(1) L'Assemblée des départements de France donnait un chiffre très proche, de 435 millions, dès février - Voir ASH n° 2394 du 11-02-05.
(2) Voir ASH n° 2391 du 21-01-05. Les élus de gauche ont refusé d'y siéger.
(3) Le RMI : d'un transfert de gestion à une décentralisation de responsabilité - Disponible sur
(4) Voir ASH n° 2399 du 18-03-05.
(5) Voir ASH n° 2403 du 15-04-05.