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Un accueil chaotique pour un avenir incertain

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A la croisée du droit des étrangers et du droit de la protection de l'enfance, les mineurs isolés vivent des situations inextricables. Le flou juridique qui prévaut et le manque d'approche globale coordonnée au plan national favorisent une hétérogénéité des pratiques, source d'inégalités. En outre, faute de statut, la plupart des jeunes accueillis n'ont pour seule perspective, à leur majorité, que la clandestinité. Cette aberration rend difficile tout projet de vie et d'intégration.

« En France, pays moteur de la convention internationale des droits de l'enfant, des mineurs sont seuls, vivent dans la rue, dans des squats, dorment dans des cartons... Pour que cesse ce scandale, la compassion ne suffit pas. Les professionnels doivent s'interroger sur ce que sont ces enfants et sur ce qu'ils veulent », lance Jean-Pierre Deschamps, responsable de la section des mineurs et de la famille du parquet général de Paris, mais aussi président-fondateur de l'association Jeunes errants (1). En plein essor depuis 1999, le phénomène des mineurs isolés étrangers, qui touche une vingtaine de départements, peine encore à susciter des réponses, du moins dans la cohérence. Les dysfonctionnements sont tels que le sort des mineurs étrangers isolés constitue désormais le troisième mo-tif de saisine du défenseur des enfants.

Alors qui sont-ils ? De plus de 75 nationalités différentes, ces enfants ont des trajectoires migratoires variées. Cinq profils semblent néanmoins se dessiner, selon la sociologue Angelina Etiemble. Il y a ainsi les « exilés », qui ont fui les régions ravagées par les guerres, les conflits ethniques ou les persécutions politiques et dont la famille est souvent en miettes ; les « mandatés », qui arrivent avec la mission d'envoyer de l'argent à leurs proches, quelquefois après avoir fait des études ; les « exploités », qui, aux mains de trafiquants, parfois avec la complicité de leurs parents, sont appelés à se livrer à des activités délinquantes (vol, prostitution...). Il y a aussi les « fugueurs », qui ont quitté la famille ou l'institution où ils vivaient et ont fini par se retrouver hors de leur pays, et les « errants » qui, vivotant déjà dans la rue, ont décidé de tenter leur chance dans des contrées plus riches. Mais, prévient la sociologue, « les frontières sont très perméables. Par exemple, les "mandatés" peuvent devenir des "exploités" quand ils doivent travailler pour rembourser leur voyage. »

Selon les motifs de leur venue, la demande des jeunes diffère (asile politique, dispositif de protection de l'enfance...). Parfois, aucune attente n'est exprimée d'emblée. En outre, si ces mineurs sont dits « isolés », tous ne le sont pas totalement. Néanmoins, précise Françoise Monéger, professeur de droit à l'université de Paris-VIII, « si un mineur escorté d'un adulte- d'un oncle, d'un cousin... - peut ne pas être considéré comme isolé sur le plan strict du droit, il le demeure tant qu'il n'est pas accompagné d'un représentant légal ».

Dans tous les cas, la prise en charge de ces mineurs se heurte à moult difficultés, techniques et juridiques, car ils se trouvent au carrefour du droit des étrangers, voire du droit d'asile, et de celui de l'enfance en danger. Cette situation génère des décisions contradictoires. Résultat : un traitement peu satisfaisant - ce que n'a pas manqué de signifier à la France en juin 2004 le comité de suivi de la convention internationale des droits de l'enfant -, injuste, et même dangereux, contre lequel s'insurgent maints professionnels des champs judiciaire ou social (2). S'ils reconnaissent des avancées dans la mobilisation des institutions, ceux-ci attendent néanmoins des progrès plus radicaux, plus de clarté pour agir, et une volonté mieux affirmée.

Premier sujet de polémique : le traitement des jeunes en zone d'attente, du moins de ceux ayant eu la chance d'y parvenir. En effet, « le contrôle des mineurs dès la passerelle avec embarquement sans procédure ni enregistrement est fréquent », dénonce Jacques Ribs, président de France terre d'asile (FTDA). Refoulés par la police aux frontières, des enfants peuvent être expulsés vers le dernier pays par lequel ils ont transité, telle la Chine pour un Africain ! La question même du maintien en zone d'attente des mineurs isolés inquiète l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFE), qui y assure une assistance juridique. « Le risque, c'est le refoulement à tout moment et dans des délais interdisant de mener des investigations suffisantes pour connaître la situation de l'enfant, estime sa présidente Hélène Gacon. Pour nous, un mineur isolé n'a pas sa place en zone d'attente. » Le principe de l'admission systématique sur le territoire est également défendu par France terre d'asile, qui demande en outre que les mineurs aient « accès aux procédures d'asile depuis la zone d'attente, où ils doivent être séparés des adultes, et faire l'objet d'un signalement automatique au parquet des mineurs ».

Depuis un décret du 2 septembre 2003 pris en application de la loi du 4 mars 2002 ayant réformé l'autorité parentale (3), l'entrée en zone d'attente signifie aussi la désignation sans délai d'un administrateur ad hoc par le procureur de la République. Son rôle est d'assister et de représenter le mineur dans les procédures administratives et juridictionnelles relatives au maintien en zone d'attente. Ceux qui l'attendaient comme un progrès sont aujourd'hui quelque peu désappointés. D'une part, les listes peinent à être établies (pénurie de candidats, procédures d'agrément longues, indemnisation médiocre...), ce qui engendre des délais inadmissibles ; d'autre part, la formation requise est insuffisante. « La seule condition exigée est de s'être signalé par son intérêt pour les questions de l'enfance et sa compétence. En raison de la complexité de la législation sur les étrangers, des connaissances particulières devraient être requises », assure Geneviève Favre-Lanfray, juriste, administrateur ad hoc et présidente de l'association Chrysallis. Pis : « Nous assistons à une instrumentalisation des administrateurs ad hoc .Ils servent à cautionner des décisions administratives et non à permettre à l'en-fant d'exercer ses droits. » Ce que confirme Jacques Ribs : « Leur rôle n'est pas a priori de favoriser la mesure d'éloignement du jeune. Or ils suivent plus souvent les avis du ministère de l'Intérieur qu'ils n'agissent en faveur du mineur. »

La détermination de l'âge des mineurs soupçonnés d'avoir atteint celui de la majorité engendre aussi des crispations. La méthode généralement employée, l'expertise osseuse, conduit en effet, malgré son manque de fiabilité, à des décisions lourdes de conséquences. L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) s'est ainsi vu refuser par le parquet la désignation d'un administrateur ad hoc - également prévue lors d'une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié formée par un mineur sans représentant légal - pour un jeune dont l'expertise disait : « Nous estimons l'âge probable de M. X de l'ordre de 18 à 19 ans, avec une marge inférieure d'incertitude possible de 16 ans au minimum. » Aussi l'idée que le bénéfice du doute doive profiter au mineur et que des contre-expertises doivent être possibles est-elle avancée par certains. D'autres vont au-delà, telle Laurence Roques, avocate au barreau de Créteil : « Il faut estimer que l'expertise osseuse, de plus en plus demandée par les parquets ou directement par l'aide sociale à l'enfance [ASE] , n'a pas de valeur légale car elle n'en a pas de scientifique. » Et de rappeler : « Lorsqu'il existe un acte d'état civil étranger, il doit être considéré comme valable. En son absence, il faut faire jouer l'article 46 du code civil et saisir le juge pour solliciter un état civil à partir d'éléments permettant de déterminer une date de naissance : passeport, témoignages... »

Compétences en débat

La compétence du juge des enfants en matière de mineurs isolés prête de même à interprétation. Première interrogation : a-t-il autorité pour intervenir en zone d'attente ? Certains la lui dénient. « Nous avons souvent été confrontés à des positions affirmant que la zone d'attente n'est pas la France et donc qu'il n'a pas à y intervenir », témoigne Hélène Gacon. Des juges des enfants ont cependant estimé le contraire et pris des décisions de placements. Dans un arrêt du 7 décembre 2004, la cour d'appel de Paris a d'ailleurs confirmé cette position. Reste à savoir si le jeune doit être considéré comme étant en danger en zone attente, point qui lui aussi fait débat. Chez la défenseure des enfants en tout cas, on indique que le seul « isolement du mineur par rapport au titulaire de l'autorité parentale constitue un facteur de danger ».

Pour les mineurs isolés entrés sur le territoire, observe Françoise Monéger, « la loi du 4 mars 2002 ne les a pas déclarés en danger comme elle l'a fait pour ceux se prostituant ». Et de questionner : « Quelle est alors pour eux la définition du danger ? » Deuxième interrogation sans réponse : « Faut-il un référent familial pour que le juge des enfants agisse au titre de l'assistance éducative ? » Certains juges des enfants considèrent qu'ils n'interviennent que par rapport à une famille et aux conditions d'exercice de l'autorité parentale, et qu'en l'absence des parents, la situation n'est pas de leur ressort. L'enfant devrait alors être protégé par une mesure de tutelle. La jurisprudence développée par la chambre des mineurs de la cour d'appel de Paris tend néanmoins à démontrer le contraire, comme le résume son président Philippe Chaillou : « Nous avons jugé par plusieurs arrêts que le mineur isolé est bien un mineur en danger et qu'il relève donc du juge des enfants au titre de l'assistance éducative. » Quant à la juridiction compétente, pour ces enfants non rattachés à un territoire, « la loi dit que c'est celle où demeure le mineur ; la Cour de cassation, celle où il se trouve », note Françoise Monéger.

Tous les mineurs étrangers isolés doivent-ils cependant dépendre du même statut ? Non, défend Geneviève Lefebvre, juge au tribunal pour enfants de Paris. « L'intervention du juge des enfants est légitime pour certaines situations, pas forcément pour toutes. Au départ, il me semble qu'il est le mieux à même d'investiguer sur la réalité de ces enfants, mais ensuite, il peut clore le dossier afin qu'ils bénéficient d'un autre statut. » Ainsi, des orphelins ou des enfants ayant des parents avec lesquels ils ne peuvent communiquer doivent bénéficier d'une tutelle, via le juge des tutelles. Pour des enfants envoyés par des parents refusant tout contact, c'est une délégation d'autorité parentale, via le juge aux affaires familiales, qui s'impose. « Mais pour ceux mandatés par leur famille et gardant des liens, il doit y avoir moyen d'étendre l'assistance éducative sur un plan international. Cela suppose d'adapter nos méthodes : travailler avec des interprètes, analyser les conditions de vie dans le pays des mineurs, négocier leur avenir avec les parents... Bref, faire le travail de base d'un juge des enfants et d'un service éducatif. Or aujourd'hui, on plaque un statut artificiel, tel celui d'orphelin, parce que c'est plus commode d'organiser une tutelle », s'enflamme-t-elle.

Confiés à l'ASE, à la protection judiciaire de la jeunesse ou à un autre service, les mineurs vont se retrouver vite confrontés à une autre question de statut tout aussi déterminante pour leur avenir. En effet, jusqu'à sa majorité, l'enfant étranger n'a pas besoin de titre de séjour. Mais à 18 ans, le couperet tombe, il se retrouve sans papiers, et peut faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Hormis pour les jeunes pouvant prouver leur présence sur le territoire depuis l'âge de 13 ans ou relevant du droit d'asile, rien n'est prévu. Toutefois, se réjouit Laurence Roques, « certains arrêtés de reconduite à la frontière de mineurs isolés pris en charge par l'ASE et devenus majeurs ont été annulés par le Conseil d'Etat. Ce dernier a considéré la non-délivrance d'un titre de séjour comme contraire à l'article 8 de la convention européenne des droits de l'Homme, qui garantit le respect du droit à la vie privée et familiale. » Puis de déplorer : « Pour-tant, les préfectures résistent et ne délivrent pas de cartes de séjour pour vie privée et familiale. »

L'autre moyen de rester sur le territoire est de devenir français. Un moyen réduit à peau de chagrin avec la modification de l'article 21-12 du code civil par la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration. On exige désormais, précise Françoise Monéger, que « l'enfant ait été recueilli par une personne de nationalité française ou élevé dans des conditions permettant de recevoir une formation française depuis cinq ans au moins, délai ramené à trois ans quand il a été confié à l'ASE ». Outre la différence de traitement entre les mineurs - dont on sait que « c'est souvent le hasard qui détermine qu'ils soient confiés à l'un ou à l'autre », rappelle la juriste -, et le risque de voir arriver en France des mineurs plus jeunes, cette évolution complexifie encore le suivi de l'ASE. « Comment travailler sur la construction à terme d'un projet individualisé si l'ASE n'est qu'un point de passage dans un parcours clandestin ? », interpelle Claude Roméo, directeur de l'enfance et la famille au conseil général de Seine-Saint-Denis. En outre, souligne Gisèle Stievenard, adjointe au maire de Paris chargée de la solidarité et des affaires sociales, « si la brièveté de la prise en charge est déjà une source de difficultés pour les travailleurs sociaux, puisque les jeunes ont en général 16 ou 17 ans à leur arrivée, savoir qu'ils deviendront des clandestins à 18 ans ne peut que les démotiver ». Grâce à des contrats jeunes majeurs, certains bénéficient toutefois d'un léger sursis. Pour autant, détaille Elisabeth Coletta, inspectrice de l'ASE de Seine-Saint-Denis, « à leur majorité, plus de 80 % de nos jeunes entrent dans la catégorie des sans-papiers ».

Les équipes éducatives sont aussi confrontées à une autre aberration :l'obligation pour les 16-18 ans, désireux d'accéder à une formation professionnelle, d'obtenir une autorisation de travail, ce qui implique la détention... d'un titre de séjour. Une aberration pointée par la défenseure des enfants, qui a recommandé « d'ouvrir à ces mineurs l'accès à l'apprentissage pour ne pas les laisser désœuvrés et sans avenir professionnel, porte ouverte à des attitudes délinquantes ». L'affaire n'est toutefois pas gagnée. Afin d'améliorer le cadre législatif, le député (UMP) de l'Yonne, Jean-Marie Rolland, avait déposé, lors de l'adoption du projet de loi pour la cohésion sociale, un amendement pour permettre aux mineurs isolés de 16 à 18 ans, pris en charge par l'ASE, d'accéder à la formation professionnelle. Mais sa portée a été réduite par le gouvernement, puisque la loi n'autorise la conclusion d'un contrat d'apprentissage que pour les mineurs pris en charge par l'ASE avant 16 ans (4). Une autre proposition pour sortir de ces impasses a été faite par Jean-Marie Rolland dans un rapport présenté en décembre 2004 à l'Assemblée nationale. Il s'agissait, explique-t-il, « de définir un statut spécifique au mineur et au jeune majeur étrangers isolés qui leur permettrait d'obtenir un titre de séjour spécifique garantissant leur accès avant 18 ans au dispositif d'alternance et leur maintien ultérieur sur le territoire. Ce titre pourrait être accordé de façon stricte avec un contrat dont le renouvellement serait conditionné aux efforts faits dans le cadre d'une volonté d'intégration. » Mais cette proposition est restée sans suite pour l'instant.

Pour progresser, nombre d'acteurs soulignent la nécessité de sortir de la vision sécuritaire. « Ne confondons pas victimes et bourreaux. La logique à privilégier pour les jeunes est celle de la protection et de la reconstruction. Ce ne sont pas les dispositifs d'accueil qui font un appel d'air mais l'état du monde tel qu'il va », analyse Pierre Henry, directeur général de France terre d'asile. « Il faut faire des révolutions intellectuelles :considérer que ces mineurs sont des enfants avant d'être des étrangers, et que ce ne sont pas naturellement des délinquants », observe Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny, qui attend « un message politique clair sur le sort à leur réserver. » Notamment, conseille Jean-Marie Rolland, « au plan national, il faut unifier et clarifier notre droit. Les modalités d'entrée dans le système de protection doivent être harmonisées et l'Etat doit rechercher une meilleure coordination des pouvoirs publics. »

En plus d'améliorer la cohérence interministérielle défaillante, il devient urgent d'éclaircir la répartition des compétences entre l'Etat et les départements - dont les dépenses pour les mineurs étrangers isolés s'alourdissent : en 2004,25 millions d'euros à Paris, plus de 16 millions dans la Seine-Saint-Denis... « Depuis 20 ans, on se demande qui doit assumer et qui doit payer. Il faut en sortir. Les bonnes initiatives locales ne suffisent pas à pallier l'absence d'un dispositif d'accueil pensé au niveau national. Trop d'obstacles demeurent... », estime Pierre Henry. « Les départements sont seuls en première ligne pour faire face à toutes les difficultés, déplore Gisèle Stievenard. Nous souhaitons que l'Etat nous accompagne et que soit créé un dispositif national d'accueil et d'orientation régionalisé afin que soit prise en compte la dimension internationale. » Une proposition qu'avait formulée, en 2003, Bertrand Landrieu dans son rapport sur la prise en charge des mineurs isolés et qui n'a guère eu de suite (5). Dans la même lignée, Claude Roméo développe l'idée qu'à l'issue « d'une période d'évaluation et de recherche de l'autorité parentale de six à neuf mois à la charge de l'Etat, on octroie à ces mineurs un statut spécifique facilitant leur intégration sociale et professionnelle. Tout mineur en danger autorisé à demeurer ici serait alors logiquement pris en charge par l'ASE. » Il s'agit aussi, pour lui, de faire reconnaître que « la question des mineurs errants dépasse le champ de la protection de l'enfance, en particulier pour ceux victimes de réseaux d'exploitation », et « qu'un travail spécifique de mise en confiance doit être fait pour qu'ils ne fuguent pas ensuite ». Ce travail a commencé à prendre forme à Paris où, rappelle Gisèle Stievenard, « l'Etat s'est impliqué dans un dispositif visant à aller au-devant de ces mineurs et qui constitue une sorte de sas avant la mission de l'ASE » (voir encadré ci-contre).

Coopérer avec les pays d'origine

Pour régler le problème à la source, l'Etat est aussi appelé à s'impliquer en amont, et donc à accroître la coopération avec les pays d'origine des enfants pour prévenir leur migration. Notam-ment, estime Jean-Marie Rolland, « il faut développer ce qui s'est fait avec la Roumanie dans le cadre de l'accord intergouvernemental du 4 octobre 2002 » (6). Celui-ci a permis de monter un groupe de liaison opérationnel entre les administrations policière, judiciaire et sociale des deux pays pour lutter contre l'exploitation des mineurs roumains en France et faciliter leur retour. Peu de départs effectifs ont cependant eu lieu. Mais, souligne le député, « cela a permis des échanges et des partenariats importants à l'heure où la Roumanie s'apprête à entrer dans l'Union européenne ».

Cependant, il ne faut pas se tromper de combat. « La plupart des enfants resteront en France. L'objectif principal est donc de faciliter leur projet de vie et d'intégration », analyse Gisèle Stievenard. « Il faut s'attaquer au mythe du retour, improbable dans nombre de cas », insiste Jean-Pierre Rosenczveig, qui souligne la gabegie que peut constituer un mauvais traitement de la question. « Il n'était pas facile pour des travailleurs sociaux formés à la maltraitance de s'occuper d'un jeune Chinois sans problèmes familiaux ou d'un mineur roumain envoyé en France pour mendier, rappelle-t-il ainsi. Ils ont tâtonné, se sont adaptés et ont fait face. Si on expulse les jeunes une fois majeurs, c'est un vrai gâchis humain et financier. » Ce que confirme Elisabeth Coletta, dans un constat un brin provocateur : « En termes d'efficacité sociale et économique, le résultat du suivi par l'ASE, tant par l'importance de l'investissement professionnel des équipes que par le coût de la prise en charge, n'est pas bon... Du moins, au regard du nombre d'enfants qui, sans statut, sombreront malgré tout, à leur majorité ou à la sortie du dispositif, dans l'errance et la délinquance. »

Florence Raynal

MINEURS ISOLÉS DEMANDEURS D'ASILE : DES INÉGALITÉS DE TRAITEMENT

En 2000, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) recensait 200 mineurs isolés demandeurs d'asile ; en 2004, 1 222. Une augmentation qui tranche avec la diminution de la demande globale d'asile en France. « L'une des causes est sans doute à chercher dans la réforme qui a mis fin à la pratique permettant l'accès quasi systématique à la nationalité française pour tout mineur confié à l'aide sociale à l'enfance », analyse Gérard Castex, secrétaire général de l'OFPRA. Aujourd'hui, un certain nombre de problèmes gênent l'accès à l'asile des mineurs isolés. Notamment, constate-t-il, « le recours aux administrateurs ad hoc a complexifié les choses. D'une part, tous n'ont pas la formation ni la sensibilité nécessaires à l'approche spécifique de l'asile ; de l'autre, le parquet refuse souvent d'en désigner en se fondant sur des expertises osseuses, très discutables ». Une difficulté d'autant plus grande que toute vérification dans le pays d'origine de ces mineurs est impossible. « Nous attendons cependant une circulaire d'application qui devrait introduire de la souplesse et notamment inviter le parquet à considérer que le doute doit profiter au jeune », précise-t-il. Autre ombre au tableau : l'absence d'unification des procédures au niveau des préfectures. « Certaines refusent de donner un dossier OFPRA, d'autres renâclent à délivrer une autorisation provisoire de séjour. Certaines aussi demandent des pièces que les mineurs n'ont pas à produire. Il est urgent qu'une unité en termes de pratiques voit le jour », s'emporte Jacques Ribs, président de France terre d'asile. Il plaide également pour la création d'une section « mineurs » à l'OFPRA, afin de voir les demandes gérées par des agents de protection spécialisés. Enfin, une autre inégalité est criante. Si le taux d'admission des mineurs isolés demandeurs d'asile dépasse désormais largement celui des demandeurs d'asile (34 % contre 15 %, après passage devant la commission des recours des réfugiés), il est encore bien plus élevé pour ceux ayant été pris en charge et assistés par le centre d'accueil et d'orientation pour mineurs isolés demandeurs d'asile (Caomida) de France terre d'asile (7). En effet, « son taux de reconnaissance global est de 80% », affirme Dominique Bordin, son directeur. Mais le Caomida ne dispose que de 33 places. Il faudrait donc, dans un souci de justice, développer d'autres dispositifs spécialisés. Une idée que défend France terre d'asile en proposant d'ouvrir des places pour les mineurs dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile, « le tout coordonné par une instance réunissant les acteurs chargés de la protection de l'enfance au niveau régional, et cofinancé par l'Etat et les départements ».

UN PARTENARIAT POUR APPRIVOISER LES MINEURS ISOLÉS EN ERRANCE

Aller vers les mineurs isolés à la rue et les amener vers le droit commun. Tel est le but que s'est fixé la direction des affaires sanitaires et sociales (DASS) de Paris, depuis fin 2002, lorsqu'elle a mis en place un dispositif expérimental en partenariat avec plusieurs associations, dont le SAMU social international, qui a ensuite évolué (8). « Toute la difficulté était d'arriver à apprivoiser ces jeunes en errance très rétifs à une prise en charge et à les convaincre d'accepter une aide », explique Philippe Coste, directeur de la DASS. En janvier 2004, un bilan est dressé. Constat : les maraudes pour adultes du SAMU social international fonctionnent mal avec les jeunes, qui les fuient. Des associations comme Hors la rue puis Arc 75 entrent alors dans la danse afin d'effectuer un repérage plus précis, soutenu par un dispositif d'accompagnement de jour et d'abri de nuit. France terre d'asile, Enfants du Monde-Droits de l'Homme et Arc 75 offrent ainsi une capacité totale de prise en charge de 110 accueils de jour et de 29 de nuit. Le budget de l'opération s'élève à 2,5 millions d'euros en 2004. En plus de se préoccuper de ces jeunes, le système permet, comme le souligne Gisèle Stievenard, « d'affiner les évaluations et de diminuer les situations d'accueil d'extrême urgence à l'aide sociale à l'enfance [ASE] ». Sans doute réduit-il aussi les risques de fugue, l'entrée à l'ASE étant mieux préparée. Sur 940 mineurs contactés en 2004,383 ont été orientés dont 283 sont suivis par l'ASE. En juin 2004, « via une convention, nous avons affirmé la volonté d'accompagner ces jeunes vers le droit commun, au titre de l'ASE, et d'avoir un dispositif bien articulé avec d'autres partenaires institutionnels :parquet, juges des enfants, protection judiciaire de la jeunesse... Il nous reste toutefois aujourd'hui à mieux fixer le cadre général des pratiques que nous avons élaborées », explique Philippe Coste. Selon lui, en tout cas, l'objectif premier est rempli : « Le repérage est devenu très efficace car, derrière, des solutions sont apportées, permettant au bouche à oreille de fonctionner. En outre, partenaires et institutions jouent bien le jeu. » La DASS constate toutefois une évolution qui l'inquiète. « Nous sommes de plus en plus utilisés comme un sas face à des difficultés de prise en charge auxquelles sont confrontés notamment les magistrats. Nous servons alors de case retour à des enfants qui devraient déjà être intégrés dans le dispositif de droit commun. »

Notes

(1)  Voir ASH n° 2351 du 19-03-04.

(2)  Réunis lors de deux colloques : « Mineurs étrangers isolés, un défi à relever », organisé le 28 janvier par l'Association Louis-Chatin pour la défense des droits de l'enfant : cecilemar@aol.com ; « 1985-2005 : 20 ans de décentralisation, pour quels progrès dans la protection des mineurs isolés étrangers et demandeurs d'asile », organisé le 4 février par France terre d'asile : 25, rue Ganneron - 75018 Paris - Tél. 01 53 04 39 99.

(3)  Voir ASH n° 2324 du 12-09-03.

(4)  Voir ASH n° 2395 du 18-02-05.

(5)  Voir ASH n° 2317 du 27-06-03.

(6)  Voir ASH n° 2280 du 11-10-02.

(7)  Voir ASH n° 2172 du 23-06-00.

(8)  Lancé en septembre 2002 par Dominique Versini, alors secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion, il avait été recadré en 2004 - Voir ASH n° 2346 du 13-02-04.

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