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La mise en œuvre de la loi 2002-2 à l'épreuve de la délibération

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La loi du 2 janvier 2002 a mis en demeure les institutions sociales et médico-sociales d'instaurer un véritable dialogue avec leurs usagers. Mais, faute de réflexion sur les conditions de cet échange, grands sont les risques que la participation de ces derniers aux processus de décision reste superficielle, avertit Jean-Luc Charlot, qui anime, au sein de l'association Développement et emploi (1), le réseau « Moderniser sans exclure ».

« L'appel à la participation des habitants, des citoyens ou des usagers a envahi l'espace public au cours de ces dernières années. Légitimement, il pénètre désormais massivement les institutions sociales et médico-sociales au travers de la mise en œuvre de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale. Que ce soit par la participation des salariés (de tous les salariés, quelles que soient leurs fonctions) à l'élaboration du projet d'établissement, du livret d'accueil ou bien du règlement intérieur, dès lors que la majorité des méthodes d'appui ou d'accompagnement proposées par les intervenants qui aident les institutions dans cette tâche reposent sur ce principe. Ou que ce soit par la participation des usagers eux-mêmes ou de leurs représentants à de nouvelles instances que la loi a instaurées pour garantir l'expression de leurs droits, comme les conseils de la vie sociale.

On ne peut tout d'abord que se réjouir que ce principe de participation et d'association soit désormais au cœur des préoccupations de la direction, de l'organisation et de l'animation des institutions de ce secteur. S'en réjouir, non pas en invoquant quelque vertu démocratique supposée, mais bien plus au nom de la prise en compte de changements plus fondamentaux de nos façons de "faire société ", de "vivre ensemble ", qui bouleversent nos rapports sociaux depuis au moins trois décennies. Cet "appel à la participation" constitue ainsi, me semble-t-il, un principe directeur susceptible de répondre à ce qui caractérise le plus profondément ces changements : la nécessité de rendre légitimes les choix et les décisions au travers d'un échange rationnel d'arguments (ce que je nomme la "délibération "). Nécessité qui s'impose désormais aussi bien aux situations éducatives (institutionnelles ou familiales) qu'aux situations politiques ou managériales... Car la décision qui s'imposait du fait qu'une "autorité" (personnelle ou institutionnelle) l'énonçait doit de plus en plus faire la preuve, pour être acceptée, qu'elle est juste et efficace.

Mais ce premier moment de satisfaction passé, il convient d'affronter les difficultés, bien réelles, de la mise en œuvre de ce principe de participation, si nous ne voulons pas le voir voué à l'impasse et au désintérêt, quand les "citoyens-salariés" et les "citoyens-usagers" invités à participer ne sont pas là (2)  ; ou à la crispation, quand quelques-uns des participants issus des minorités "agissantes" paralysent leur déroulement dans des controverses visant à montrer en quoi l'instance à laquelle ils participent n'est décidément pas très démocratique ; ou encore aux lamentations, quand est ressassé à l'infini le constat que les "citoyens" ne peuvent pas réellement co-décider, ou que la montée des individualismes condamne désormais inexorablement toute possibilité de processus collectif...

Le risque de modes de participation « prétexte »

Voulant insister sur les questions posées par la conduite de procédures permettant cette participation, je fais volontairement l'impasse sur celles qui peuvent subvenir en amont, du fait que les directions ne sont parfois pas convaincues que l'échange et la confrontation de points de vue soient une des voies possibles et pertinentes, pour fonder des choix collectifs, et donc légitimes. Ce qui peut conduire, lorsque cette absence de volonté est réelle, à des modes de participation "prétexte ", n'influençant en rien les processus de production des choix et des décisions- ou alors sur des points de détail - et dont l'issue certaine est qu'ils ne favoriseront ni la mobilisation, ni l'engagement ultérieurs des salariés.

Même lorsque les directions sont convaincues du bien-fondé de la démarche, subsiste un certain nombre de difficultés concernant sa mise en œuvre. Car la délibération, processus qui articule discussion, solutions et changements à propos de situations réelles, ne va pas de soi.

Il faut rappeler d'abord que la délibération est affaire de langage, cette activité complexe qui met en œuvre des codes, des significations et des manifestations d'appartenance et d'identité (les "psys ", les éducateurs, le personnel technique, la direction par exemple). Autrement dit, formuler et confronter des points de vue avec d'autres à propos d'une "situation-problème" en discussion, nécessite un savoir-faire qui ne doit pas être minoré. Cette démarche, en tout cas, ne saurait être naturelle (la mise en discussion dont il est question ici n'a rien à voir avec l'échange amical) et nécessite un apprentissage pour chacun et pour le collectif, qui se confronte à cette activité singulière qu'est la production de choix collectifs par la confrontation d'arguments rationnels.

Une nécessaire réflexion sur le langage

Une autre difficulté réside dans la représentation (qu'il faut pouvoir produire, formuler et partager) de l'ensemble des transformations de la situation réelle qui seront entraînées par la ou les décisions à venir, transformations qui sont souvent l'enjeu principal de ces délibérations. Par exemple, se représenter comment la possibilité donnée à l'usager d'accéder à son dossier personnel, dans certaines conditions, va modifier la façon qu'ont les professionnels de le compléter...

On voit par là que les conditions de réussite de la délibération soulèvent des questions, à la fois théoriques et pratiques, extrêmement complexes. Complexité encore accrue évidemment quand il s'agit d'évoquer la participation des usagers eux-mêmes ou de leurs représentants. A leur propos, on comprend aisément qu'une réflexion sur le langage et la représentation de la situation future vont être nécessaires, si l'on ne consent pas, là non plus, à une simple participation "prétexte ".

L'importance des difficultés induites par la mise en œuvre de la loi du 2 janvier 2002 dans sa dimension du renouvellement des modes de participation des salariés et des usagers des institutions sociales et médico-sociales ne doit donc pas être minorée. Contrairement à ce que l'observation de nombreuses pratiques pourraient suggérer, nous ne sommes pas des « M. Jourdain » de la délibération et de la participation ! Un champ, à la fois théorique - tant il est vrai que l'étude de ces activités est encore peu répandue (3) - et d'analyse et d'échanges d'expériences, est à explorer et à mettre en œuvre rapidement, si nous voulons être à la hauteur des enjeux sociétaux qui traversent ce secteur. »

Jean-Luc Charlot Animateur du réseau « Moderniser sans exclure » -Développement et Emploi : Carré Saint-Nicolas -10, rue Saint-Nicolas - 75012 Paris - Tél.01 43 46 28 28.

Notes

(1)  L'association Dévelop-pement et emploi, fondée en 1981, vise à nourrir le débat de société sur l'emploi et les conditions du développement économique. Site : www.developpementetemploi.com.

(2)  Si l'on en croit les rencontres des professionnels de la politique de la ville (où est inscrit depuis plus de 15 ans l'objectif de la participation des habitants), qui ne cessent de s'interroger régulièrement et mutuellement sur les « bonnes » procédures qu'il conviendrait de mettre en œuvre afin de mieux informer les habitants qui fréquentent si peu les réunions d'information et de concertation qu'on leur propose pourtant avec un bel enthousiasme...

(3)  On peut citer les travaux conduits depuis une dizaine d'années, par le Centre d'étude du débat public de l'Université de Tours.

TRIBUNE LIBRE

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