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Pauvreté et prison, un cercle vicieux

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Les prisons retiennent une population d'une extrême précarité sociale qui, après une détention marquée par le dénuement, se retrouve à sa sortie plus pauvre encore. Le risque de retour à la case « prison » est alors élevé. Pour rompre avec cette logique infernale, il faut repenser globalement le traitement pénal et développer le suivi social.

« Bien loin d'être réservé aux infractions les plus graves, l'emprisonnement n'est rien d'autre que la peine du pauvre. Il est la négation même de toute individualisation de la sanction et encourage plus qu'il ne limite la récidive. » L'analyse de Gabriel Mouesca, président de l'Observatoire international des prisons (OIP) (1), est claire : enfermement et pauvreté sont intimement liés. Une analyse que corrobore avec acuité une enquête menée dans les structures de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS). Un tiers environ des usagers y affirment en effet avoir connu la prison. Déjà, en 2000, l'INSEE avait montré la « surreprésentation des catégories sociales les plus démunies » et notamment relevé la faiblesse du capital scolaire des détenus et la fragilité de leurs liens familiaux ou sociaux (2).

Mais pourquoi les peines de prison pleuvent-elles en priorité sur les plus démunis ? Première piste : le focus mis sur la délinquance de voie publique. « En s'attaquant à elle, on se polarise sur les plus pauvres et on renforce les inégalités sociales », analyse Jean-Pierre Dubois, professeur de droit public à Paris-XI et membre de la Ligue des droits de l'Homme. « Ces délits, plus nombreux, sont aussi plus faciles à détecter et à traiter que la délinquance organisée. Cela permet à la police d'afficher des taux d'élucidation plus élevés », complète Dominique Barella, président de l'Union syndicale des magistrats. Et Jean-Pierre Dubois de déplorer : « On assiste de plus en plus à la désignation de nouvelles classes dangereuses : mendiants agressifs, sans-papiers, jeunes des quartiers... que l'on élimine par l'emprisonnement. »

Présentés à la Justice, ces publics, mal armés pour se défendre, ont aussi moins souvent les garanties de représentation exigées pour échapper à une détention provisoire. Or les justiciables comparaissant libres à leur procès sont moins condamnés à des peines de prison. De plus, l'essor des procédures rapides favorise l'emprisonnement. « En comparution immédiate, le délinquant est souvent réduit à l'acte commis et à son casier judiciaire. Il n'y a ni prise en compte des causalités sociales du délit ni tentative de compréhension de la trajectoire individuelle », dénonce Gabriel Mouesca. Enfin, faute de moyens, les peines alternatives perdent de leur crédibilité. Ainsi, témoigne le juge, « des magistrats disent clairement désormais qu'il faut cesser de prononcer des sursis avec mise à l'épreuve car ils ne pourront être pris en charge ».

En prison, le détenu souffre de façon aiguë de sa pauvreté, la vie carcérale impliquant de disposer d'environ 200 € par mois pour cantiner - à des tarifs exorbitants - les produits du quotidien. « Le pauvre est doublement pénalisé, car il cumule enfermement et impossibilité d'acquérir ce que l'administration ne lui fournit pas », rappelle Gabriel Mouesca. Au risque d'ailleurs de dépendre d'autres détenus et d'en subir les violences. Pourtant, les mi-nima sociaux ne franchissent toujours pas le seuil des prisons. Quant aux commissions « indigence », elles peinent de plus en plus à faire face.

Travailler reste le seul moyen d'échapper à la misère. Or, souligne Paul Loridant, auteur du rapport Prisons : le travail à la peine (3), « il manque 10 000 emplois pour que ceux qui souhaitent en avoir un le puissent ». Si tous les détenus sont autorisés à travailler, de profondes inégalités existent en réalité. Notamment du fait de l'instabilité de la population des maisons d'arrêt, les entreprises préfèrent s'installer dans les établissements pour peine. En outre, « le travail est encore perçu comme une récompense et sa privation peut servir de sanction ». Cependant, même avec un emploi, le détenu ne glanera que de maigres revenus, les tarifs en vigueur étant dérisoires. L'administration pénitentiaire a ainsi fixé un salaire minimum... inférieur à la moitié du SMIC. Et pas toujours respecté ! Mais, s'attriste l'ancien sénateur, « aligner ce salaire sur le SMIC ferait disparaître le travail. L'Italie l'a fait : les emplois ont tout de suite été délocalisés. En fait, si le travail est moins cher en prison, c'est parce que le droit ne s'applique pas intégralement : les détenus n'ont pas de contrat, ne cotisent pas à l'assurance chômage... » Toutes choses qui ne faciliteront ni leur réinsertion ni leur compréhension de la nécessité de respecter le droit pour vivre en société !

Rarement qualifiants, les emplois proposés ne préparent pas, en outre, à la vie après la prison. Quant aux formations professionnelles, elles sont peu développées et leur taux tendrait même à diminuer, tout comme celui de la scolarisation. « La réinsertion est le parent pauvre de l'administration pénitentiaire que préoccupe plus sa mission de gardiennage », déplore Gabriel Mouesca, opposant la pénurie criante de moyens des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) - on compte un travailleur social pour 39 surveillants et 100 détenus - et les millions d'euros investis pour financer de nouveaux dispositifs de sécurité. « La préparation à la sortie et la réinsertion dépendent d'abord de l'acharnement du détenu et de l'investissement des associations gravitant autour de l'univers pénal. Les pauvres sont ceux qui subissent les détentions les plus longues. » Les plus démunis, qui sont aussi les plus en difficulté pour concevoir un projet, voient en effet leurs chances réduites de bénéficier d'aménagements de peine.

Au final, à sa sortie, un détenu sur cinq a moins de huit euros en poche ; un sur huit n'est pas sûr de disposer d'un hébergement, un sur six n'a pas d'emploi. « Lorsqu'on entre pauvre en prison, on en ressort encore plus pauvre », résume Danielle Hueges, directrice générale du Cœur des haltes. Et avec un risque élevé de réintégrer les filières de sélection pénale.

Plus de sortie sèche

Pour rompre ce cercle infernal, la gestion de la peine doit sortir des murs. « Si la peine se limite à la prison, l'objectif de réinsertion sera peu atteint. Pour réinsérer des personnes démunies, il y a une foule de démarches à entreprendre, impossibles à réaliser durant l'incarcération. La personne doit en outre en être actrice », estime Philippe Pottier, responsable du SPIP de Charente et président de l'Association française de criminologie. D'où la nécessité de repenser les aménagements de peine. En effet, alors qu'il a été prouvé qu'ils limitent la récidive, moins de 15 % des détenus en bénéficient. Aujourd'hui, ils se heurtent à plusieurs écueils. Tout d'abord, le sous-effectif des travailleurs sociaux mais aussi des juges d'application des peines qui, au nombre de 260, ont en permanence 200 000 mesures à gérer. Ensuite, observe Eric Martin, secrétaire général de l'Association nationale des juges d'application des peines, « l'insuffisance ou l'inadaptation des plateaux techniques ne permet pas au détenu de faire émerger son projet ». L'approche actuelle du concept d'insertion freine aussi leur octroi. « On est dans un modèle n'ayant plus cours : il faut encore afficher un travail stable, un hébergement stable... Si l'on reste dans cette perspective, les gens les plus démunis n'ont aucune chance de présenter un projet adapté. Il faut être créatif, ouvert. On peut proposer des projets d'insertion qui soient de soins, de recherche d'emploi ou de formation... » Pour Philippe Pottier, il convient en outre de systématiser les aménagements de peine, et non, comme le préconise la loi Perben II (4), de les envisager « chaque fois que cela est possible ». « Il faudrait considérer que c'est, pour tout détenu, la fin normale de sa peine et que la société a l'obligation d'assurer un suivi des sortants de prison. » Et ainsi de prévoir des moyens adaptés, dedans comme dehors. Aujourd'hui, en effet, le manque de structures extérieures entrave aussi l'essor des aménagements de peine. « Nous nous heurtons parfois à des délais de six à huit mois pour une intégration dans un centre d'hébergement et de réinsertion sociale », déplore Eric Martin, qui appelle notamment les collectivités locales à s'investir pour les sortants de prison.

Au-delà, les élus sont appelés à avoir le courage de faire évoluer le traitement de la délinquance. « La réponse est politique, affirme Jean-Pierre Dubois. On ment à l'opinion. Le fonctionnement de la prison fait que la politique pénale est injuste mais aussi contre-productive, y compris par rapport à l'ordre public. » Et l'avocat Thierry Lévy de rappeler : « Derrière les juges, il y a les politiques. Il y a des gens en prison parce qu'ils sont pauvres et non parce qu'ils ont commis des actes graves. Les politiques doivent tenir ce discours et prendre des mesures en lien. » Notamment, ils seraient bien inspirés de se pencher sur la recherche réalisée par Charlotte Vanneste (5). Analysant les 170 dernières années, la criminologue belge a en effet démontré que « la pénalité et la criminalité sont des phénomènes évoluant de façon distincte », que « l'intensité du recours au pénal est directement fonction de l'insécurité économique - laquelle entretient des rapports étroits avec le sentiment d'insécurité focalisé sur le crime -générée par une société donnée » et qu'il « existe un lien fort entre l'usage de la prison et l'évolution de la situation économique mais aussi des logiques socio-économiques mises en œuvre pour la gérer ». Aussi, pour réduire la population pénitentiaire, déduit-elle, « la réflexion doit dépasser le cadre étroit de la politique criminelle pour interroger plus largement les options de base de toute société, à savoir celles développées en matière de politique économique et sociale ».

Florence Raynal

LES ASSOCIATIONS S'ENGAGENT

Affichant ensemble leur souci de renforcer leur action envers les détenus, six associations ont pris chacune, lors du colloque, une série d'engagements. La Croix-Rouge a exprimé sa volonté de poursuivre son opération « 1 000 TIG », qui vise à favoriser l'usage de cette mesure alternative en intégrant des « tigistes », et d'instaurer en prison un système de téléphonie sociale. Elle projette aussi, selon Cédric de Torcy, son directeur des opérations de solidarité, de « créer un lieu pour accueillir les détenus de plus de 60 ans sortant après dix ans de prison et que personne n'attend ». L'association Aurore, qui gère deux centres d'hébergement et de réinsertion sociale à Paris (6), entend réfléchir à la création de structures d'hébergement plus en adéquation avec les besoins des détenus. Affichant son désir « d'être impliqué plus en amont dans la préparation à la sortie », selon Jean-Yves Cado, responsable du département de lutte contre la grande exclusion, le Secours catholique s'engage à proposer à des détenus « qui avaient un métier un soutien pour le reprendre, par exemple en les aidant à créer une petite entreprise, voire en se portant garant vis-à-vis des banques ». Emmaüs France compte accueillir davantage de détenus pour favoriser leur insertion et prévoit notamment de chercher à réduire la pauvreté en prison « en y élevant les revenus. Nous allons tenter de leur offrir la possibilité de réaliser, comme dans nos groupes, des dépannages solidaires », explique Fabien Tuleu, délégué général. Emmaüs compte aussi associer les pouvoirs publics à la mise en place de lieux d'accueil pour les familles se rendant au parloir. Soucieuse « d'influencer les décideurs sociaux ou politiques », la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale entend, elle, selon Marie Patin, présidente de la commission « justice », « soutenir la politique d'aménagement des peines prévue par la loi Perben et faire des offres précises en ce domaine ;travailler à l'évolution du schéma d'équipement social, en parallèle avec celui de la Justice ; et, sur fond de décentralisation, convaincre les collectivités de s'occuper des sortants de prison ». Enfin, l'Observatoire international des prisons se battra pour qu'une loi pénitentiaire soit votée après un débat ouvert. « Il faut réglementer le fonctionnement de l'administration pénitentiaire, estime Patrick Marest, délégué national. Le droit commun doit s'appliquer en prison et la personnalité juridique des détenus être reconnue et garantie. »

Notes

(1)  Qui s'exprimait lors du colloque « Pauvreté, exclusions - La prison en question », organisé le 12 février 2005 à Paris par l'OIP et Emmaüs France. OIP : 31, rue des Lilas - 75019 Paris - Tél. 01 44 52 87 90 ; Emmaüs France : 179 bis, quai de Valmy - 75010 Paris - Tél. 01 46 07 51 51.

(2)   « L'histoire familiale des hommes détenus » - Synthèses, INSEE, 2002.

(3)  Voir ASH n° 2269 du 28-06-02.

(4)  Voir ASH n° 2360 du 21-05-04.

(5)  Auteur de l'ouvrage : Les chiffres des prisons - Des logiques économiques à leur traduction pénale - Ed. L'Harmattan, 2001.

(6)  Voir ASH n° 2215 du 18-05-01.

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