On pose souvent comme postulat que le handicap mental est de l'ordre de l'impensable, aussi bien pour les parents d'enfants handicapés que pour ces derniers et pour les soignants qui les entourent, explique Simone Korff-Sausse, psychologue et psychanalyste. Il est vrai que la découverte d'une anomalie chez leur enfant constitue un choc d'une telle intensité qu'il provoque l'effroi et la sidération des parents. Pour autant, ce n'est pas tant leur faculté de penser qui est mise en échec que leur capacité à supporter les représentations mobilisées par le handicap :tellement intolérables, elles sont aussitôt refoulées, « laissant place à ce vide de l'innommable ». C'est aussi le caractère insupportable de la souffrance de ces enfants qui conduit les adultes à préférer les imaginer, tels des « imbéciles heureux », incapables de penser eux-mêmes leur situation, ajoute-t-elle. Or, quelles que soient les limites de leur accès au langage, « tous les enfants, même très jeunes et très déficients, prennent conscience de leur handicap », estime la psychothérapeute.
Encore faut-il, cependant, être convaincu qu' « il y a du psychisme qui déborde le langage ». Prenant un geste, une onomatopée, un clignement d'œil pour une adresse à l'autre, « nous faisons d'emblée le pari que tel comportement a du sens », développe Claire Morelle, également psychanalyste et psychothérapeute. Autrement dit, à la personne handicapée qui ne parle pas - enfant ou adulte -, « nous prêtons notre pensée pour la panser, pour s'occuper d'elle et chercher à comprendre ce qu'elle tente de nous signifier ». Indispensable pour travailler avec l'intéressé, cet exercice n'est pas sans risques. Risques, notamment, de se projeter massivement et de ne pas entendre l'autre, ou de l'empêcher de penser et de l'aliéner à ses désirs de soignant. Aussi, les professionnels doivent-ils, en équipe, confronter leurs hypothèses et leurs diverses manières de décoder un message qui ne passe pas par les mots, souligne Claire Morelle.
« Si l'on se place à l'écoute du sujet, quelle que soit sa déficience, on se place sur le versant inconfortable de l'éthique », explique, pour sa part, le psychologue Philippe Lecorps, évoquant l'engagement des intervenants sociaux face à la sexualité des personnes qui leur sont confiées. Confrontés au « choix d'une réponse à la question du sujet, d'où le sujet ne sera pas exclu », il leur faut construire, avec les intéressés et leur entourage, « les solutions les plus humaines possibles ». Ce qui suppose un effort de réflexion et d'analyse auquel concourt cet ouvrage, réunissant un ensemble de contributions qui ouvrent de multiples pistes pour « penser le handicap mental ». Penser le handicap mental - Sous la direction de Gérard Zribi et Jean-Louis Chapellier - Ed. ENSP - 25 €.