A la croisée entre droit des familles et devoir de protection de l'enfance, aide et contrôle, l'intervention éducative en milieu ouvert constitue une rencontre d'autant plus délicate que différents mécanismes psychosociaux influencent l'action des travailleurs sociaux. Il en est ainsi des représentations sociales, individuelles et collectives, qui guident les comportements et les pratiques professionnels. « Nous voyons ce que nous voulons voir », explique Catherine Sellenet, professeur en sciences de l'éducation, « sélectionnant l'information qui nous parvient, puis, dans un deuxième temps, lui donnant un sens en fonction de nos attentes, elles-mêmes liées à notre expérience antérieure. » Indispensables pour décoder la réalité et orienter l'action, elles constituent un filtre spontané - et inconscient - qui infléchit notre appréhension du monde. Il ne s'agit pas, pour autant, d'une sorte de « produit résiduel » qu'il faudrait, purement et simplement, s'efforcer d'éliminer, développe Patrick Adamina, psychologue dans un service éducatif en milieu ouvert. Une évaluation dépourvue de représentations serait non seulement illusoire, mais aussi totalement inutilisable, précise-t-il, « car elle devrait se réduire à décrire faits et gestes sans rien en interpréter. Une gifle deviendrait une accélération de la main et un contact avec la joue d'autrui »... Il n'en demeure pas moins que, pour pouvoir tirer le meilleur parti des représentations qui surgissent lors d'une rencontre avec une famille, « il est impératif de les reconnaître et de les confronter aux collègues qui sont extérieurs aux enjeux de telle ou telle relation éducative », souligne le psychologue.
Dans les actions conduites avec des publics d'origine étrangère, il importe aussi de se défaire des a priori culturels qui risquent d'entraver la lisibilité des spécificités individuelles. « La culture est l'un des éléments contextuels et constitutifs de l'individu », explique Belkassem Kassou, éducateur spécialisé. Mais aussi utile soit-il, cet éclairage n'est pas suffisant pour comprendre la problématique du sujet. D'ailleurs, le fait d'avoir une certaine « similitude » avec l'usager ne constitue pas forcément un facteur permettant de mieux l'aider, ajoute le professionnel, au vu de son expérience en tant qu'intervenant maghrébin. Une formation à l'interculturalité peut, cependant, favoriser un soutien plus adapté des familles immigrées, estime Vesper Barton-Clegg, également très attentive aux clivages entre l'ici et l'ailleurs du fait de son propre « parcours du combattant identitaire ». Quels que soient, cependant, sa culture et son milieu d'appartenance, chaque famille est particulière, insiste cette assistante sociale. Aussi, l'approche individuelle de la personne et de son parcours de vie doit constituer la dimension prioritaire de toute démarche éducative. A contrario, fait observer la sociologue Edwige Rude-Antoine qui a réalisé une recherche auprès de jeunes issus de l'immigration présentant des troubles du comportement, une vision par trop culturaliste de leurs problèmes de socialisation n'aurait pas permis de saisir l'impact, sur ces fils, de la condition d'exilé de leurs pères.
En interrogeant, ainsi, ces rencontres singulières avec des individus - adultes et enfants -, fréquemment aveuglés par la souffrance, note Martine Beistegui, directrice du service éducatif en milieu ouvert de l'association Buzenval, à l'origine de cet ouvrage, « c'est aussi de cette part d'humanité » des familles comme des professionnels qui les accompagnent que « nous avons souhaité témoigner ».
L'intervention éducative en milieu ouvert. Pour une rencontre entre théories et pratiques... -Sous la direction de Martine Beistegui - Ed. L'Harmattan - 17,50 €.