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Des familles pour accueillir les jeunes filles en fuite

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Depuis cinq ans, le Planning familial de l'Hérault tente de répondre aux femmes victimes de mariages forcés. Prise en charge administrative, juridique et psychologique, le chantier est immense. L'an dernier, l'association a mis en place un réseau de « familles d'accueil ».

Mai 2000 : le Mouvement français pour le Planning familial (MFPF) de l'Hérault est confronté à une recrudescence de femmes que leurs familles menacent de marier de force. En quelques semaines, plusieurs jeunes filles se présentent à son bureau, situé près de la gare de Montpellier, pour appeler à l'aide. « Il y a eu une véritable épidémie, se souvient Latifa Drif, animatrice de prévention au Planning. Nous avons eu une dizaine de situations quasiment en même temps. Mais nous n'avions aucune réponse spécifique à apporter à ces femmes. » A l'époque, le Planning n'est pas la seule institution concernée. « Nous avons fait le tour de nos partenaires institutionnels et associatifs. Plusieurs cas avaient aussi été portés à leur connaissance », indique Françoise Imbert, coordinatrice du Planning.

CROUS, délégation régionale des droits des femmes, centre communal d'action sociale... l'alerte est générale. « Nous avons alors décidé de réunir l'ensemble des acteurs dans un groupe de travail et de réflexion sur les mariages forcés », explique Latifa Drif. Se joignent entre autres au « réseau », le Comité de liaison et de coordination des services sociaux de l'Hérault et la direction départementale de la protection judiciaire de la jeunesse. Le groupe de travail met au point une grille d'analyse pour dresser un état des lieux et connaître le parcours des jeunes filles. Près de cinq ans plus tard, plus de 200 fiches ont été constituées.

« Beaucoup de travailleurs sociaux hésitent encore à dénoncer les mariages forcés, car ils craignent d'être accusés de racisme. Ils pensent que le mariage forcé est un phénomène culturel, qu'on ne peut ni comprendre ni juger », regrette Latifa Drif. Reste que la notion même de « mariage forcé » est extrêmement floue. Très souvent, celui-ci est assimilé au mariage blanc qui permet à l'époux venant de l'étranger d'obtenir des papiers. Un amalgame que rejette l'animatrice du Planning. « Un mariage blanc suppose l'accord réfléchi des deux parties. Dans un mariage forcé, la fille est contrainte par son entourage d'accepter l'union, sous peine d'être battue ou bannie de la famille. C'est une forme de discrimination et de violence faite aux femmes, une violence intrafamiliale. » D'où la nécessité d'informer les intervenants sociaux :le Planning a élaboré un Guide à l'usage des professionnels afin de leur donner « un cadre législatif, juridique et normatif commun ». En outre, depuis le début de l'année, il organise des « journées de sensibilisation » sur la question destinées aux travailleurs sociaux.

La priorité  :l'hébergement

Mais que faire concrètement pour ces jeunes femmes menacées, ou déjà mariées de force, qui frappent à la porte de l'association ? « Dès le départ, nous avons cherché à être pratiques en nous occupant de la prise en charge de la femme victime », relate Françoise Imbert. Avec une priorité :résoudre les problèmes d'hébergement. « Une fille qui vient de partir sur un coup de tête et qui est seule se retrouve très souvent à la rue, précise Latifa Drif. Elle peut vite dégringoler et tomber dans un réseau de prostitution. » Le Planning a donc recherché des places en foyer, « mais ce n'est pas forcément la solution la plus adaptée », ou des chambres d'hôtel, mais « les places sont très limitées ». Aussi, depuis un an, l'association a-t-elle trouvé une alternative avec la mise en place de « familles d'accueil ». Ces familles volontaires sont choisies après plusieurs réunions et séances de formation. Six ont été retenues à Montpellier et dans le département. « C'est insuffisant, mais le noyau est fort », estime Françoise Imbert. La famille et la jeune femme signent un contrat d'accueil de un mois, renouvelable une fois. « La cellule d'accueil permet à la jeune fille de réaliser toutes les démarches administratives préalables et de réfléchir à son avenir. Quant à la durée de deux mois, elle évite qu'elle ne se pose trop longtemps et tarde à réagir », explique Latifa Drif. Les accueillants peuvent, à leur demande, bénéficier d'une assistance pour faire face aux problèmes complexes rencontrés par la jeune femme. L'objectif pour l'année en cours est de réaliser 1 200 journées d'accueil dans l'Hérault. Si le dispositif est encore expérimental dans le département, le Planning espère rapidement le voir se développer dans la région Languedoc-Roussillon ou en Ile-de-France, grâce à des antennes de l'association ou à d'autres structures locales.

Les profils des jeunes femmes accueil-lies sont très divers. Certaines, mariées de force, ou qui savaient qu'elles allaient l'être prochainement, avaient mûri leur décision de quitter le domicile familial et avaient déjà contacté un travailleur social dans leur quartier. Lequel les a orientées alors vers le Planning. « C'est le cas de N., mariée de force au Maroc à l'âge de 19 ans. Ses parents avaient menacé de la laisser au pays si elle refusait, raconte Latifa Drif .Nous lui avons conseillé de faire des copies des documents importants comme le passeport ou la carte d'identité et de les mettre en lieu sûr. » L'association peut également recevoir en urgence une femme qui vient de quitter les siens, sans argent ni logement. « Avant même d'entamer la procédure d'annulation du mariage s'il a eu lieu, il y a des problèmes incontournables à résoudre : la régularisation administrative, refaire des papiers, une carte Vitale, puis trouver un logement. Des procédures lourdes que les jeunes femmes ont souvent du mal à accepter », explique Françoise Imbert.

Des mineures se présentent parfois et sont signalées au service de l'aide sociale à l'enfance. « Certaines viennent nous voir parce qu'elles ont un doute. Des vacances au bled sont programmées par leurs parents et le projet de les marier sur place a été plus ou moins énoncé », relate Latifa Drif. D'autres, déjà mariées de force, veulent savoir comment annuler leur union. Une procédure qui prend souvent beaucoup de temps. Ces femmes connaissent mal le droit français et encore moins le droit du pays où elles ont été mariées. Beaucoup sont originaires du Maroc, de plus en plus de Turquie, quelques-unes du Pakistan, des Comores, de Russie... Le Planning les oriente vers des juristes du Centre d'initiative citoyenne et d'accès aux droits des exclus (Cicade).

Mais « la plupart des filles viennent surtout pour parler, précise Latifa Drif. Elles ne veulent pas forcément quitter leurs parents, encore moins porter plainte. Elles appellent simplement à l'aide. » Très souvent, le mariage forcé tombe comme un coup de tonnerre sur la tête des intéressées. D'après les observations du Planning, la majorité des jeunes femmes appartient à des familles immigrées bien intégrées. « Beaucoup ont eu une adolescence classique avec des copains-copines. Elles avaient le droit de sortir, de s'amuser, mais quand arrive l'âge du mariage, la tradition du pays ou du village d'origine reprend le dessus », explique l'animatrice. Le père ne veut pas perdre la face vis-à-vis de sa communauté et n'imagine même pas d'être contredit par sa fille. La mère, elle, respecte les valeurs, expliquant souvent à son enfant qu'elle a connu la même chose à son âge. Quant à la jeune fille, bien souvent, elle n'ose pas se dresser contre leur volonté et se confie à ses amies, ses sœurs, ses tantes ou oncles. Un silence interprété comme un accord. Les cas de mariages forcés existent également chez les garçons, même s'ils sont plus rares. Ils s'organisent généralement dans le cadre familial par une union avec une cousine germaine par exemple. Le Planning de Montpellier a connu deux situations de ce genre : l'une concernait un jeune homme marié de force en Turquie lorsque ses parents avaient appris son homosexualité.

L'association a pour règle de ne jamais stigmatiser les familles, « même si parfois cela nous révolte profondément », confie Latifa Drif. Le travail avec la cellule parentale est d'ailleurs l'un des prochains chantiers du mouvement. « Nous voulons populariser le débat sur les mariages forcés par des tracts, des films, des réunions publiques, ajoute l'animatrice qui souligne que la Grande-Bretagne traite ce problème depuis 1979. Il ne faut plus que ce soit un sujet d'experts ou de travailleurs sociaux. On doit pouvoir parler du mariage forcé dans les écoles, le bus, au marché ! » Dans cet objectif, le Planning de l'Hérault tente, depuis plusieurs mois, de monter une pièce de théâtre sur ce thème. Mais si la pièce est écrite, elle n'a pour l'instant pas réussi à intéresser les financeurs locaux.

Bastien Bonnefous

UN PHÉNOMENE EN EXPANSION

Sujet particulièrement sensible, le phénomène des mariages forcés reste difficile à recenser. Le Groupe des femmes pour l'abolition des mutilations sexuelles (GAMS) évalue à 70 000 le nombre d'adolescentes et de jeunes femmes vivant en France potentiellement menacées, toutes communautés et toutes régions confondues, même si les zones à forte population immigrée (Ile-de-France, Bouches-du-Rhône, Languedoc-Roussillon, Nord...) sont davantage concernées. L'augmentation - constatée dans toutes les communautés immigrées où les mariages forcés sont culturellement pratiqués - peut s'expliquer par des raisons démographiques : les jeunes filles nées en France, dans le cadre de la politique de regroupement familial au début des années 80, arrivent aujourd'hui à l'âge du mariage. L'Hexagone commence à peine à prendre la mesure du phénomène. Le 7 mars dernier, à la veille de la journée internationale des femmes, le groupe de travail « Femmes de l'immigration » a remis un rapport sur ce thème à Nicole Ameline, ministre de la Parité et de l'Egalité professionnelle (1), demandant notamment d'instaurer un « délit de contrainte au mariage » et d'harmoniser l'âge nubile des garçons et des filles à 18 ans. Dans la foulée, une proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple, adoptée le 29 mars dernier au Sénat (2), préconise de porter l'âge minimal légal du mariage pour les filles de 15 à 18 ans révolus.

DES FEMMES ENTRE 19 ET 20 ANS

Au Mouvement français pour le Planning familial de l'Hérault (3), Françoise Imbert coordonne une équipe de cinq travailleurs sociaux salariés. Latifa Drif anime le réseau de partenaires sur les mariages forcés avec trois militantes bénévoles. Trois salariés pilotent le dispositif « familles d'accueil ». Des réunions plénières entre les différents partenaires ont lieu tous les deux mois. Deux séminaires sur « les jeunes filles confrontées aux violences familiales » ont eu lieu en juin 2001 et octobre 2003 : ils étaient en grande partie consacrés aux mariages forcés.60 % des jeunes femmes concernées par ces violences, et qui viennent consulter au Planning, ont entre 19 et 20 ans. 34 % sont françaises et 40 % marocaines (la communauté immigrée la plus importante de l'Hérault). 66 % sont lycéennes. 65 % viennent consulter pour « des violences physiques intrafamiliales » et 51 % pour des « violences psychologiques ». 71 % sont menacées d'être mariées de force après un « retour au pays ». 74 % de celles qui se présentent au Planning ont déjà quitté le domicile familial.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2398 du 11-03-05.

(2)  Voir ASH n° 2401 du 1-04-05.

(3)  Mouvement français pour le Planning familial : 48, boulevard Rabelais - 34000 Montpellier - Tél. 04 67 64 62 19 - E-mail : M-F-P-F.Montpellier@wanadoo.fr.

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