« Il faut que d'ici un an ou deux le mariage simulé soit quelque chose dont on parle au passé », a déclaré Dominique Perben le 2 mai, à l'issue d'une rencontre avec les magistrats de Nantes. Une réunion au cours de laquelle le garde des Sceaux a dévoilé une circulaire de 22 pages, véritable guide pratique à l'intention des parquets mais aussi et surtout des officiers de l'état civil. Le texte détaille ainsi les différents procédés utilisés par les personnes qui cherchent à contracter un mariage simulé ainsi que les moyens à mettre en œuvre en cas de suspicion. La détection des unions fictives « n'est pas toujours aisée », a expliqué le ministre, convaincu que « les intéressés et leurs intermédiaires sont de plus en plus rompus au déroulement des procédures et enquêtes et se sont préparés ou ont été formés pour les affronter ». Le ministre espère ainsi, avec la circulaire, apporter notamment aux maires « un certain nombre de réponses très précises sur le sujet ». Ce sont eux en effet qui, en pratique, sont aux premières loges pour alerter les parquets en cas de doute sur la validité d'un mariage. Le procureur dispose alors d'un délai d'un mois, renouvelable une fois, pour enquêter puis s'opposer ou donner son accord au mariage.
Qu'entend-on par « mariage simulé » ? La circulaire indique qu'il s'agit de « tout mariage qui ne repose pas sur une volonté libre et éclairée de vouloir se prendre pour mari ou femme, qu'il ait été conclu exclusivement à des fins migratoires ou pour obtenir un avantage professionnel, social, fiscal ou successoral ». Cette notion recouvre donc le mariage de complaisance - mariage « blanc » - mais aussi les mariages forcés, dans lesquels l'époux se trouve privé de la liberté soit de se marier ou de rester célibataire, soit de choisir son conjoint.
Le garde des Sceaux explique que c'est le défaut d'intention matrimoniale qui doit être recherché pour mettre au jour de telles unions. Plusieurs éléments sont, à cet égard, de nature à éveiller les soupçons, selon lui (1) : aveu des conjoints sur leurs motivations (obtention d'un titre de séjour, d'une mutation, etc.), indication d'une adresse erronée, fausse ou incertaine, distorsions sur les circonstances dans lesquelles les conjoints ou futurs conjoints déclarent s'être rencontrés ou sur des informations personnelles (méconnaissance des familles de chacun...), erreurs sur leurs coordonnées respectives, incompréhension entre eux en raison de l'absence de langue compréhensible par les deux, retards répétés et non justifiés pour produire les pièces du dossier de mariage, présentation de ce dossier et accomplissement de diverses formalités par un seul époux sans que l'autre y soit jamais associé, projets de mariages de couples différents comportant les mêmes témoins, intervention dans plusieurs dossiers de mariage d'une même personne servant d'intermédiaire voire d'interprète...
Dans le cas particulier des mariages forcés, d'autres indices permettent plus spécifiquement d'avoir un doute sur la liberté du consentement au mariage : personne en situation personnelle ou sociale précaire, connaissance par l'officier de l'état civil d'une situation personnelle ou sociale particulière qui laisse présumer que l'intéressé, compte tenu de ses conditions de vie ou d'hébergement, ne peut accepter l'union en toute liberté, état d'hébétude ou existence de traces récentes de coups constatées lors du dépôt du dossier ou de la cérémonie, déclaration - même rétractée - du futur conjoint sur les pressions subies du fait de tiers, de l'autre conjoint, de ses parents ou proches.
Les officiers de l'état civil sont invités à vérifier l'intention matrimoniale des futurs conjoints à chaque moment de la procédure. Préalablement à la célébration du mariage tout d'abord. La constitution du dossier de mariage doit être ainsi l'occasion de vérifier le domicile des intéressés. Il s'agit d'une vérification « fondamentale », explique le ministre, car « en pratique, il n'est pas rare que des futurs époux se fassent fictivement domicilier dans une commune dont ils estiment que l'officier de l'état civil sera moins vigilant que celui de la commune de la résidence réelle ». C'est également à ce stade qu'il convient de s'assurer que chacun des deux contractants n'est pas déjà marié et qu'il a bien la capacité de le faire (âge et capacité juridique).
Autre moment clé où les officiers d'état civil sont appelés à la vigilance : la publication des bans. La remise du certificat médical, formalité à laquelle cette publication est subordonnée, peut ainsi être l'occasion de relever « certains indices d'absence de consentement ou la présence de « filières » ». Ce sera le cas par exemple s'il est constaté que dans plusieurs dossiers de mariages déposés dans une même commune sont produits des certificats établis par le même médecin alors qu'il n'existe aucun lien objectif direct entre ce médecin et les intéressés, indique la circulaire. Par ailleurs, toujours à ce stade, le maire et ses adjoints ont l'obligation, en cas de doute sur la volonté matrimoniale, de procéder à l'audition préalable des candidats au mariage, le cas échéant séparément. « Elle amène certains futurs conjoints à abandonner leur projet, conscient de son irrégularité et informés des sanctions auxquelles ils s'exposent », explique le garde des Sceaux.
Enfin, lors de la célébration du mariage, le maire peut interrompre la cérémonie et saisir le procureur de la République s'il constate que des éléments contredisent clairement le consentement exprimé (futur conjoint conduit sous la contrainte, attitude menaçante de l'entourage...). S'il a simplement un doute sur la sincérité du consentement, il ne peut pas refuser de prononcer le mariage mais peut dresser un rapport au procureur de la République afin que des investigations puissent être ordonnées. Quoi qu'il en soit, pour constater le consentement au mariage, il ne doit y avoir aucun doute sur l'identité des futurs époux et de leurs témoins. Ceux-ci ne doivent donc pas se présenter le visage dissimulé par « le port d'un signe vestimentaire [...], qu'il ait une vocation religieuse, traditionnelle ou décorative ». Cela ferait « notamment courir le risque de substitution de personne », souligne le garde des Sceaux.
Signalons que la chancellerie appelle à « une attention particulière » sur la situation des candidats au mariage en situation irrégulière au regard des règles d'entrée et de séjour sur le territoire français. « En aucun cas », en effet, l'officier de l'état civil ne peut refuser de célébrer le mariage d'un étranger au seul motif qu'il est clandestin. « De la même façon, le signalement qu'il adresse au procureur de la République ne peut être fondé sur ce seul motif », qui ne saurait d'avantage justifier à lui seul, de la part du parquet, une action de sursis ou d'opposition au mariage. Pour mémoire, la loi Sarkozy du 26 novembre 2003, qui prévoyait à l'origine le contraire, est tombée, sur ce point, sous le couperet du Conseil constitutionnel.
(1) Pour mémoire, c'est la loi « Sarkozy » du 26 novembre 2003 qui prévoit que le maire peut saisir le parquet lorsqu'il existe des « indices sérieux » laissant présumer que l'union envisagée est un mariage de complaisance - Voir ASH n° 2336 du 5-12-03.