« Lorsque les liens sociaux se distendent, le risque s'accroît d'être confronté à un enchaînement d'adversités et de ruptures sociales qui se renforcent mutuellement », ainsi qu'à un cumul de difficultés sociales, économiques et sanitaires. C'est ce que démontre l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) dans un rapport réalisé pour la délégation interministérielle à la ville (1).
Cette recherche, réalisée dans cinq zones urbaines sensibles (ZUS) et dans deux « quartiers politique de la ville » d'Ile-de-France, rejoint « les préoccupations de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, qui souligne, de son côté, l'importance des supports sociaux et des facteurs psycho-sociaux dans la gestion des problèmes de santé », indique l'Inserm. Elle dépasse donc largement le cadre des indicateurs socio-économiques généralement passés en revue dans les quartiers difficiles et s'intéresse aux différents types de ruptures de liens sociaux vécues par leurs habitants.
L'enquête révèle ainsi que plus de 10 % des personnes interrogées ont connu avant l'âge de 18 ans au moins cinq difficultés familiales majeures, parmi lesquelles des problèmes d'alcoolisme dans le foyer, un placement, des fugues ou des ennuis avec la justice. Un constat important, remarque l'Inserm, car les ruptures familiales participent autant que les facteurs socio-économiques à la reproduction des inégalités. De plus, « certaines difficultés et ruptures durant la jeunesse sont significativement corrélées à l'image et à l'estime de soi ». Le « déficit relationnel » est également récurrent dans les quartiers dits « sensibles » : « L'impossibilité d'être aidé dans diverses situations touche au total 10,4 % de l'échantillon. » Parallèlement, 40 %des « enquêtés » estiment que leurs conditions de vie (logement, problèmes financiers) nuisent à leur santé physique ou psychologique.
Des problèmes de santé peuvent aussi entraîner, plus ou moins directement, différentes formes de rupture sociale. Dans l'enquête sur les ZUS, 17 %des habitants interrogés disent avoir connu des problèmes de santé, des accidents ou des maladies ayant entraîné une interruption ou une réorientation professionnelle. Ces difficultés ont eu pour conséquence de graves problèmes financiers pour environ 8 % d'entre eux et une rupture avec leur conjoint pour près de 3 %.
Autre constat : « nombre de programmes de "promotion de la santé ", de prévention ou de soins curatifs n'atteignent pas leurs objectifs en partie parce que les perspectives qui les sous-tendent ne correspondent pas aux perspectives des populations auxquelles ils sont censés s'adresser ». Quelles sont en effet leurs attentes en matière de santé ? Pour 17,6 % des personnes interrogées, la santé « n'est pas une priorité ». Si les trois quarts environ font confiance à la médecine, près de la moitié estime parallèlement que « les médicaments les soignent mais provoquent d'autres troubles ».
L'existence ou non d'un réseau d'aide est également décisive dans le recours aux soins : « Le risque de ne pas avoir consulté au cours de l'année écoulée est, pour les personnes ne disposant que d'un faible réseau d'aide potentiel, plus de deux fois supérieur » aux autres. Dans ce contexte, l'isolement augmente les probabilités de recourir aux urgences. 26,6 % des personnes interrogées affirment par ailleurs avoir renoncé à des soins de santé pour des raisons financières.
Particulièrement révélateur de ces inégalités cumulées : 29 % des « enquêtés » présentent des symptômes de dépression, soit deux fois plus que la population générale, mais seulement un tiers en ont parlé à un professionnel de santé. Et les consommateurs réguliers de psychotropes « sont trois fois plus nombreux parmi les personnes vivant dans un ménage bénéficiaire de minima sociaux (24,6 %contre 8,9 % pour les autres types de ménage) ».
(1) « Santé, inégalités et ruptures sociales » - Inserm - Décembre 2004 - Disponible sur