Recevoir la newsletter

Mourir, et vivre, à la rue

Article réservé aux abonnés

Les célébrations en mémoire des personnes sans abri mortes dans la rue ne doivent pas occulter que la société a des devoirs à l'égard de ceux qui y vivent encore, viennent rappeler Jean-Michel Belorgey, conseiller d'Etat, ancien président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale (1), et Frédéric Signoret, coordinateur de La Moquette, lieu d'échange des Compagnons de la nuit (2).

« Quand on vit à la rue, on y meurt aussi. Comme on y a vécu : solitaire, anonyme, sinon toujours, la plupart du temps. Et en n'importe quelle saison, pas seulement l'hiver, l'été aussi ; et dans les autres saisons encore. On y meurt plus vite, et plus tôt que ceux qui n'habitent pas dehors ; usé par les maladies de la rue, de la pauvreté et de la malnutrition, de la peau, de l'intestin, de l'estomac, des nerfs et du cœur, même si on ne boit pas et si on n'est la proie d'aucune autre violence que celle que l'on subit par la vie que l'on mène. Aussi cela fait-il sens de rendre hommage, et pas seulement dans des lieux de culte, mais dans des lieux de citoyenneté et/ou de pouvoir -comme la Mairie de Paris -, aux morts de la rue. Comme cela fait sens de rendre hommage, chaque 17 octobre, sur le Parvis des Libertés au Trocadéro, aux victimes de la misère.

« Reste que les vivants valent mieux que les morts, et ne vivent pas des hommages qu'on leur rendra quand ils le seront, si inspirés soient-ils ; que ce qui est noble et fraternel pourrait par conséquent devenir obscène si avoir pris conscience de ces morts scandaleuses ne conduisait pas aussi à mieux comprendre ce qu'on doit aux vivants, et à s'y sentir davantage tenu, au-delà des attentes des discours sur l'exclusion et la cohésion sociale.

« La santé.

« Un toit, un vrai - pas un abri précaire, et peu ou prou pénitentiaire ou pénitentiel -, sans lequel il n'est pas de santé ; et parce que, juste après mourir dehors, ce qui marque le plus, c'est d'y coucher, et parce qu'un toit, ce n'est pas seulement un lit (c'est une mauvaise habitude de compter les pauvres en "lits ").

« A défaut de travail - en tout cas plutôt qu'un travail contraint -, une activité qui aide à retrouver le respect de soi-même.

« Et si ceci est au-dessus des forces, soit des intéressés (cela peut l'être légitimement), soit de la société (cela se comprend moins bien), un minimum vital digne de ce nom.

« En attendant, le droit de satisfaire, même à la rue, à un certain nombre de besoins fondamentaux, y compris triviaux. Il est dommage, à cet égard, qu'un ministre de l'Intérieur de gauche ait donné acte aux cafetiers que la servitude d'aisance était caduque. D'où tenait-il cela ?

« Mais il faut, sur tous les fronts, se méfier aussi des bonnes intentions. Que vaut, de ce point de vue, l'idée des rations alimentaires - diététiques ou autres - permettant d'assurer une survie qui ne serait pas la vie ? Ce qui a un sens dans la brousse, ou la forêt vierge, n'en a pas dans la jungle des villes, qui ne devrait pas être une jungle, si l'homme libéré de la nécessité voulait bien voir en celui qui y demeure soumis un véritable semblable, à qui il ne peut décemment proposer de renoncer aux plus élémentaires des plaisirs humains - celui des saveurs entre autres -, qui ne devraient pas être des privilèges de nantis.

« Reste encore que l'anonymat des morts de la rue n'est, sauf exception, qu'un anonymat bien superficiel. Et qu'à creuser un peu, on apprendrait beaucoup de choses sur ce qu'on a, avec un peu trop de goût des mots, mais non sans force ni tendresse, appelé les "carrières du pauvre " : l'aide sociale à l'enfance, les placements, l'hôpital, les foyers et les centres d'hébergement, la prison, le SAMU social : 38 prises en charge dont 25 familles d'accueil pour une jeune femme qui, Dieu merci !, n'est pas morte, et qui a découvert comment se défendre, à la rue, contre les violences sexuelles, mais qui, peut-être, n'y serait pas si on avait eu la main plus heureuse dans le choix des mesures de protection dont elle a bénéficié... (3)  »

Notes

(1)  Conseil d'Etat : 1, place du Palais-Royal - Tél. 01 40 20 80 00.

(2)  Compagnons de la nuit : 15, rue Gay-Lussac - 75005 Paris - Tél. 01 43 54 72 07.

(3)  Le collectif « Les morts de la rue » vient de publier un ouvrage de témoignages sur le vécu des personnes sans abri : A la rue ! - Editions Buchet-Chastel.

LE SOCIAL EN ACTION

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur