« La mission - difficile - des professionnels de la protection de l'enfance les amène à côtoyer des enfants en souffrance, des enfants maltraités, des enfants abandonnés. Comment supporter l'un après l'autre, au fil des heures, des semaines, des mois, des années, ces enfants en souffrance qui les interpellent ?
Certaines hiérarchies actuelles des institutions de protection de l'enfance font appel à deux modèles : le modèle médical - selon lequel on traite "chirurgicalement" l'objet de soins, sur la base d'un diagnostic et de modes opératoires dans un souci d'objectivation -, et le modèle gestionnaire, qui traite "administrativement ", à partir de protocoles, de discours formatés issus du management commercial ( "objectifs ", etc.), ne prenant pas en compte les affects.
L'enfant en tant que sujet : évaporé !
Et toujours les décideurs sont les plus éloignés du quotidien de la souffrance des enfants. Tout le système contribue à l'isolement désaffectivé du travailleur social de la protection de l'enfance. L'important, c'est que ces enfants défilent de plus en plus vite. Tellement anonymes et stéréotypés que l'émotion peut disparaître. Ils deviendront une statistique. L'idéal, pour certains, serait que la situation de ces enfants soit évoquée en dix minutes dans un souci d'objectivation médicale et de gestion administrative ; et ceux qui se révolteront seront des hystériques, il paraît que c'est une tradition dans le service social...
Je me prends à rêver parfois d'une résurgence des notions de thérapie institutionnelle. Et d'une prise de conscience générale !
Attention je ne fais pas le procès de quelques individus qui cherchent à museler leurs inquiétudes et celles de leurs collègues. Il me semble que ce sont le système, les présupposés institutionnels et les moyens donnés qu'il faut remettre en question.
Il nous faut découvrir, redécouvrir, conforter le "discours clinique" en travail social. A force de tirer l'éducatif et le social du côté du modèle médical ou du modèle gestionnaire, certains ont "oublié" qu'il existait un modèle clinique. Ne pas en rester aux symptômes. Mais s'ouvrir à la recherche du sens. Le sens des symptômes, la recherche de la place du sujet pour l'enfant, la part de l'inconscient dans les familles mais aussi dans les institutions. Sinon, comment comprendre, pour certaines situations, l'accumulation de dysfonctionnements créant une maltraitance pour l'enfant en plus de celle dont il est victime dans sa famille ?
Autrement dit, si l'on se limite à une énumération factuelle dans un projet d'assistance éducative, on passe forcément à côté de la problématique véritable de l'enfant et de sa famille. L'agitation, la prise de risque sont résolues grâce à la Ritaline, les actes provocants grâce à un rappel de la loi. Et l'épaisseur psycho-affective de la problématique disparaît, l'histoire de l'enfant, les ruptures affectives, l'abandon, la maltraitance subie qui pourraient induire une autre réponse à ses actes, à son comportement, sont écartés. Au détriment de sa place de sujet. Le discours clinique en travail social, c'est peut-être la prise en compte de cette épaisseur psycho-affective des situations, avec, par conséquent, la recherche du sens des symptômes et l'attention portée au ressenti du professionnel : quelle réaction émotionnelle le comportement de l'enfant et les relations avec la famille produisent-ils en lui ?
Ne pas s'ouvrir à cette démarche, c'est aboutir à une instrumentalisation des travailleurs sociaux et risquer, à terme, la démotivation professionnelle et le burn out ».
Thierry Cazejust Association pour la protection de l'enfance et de l'adolescence : 69, avenue de Toulouse - 34070 Montpellier - Tél.04 67 42 66 44.