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Les propositions de l'IGAS pour offrir un avenir aux mineurs isolés

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Clarifier et harmoniser les interventions judiciaires et administratives, développer les dispositifs de repérage et de mise à l'abri, créer une fonction d'évaluation-orientation à la charge de l'Etat, organiser une prise en charge adaptée et autoriser les régularisations. Tels sont les cinq axes de propositions du rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur les mineurs isolés remis à Jean-Louis Borloo et à Nelly Olin en janvier dernier. Commandé en juillet 2004 par les deux ministres, le document (1), dont les grandes lignes ont déjà été dévoilées dans la presse, n'a pas encore été rendu public.

La présence « sans doute pérenne » de mineurs isolés sur le territoire, jugent les rapporteurs, mérite en effet « une organisation ad hoc et une clarification des positions institutionnelles ». Si beaucoup de constats ont déjà été réalisés sur le sujet, y compris à la demande du ministère chargé des affaires sociales (2), l'une des originalités du travail des inspecteurs Jean Blocquaux, Anne Burstin et Dominique Giorgi est d'affiner la connaissance du phénomène en comptabilisant non plus les seules admissions à l'aide sociale à l'enfance mais le flux de prises en charge : « au 30 septembre 2004, les prises en charge de jeunes étrangers isolés dans la soixantaine de départements répondants était d'un peu plus de 3 600 jeunes », dont 2 467 mineurs et 1 208 contrats jeunes majeurs. 25 départements concentrent 90 % des prises en charge de mineurs étrangers recensées.

Les rapporteurs situent le coût des prises en charge dans une fourchette comprise entre 71 et 115 millions d'euros, soit de 1,6 à 2,6 % du coût global de l'aide sociale à l'enfance , finalement un poids relativement faible dans les dépenses publiques .L'enjeu de cet accompagnement «  est plus de nature organisationnelle, avec les perturbations induites sur le circuit de prise en charge ou avec les difficultés d'adapter les pratiques éducatives, [que] financier », constatent-ils. D'autant que le phénomène percute de plein fouet un dispositif d'accueil d'urgence déjà fragile.

En plus de l'inégalité des politiques départementales en la matière - adoption ou non de contrats jeunes majeurs, appel plus ou moins fréquent aux expertises osseuses, refus de procéder à des accueils administratifs... -, les auteurs pointent un phénomène un peu moins connu : « l'hétérogénéité des pratiques » dans le circuit judiciaire . Ainsi regrettent-ils que le recueil provisoire administratif de mineurs, auquel certains départements n'hésitent pas à recourir en cas d'urgence, se prolonge parfois « de telle manière qu'il se transforme en quasi statut, sans base juridique », en raison du refus de certains parquets de saisir le juge des enfants. Et « ceci est d'autant plus grave que la tutelle sur le jeune peut n'avoir pas été obtenue, ou parfois même demandée » .

Autre problème : les parquets prononcent parfois, sans diligenter d'enquête ou d'expertise, une ordonnance de placement qui « s'apparente à une mesure automatique et inutile », certains jeunes n'étant pas prêt à recevoir de l'aide. Au total, « bien qu'essentielle, la fonction de recueil de renseignements socio-éducatifs n'est aujourd'hui que très imparfaitement remplie », alors que les résultats peuvent « conditionner la prise de décision judiciaire et des moyens adéquats ».

Développer le recueil de renseignements socio-éducatifs

La mission formule une série de propositions « garantissant à ces jeunes une égalité de traitement et de protection sur le territoire tout en préservant autant que faire se peut les compétences de droit commun dans leur prise en charge ». Pointant une différence patente de traitement avec les mineurs délinquants et considérant que « tous les mineurs étrangers isolés méritent d'entrer dans des dispositifs de protection », elle plaide pour la généralisation des moyens de repérage et de mise en confiance à l'initiative des directions départementales des affaires sanitaires et sociales et pour le développement de la fonction de recueil de renseignements socio-éducatifs par les services de la protection judiciaire de la jeunesse et les associations spécialisées. L'estimation de l'âge des mineurs devrait, selon les rapporteurs, être « réservée aux situations de forts doutes sur la minorité » et ne pas reposer sur la seule expertise de l'âge osseux. Les résultats devraient, en cas d'incertitude persistante, profiter au jeune pour lui permettre de bénéficier d'une protection, ajoutent les inspecteurs, qui recommandent également « qu'un groupe d'experts réuni sous l'égide conjointe des ministères de la Santé et de la Justice se prononce sur ce point ».

Les rapporteurs préconisent que le ministère de la Justice élabore une circulaire qui mettrait « un terme à la dispersion des pratiques des parquets » , en clarifiant notamment les critères de saisine respectifs du juge des enfants et du juge des tutelles. S'ils précisent qu' « il n'entrait pas dans le cadre de la mission confiée à l'inspection générale » de contrôler les modalités d'accueil et de maintien des mineurs étrangers isolés en zone d'attente, les inspecteurs n'éludent pas pour autant le sujet . Ils souhaitent que la Cour de cassation soit saisie afin qu'elle puisse trancher sur le caractère de danger encouru par un mineur en zone d'attente, pouvant justifier ou non la compétence du juge des enfants dans cette zone. Les administrateurs ad hoc , dont le recrutement devrait être contrôlé et qui devraient disposer d'un guide méthodologique, devraient, insistent-ils, obtenir des moyens et les délais nécessaires pour accomplir leur mission, et notamment l'accompagnement des demandes d'asile, « qui doivent être suivies et instruites avec une particulière vigilance ». Les rapporteurs réclament la parution rapide de la circulaire devant fixer leurs conditions de désignation. Ils réclament également que « la commission nationale de contrôle des centres de rétention et des zones d'attente puisse être opérationnelle le plus rapidement possible » .

Créer une plate-forme d'évaluation gérée par l'Etat

Autre proposition : créer un accueil spécifique des mineurs étrangers isolés comportant une phase d'évaluation-orientation de trois à quatre mois à la charge de l'Etat. La mission recommande la constitution de « plate-formes de compétences » juridiques, sanitaires, psychologiques et scolaires, à l'échelon départemental ou régional, pilotées par les services préfectoraux et dont la mission serait assurée par les services d'investigation et d'orientation éducative. L'IGAS demande que l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations en cours de création puisse y participer.

La mission souhaite par ailleurs une adaptation du dispositif d'accueil, passant par « le développement de l'enseignement du "français langue étrangère ",de classes destinées à l'accueil des primo-arrivants au sein de l'Education nationale, de possibilités de recours à l'apprentissage par délivrance d'autorisations de travail ». Les mineurs isolés et les jeunes majeurs devraient en outre, ajoute-t-elle, pouvoir prétendre au contrat d'insertion dans la vie sociale.

Plaidoyer pour une régularisation par voie législative...

Dernier volet : ouvrir une voie de régularisation des mineurs isolés qui atteignent la majorité, voués à la clandestinité depuis la « loi Sarkozy » du 26 novembre 2003 (3), « sans négliger les possibilités de retours dignes et organisés ». Par modification de l'article 12 bis de l'ordonnance de 1945, le rapport préconise l'octroi d'une carte de séjour spécifique de un an renouvelable sous trois conditions, outre l'exigence de respect de l'ordre public : « la prise en charge par l'aide sociale à l'enfance, l'engagement dans un parcours scolaire ou pré-professionnel, le témoignage de la volonté de rester en France par la conclusion et le respect "évalué" d'un contrat d'accueil du mineur isolé avec le préfet du département et le président du conseil général ». Ce contrat pourrait s'inspirer du contrat d'accueil et d'intégration proposé aux primo-arrivants adultes.

... tandis que Dominique de Villepin s'en remet à la « bienveillance » des préfets

Reste que le ministre de l'Intérieur a envisagé une autre solution : Dominique de Villepin compte demander prochainement aux préfets, dans une circulaire, de procéder à un examen bienveillant et au cas par cas des dossiers de ceux qui, parmi ces mineurs, effectuent un apprentissage en France. « Je souhaite que nous apportions à des cas spécifiques, quelques centaines par an, une réponse pour le cas où ils souhaitent poursuivre leur apprentissage », a affirmé le ministre de l'Intérieur sur France Info. Insistant sur le fait que, pour lui, la loi sur l'immigration portée par son prédécesseur Place-Beauvau est « une bonne chose » et ne sera « absolument pas » remise en cause, le ministre s'est dit conscient des « problèmes spécifiques, très concrets » rencontrés par ces mineurs isolés « qui sont en situation d'apprentissage mais ne peuvent pas le faire parce qu'ils ne bénéficient pas du titre de séjour nécessaire ». « Faut-il ou non accorder une dérogation à ces jeunes qui ne posent pas de problèmes, qui sont insérés, isolés, pas susceptibles d'être dans les mains de filières mafieuses ou de créer un appel d'air pour d'autres immigrants, pour qu'ils puissent effectuer leur stage ? Les présidents des conseils généraux m'ont écrit et ma réponse est positive », a-t-il déclaré. Il n'a pas, en revanche, évoqué une quelconque modification législative, ce que déplorent les associations de terrain (voir ce numéro). De son côté, le ministère de la Justice indique qu'un groupe de travail s'attelle actuellement à un état des lieux des pratiques des magistrats vis-à-vis des mineurs étrangers isolés. Il devrait rendre ses conclusions à la fin de l'été.

M. LB. et O.S.

Notes

(1)  Mission d'analyse et de proposition sur les conditions d'accueil des mineurs étrangers isolés en France - Jean Blocquaux, Anne Burstin et Dominique Girogi - IGAS - Janvier 2005.

(2)  Sur le rapport du préfet Landrieu, voir ASH n° 2317 du 27-06-03. et sur l'ensemble des constats, ASH n° 2401 du 1-04-05.

(3)  Voir ASH n° 2338 du 19-12-03.

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