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Un service nocturne dédié aux familles à la rue

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Le SAMU social de Paris a mis en place, à titre expérimental, une équipe mobile de nuit et un service d'accueil médicalisé exclusivement destinés aux familles à la rue. Testé dans le cadre du plan hivernal qui s'est achevé le 31 mars dernier, le dispositif pourrait être pérennisé au vu des résultats de l'évaluation menée actuellement.

La nuit est tombée sur Paris. Une camionnette blanche du SAMU social sillonne à vive allure les grands boulevards de la capitale. Sa mission : récupérer des familles (couples ou adultes avec enfants) à la rue qui viennent de composer le 115.

Ce soir-là, Laurence (1) a sollicité un hébergement d'urgence depuis un commissariat du XIXe arrondissement. Accompagnée de ses deux enfants de 12 et 18 ans, cette femme aux traits tirés vient de quitter le domicile conjugal pour fuir un mari violent. Puis c'est un couple kurde et deux fillettes de 4 et 8 ans, lestés de bagages pleins à craquer, qui appellent à la rescousse. Originaires de Turquie, ils sont arrivés en France après un séjour de plusieurs mois en Finlande et viennent de trouver porte close devant un centre d'accueil de demandeurs d'asile du VIIearrondissement parisien. Tard dans la soirée, une mère récemment régularisée et son jeune enfant demandent à leur tour de l'aide, faute de logement durable. En une seule nuit, sept familles auront sollicité un hébergement d'urgence auprès du 115, et bénéficié du nouveau dispositif mis en place par le SAMU social.

Depuis quatre ans, le nombre de familles qui échouent dans la rue explose. Devant ce constat, la direction des affaires sanitaires et sociales (DASS) de Paris a demandé au SAMU social d'imaginer, dans le cadre du plan hivernal, un dispositif d'urgence propre à cette population. Du 8 novembre 2004 au 31 mars dernier, deux services complémentaires ont été expérimentés par le SAMU social : « l'équipe mobile familles » et « l'accueil médicalisé familles ».

L'équipe mobile, composée d'un chauffeur et d'un travailleur social, est chargée de récupérer, entre 20 h 30 et 5 heures du matin dans Paris intra-muros, toute famille ayant appelé le 115 après 19 h 30 (2).

Une fois recueillie, la famille est accompagnée à l'hôpital Rotschild pour un accueil médical spécialisé. Une animatrice et un médecin de l'Ordre de Malte reçoivent les familles dans une aile vide de l'établissement. Les enfants de moins de 15 ans y sont auscultés, et un certificat de « non contre-indication de la vie en collectivité » leur est délivré. Une formalité nécessaire pour bénéficier de l'hébergement d'urgence.

Deux lieux d'accueil pour la nuit sont ensuite proposés aux familles : le centre Baudricourt, utilisé par Emmaüs, qui reçoit celles accompagnées d'enfants de plus de 2 ans, et le pavillon Quentin géré par la Ville de Paris au sein de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, qui accueille celles dont les enfants ont moins de 3 ans. Un hébergement en hôtel est utilisé en dernier recours. Dès le lendemain matin, les familles doivent à nouveau appeler le 115 afin de prendre contact avec des centres d'hébergement adaptés à leur situation (3).

Ce dispositif entièrement dédié aux familles présente l'intérêt de ne pas les mêler aux personnes isolées. Et de laisser la possibilité aux équipes mobiles d'aide traditionnelles de se concentrer sur ces publics. « La personne isolée va avoir besoin de nous ponctuellement soit pour un hébergement, soit pour manger ou savoir où se laver, explique Valérie Coton, du SAMU social. La famille, qui n'a aucune expérience de la rue, a quant à elle besoin d'une aide dans sa globalité. »

Une errance passagère

Les familles se retrouvent généralement à la rue du jour au lendemain. Une errance passagère aux origines diverses. La famille peut, par exemple, venir de poser le pied dans la capitale, après avoir quitté son pays d'origine. Mais elle peut aussi vivre à Paris depuis plusieurs mois et avoir été chassée par le tiers qui l'hébergeait. Ou encore fuir des violences conjugales. « Cela dépend des heures, témoigne Axelle de Vergès, conseillère en économie sociale et familiale de formation, une des deux travailleuses sociales de l'équipe mobile familles, qui se sont relayées tout l'hiver. Au moment du retour du travail, on réceptionne les personnes mises à la porte et, en fin de soirée, on récupère les femmes victimes de violences. »

Entre le début du mois de novembre et le 13 mars dernier, 444 familles ont bénéficié de ce dispositif innovant. Au total, 710 ont fait appel au 115 pendant la journée ou la nuit. Soit 1 913 personnes, dont 914 enfants. Ces chiffres sont en nette hausse par rapport au début de l'année 2000, où le SAMU social enregistrait tout au plus une centaine de demandes par an.

La plupart des familles sont d'origine étrangère, demandeuses d'asile ou déboutées. « Les passeurs leur font miroiter plein de choses, mais quand elles arrivent ici, elles n'ont ni argent, ni papiers. Le seul conseil qu'on leur donne, c'est d'appeler le 115. » Massivement originaires d'Afrique noire, d'Afrique du Nord ou de Roumanie, ces familles trouvent refuge dans une cage d'escalier, un hall de gare, un quai de métro ou un parking couvert.

Quand elles appellent le 115, le permanencier leur demande généralement de se déplacer. « On leur dit d'attendre le camion de l'équipe mobile dans un lieu abrité et sûr, comme un commissariat, les urgences d'un hôpital ou encore un fast-food », explique Valérie Coton. Le véhicule sillonne le plus souvent les quartiers du nord et du centre de la capitale.

A de rares exceptions près, ces publics n'ont aucune expérience de la vie dans la rue. « J'ai cependant connu une famille roumaine qui vivait sous un échafaudage de travaux depuis six mois, raconte Axelle de Vergès. Les familles d'origine française sont souvent les plus cassées, à l'image des personnes isolées. Elles sont sans emploi, sans qualification et souffrent de problèmes de santé ou psychiatriques, aggravés par des ruptures familiales ou conjugales. »

Mais le travail auprès des familles se révèle très différent de la prise en charge des personnes isolées. « Les équipes mobiles d'aide traditionnelles vont vers des personnes qui ont un lieu de vie dans la rue, poursuit la travailleuse sociale. L'errance des familles est en revanche très rare. » Lorsque la famille s'installe dans le camion de l'équipe mobile familles, la travailleuse sociale profite du temps de trajet pour échanger quelques mots. « Quand je suis en présence de femmes battues, j'essaie de leur faire prendre conscience de leur situation et leur détaille les solutions mises à leur disposition dans la capitale, indique Axelle de Vergès. Mais ce temps de parole reste très court. Et quand plusieurs familles sont transportées en même temps, j'évite de croiser les histoires de vie » (4).

« Je ne reverrai plus ces familles le lendemain, explique la travailleuse sociale. Ce sont les autres institutions qui prennent le relais. Notre service doit rester un dispositif d'urgence dans lequel les familles n'ont pas vocation à s'installer. Elles doivent rester actives et entreprendre elles-mêmes des démarches d'insertion. »

A la fin de sa tournée, Axelle de Vergès entre des informations sur les familles recueillies dans la base de données du SAMU social, et établit un rapport d'activité destiné à l'équipe du lendemain. Elle peut, si nécessaire, rédiger un rapport annexe. « Il m'est arrivé par exemple d'évoquer le cas d'un hôtel insalubre », ajoute-t-elle.

Un accueil bienveillant

L'accueil médicalisé familles installé à l'hôpital Rotschild, dispositif complémentaire de l'équipe mobile familles, a pour sa part permis d'examiner 365 enfants entre le 8 novembre et le 13 mars dernier.

Dans le rez-de-chaussée d'une aile vide du centre hospitalier, des chambres de repos, une salle de consultation ainsi qu'une salle de jeux et d'attente ont été aménagées (5). Au mur, les dessins des enfants, passés par là quelques heures, ont été accrochés. La plupart d'entre eux représentent de grandes maisons entourées d'un jardin. « Tout ce dont ils rêvent et qu'ils n'ont pas », interprète Wahiba Ould-Kaci, l'animatrice du lieu, chargée d'accueillir les familles aux côtés du médecin.

Au total, deux animateurs et sept médecins dont deux bénévoles se relaient chaque nuit pour assurer une présence de 20 heures à 5 heures du matin (6). L'animatrice est chargée de recevoir les familles dans les meilleures conditions possibles : « Il faut discuter, offrir l'hospitalité, car ces personnes arrivent en état de choc, explique-t-elle. Mais elles ne parlent que si elles en ont envie. Moi je joue ou chante avec les enfants, pour que les parents se détendent. Je leur offre le thé ou le café ainsi que des collations aux enfants. Ici les familles ont une petite reconnaissance de leur douleur. C'est un moment pour souffler avant de découvrir l'anonymat du centre d'hébergement. »

Une pause bienvenue pendant laquelle les enfants sont auscultés, un par un. Ces derniers sont plutôt jeunes, leur moyenne d'âge s'établit à environ 4 ans. « Nous avons même reçu des bébés d'à peine quelques jours, précise Christine Rigutto, médecin. C'est difficile d'imaginer ces très jeunes enfants dans la rue le lendemain matin à 8 heures, à la fermeture des centres d'hébergement d'urgence. » Elle reçoit également de nombreuses femmes enceintes, « environ une ou deux par semaine ». Les pathologies diagnostiquées chez les enfants sont généralement légères :rhino-pharyngites, gastro-entérites, diarrhées... En cinq mois, un seul d'entre eux a été hospitalisé pour une bronchiolite.

Ce passage par l'hôpital avant de rejoindre le centre d'hébergement comporte néanmoins une limite :celle d'allonger l'attente des familles. « Quand je récupère une famille à 23 heures, je sais qu'elle ne pourra pas dormir avant 2 heures du matin », regrette ainsi Axelle de Vergès, qui estime que la mise en place d'une instance médicale au sein même du camion permettrait de réduire les délais d'attente (7).

La travailleuse sociale insiste également sur la qualité de l'hébergement des familles. « Les places en centre d'hébergement devraient être pérennisées afin de ne pas avoir à recourir aux hôtels, estime-t-elle. Certains hôteliers ne respectent pas les règles élémentaires d'hygiène et de sécurité : les draps sont sales, les chauffages défectueux et l'installation électrique dangereuse. » Le SAMU social, qui procède actuellement à une évaluation du dispositif financé par la DASS de Paris, souhaiterait prolonger l'expérience au-delà du plan hivernal. Devant l'explosion du nombre de familles naufragées dans les rues parisiennes, la mise en place d'une prise en charge appropriée semble avoir prouvé son utilité.

Florence Pagneux

Notes

(1)  Son prénom a été modifié.

(2)  Pendant la journée, les familles qui contactent le 115 pour demander un hébergement d'urgence s'y rendent par leurs propres moyens. A partir de 19 h 30, leurs appels sont basculés vers l'équipe mobile familles, qui vient les chercher dans Paris. A noter qu'un « pôle familles » a été créé au sein du centre d'appels du 115 en 2001.

(3)  Le SAMU social a noué un partenariat avec l'Ordre de Malte pour prendre en charge les personnes déboutées, et avec l'Association pour l'accompagnement social et administratif des migrants et de leurs familles (APTM) pour les demandeurs d'asile. Les primo-arrivants sont dirigés vers la Coordination d'accueil des familles demandeuses d'asile (CAFDA).

(4)  Quand un trop grand nombre de familles appelle dans la même nuit, une équipe mobile d'aide, qui prend traditionnellement en charge les personnes isolées, vient en renfort. Le plus grand nombre de familles recueillies en une nuit s'élève à 16.

(5)  Du lait, des couches ou des vêtements sont distribués aux familles selon les besoins.

(6)  La consultation est assurée par un médecin salarié du SAMU social ou par un médecin bénévole mis à disposition par les Œuvres hospitalières françaises de l'Ordre de Malte.

(7)  A la différence de l'équipe mobile familles, les équipes mobiles d'aide qui interviennent auprès des personnes isolées sont composées d'un travailleur social, d'un chauffeur et d'un infirmier.

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