« La loi de 2 janvier 2002 impose aux établissements sanitaires et sociaux de mettre en place une démarche qualité. Il s'agit de mesurer les écarts entre un référentiel établi et la réalité observée. Il importe donc de ne pas se précipiter lors de l'élaboration des critères de qualité. Car se pose la question du choix des objectifs à atteindre, mais aussi de leur légitimité et de leur pertinence. Seront-ils légitimes et pertinents si l'écart entre les attentes des usagers et des financeurs, d'une part, et les objectifs des professionnels, d'autre part, est trop grand ? Il convient ainsi de réfléchir à la perception que chacun (usagers, professionnels, financeurs) a du service attendu et rendu. Pour répondre à ce souci, une approche transdisciplinaire de la prise en charge des usagers semble la mieux adaptée, car si les logiques sont différentes, les efforts de tous concourent à la qualité.
Ne pas intégrer dans la démarche qualité le financeur (ou l'Etat), les partenaires extérieurs (associations, intervenants), les usagers et/ou leurs représentants, serait une erreur. De même, tous les salariés, quels qu'ils soient, doivent avoir leur place au sein de ce dispositif. Les personnels éducatifs, administratifs, des services généraux, paramédicaux ou médicaux ont une approche souvent différente de la qualité d'une prise en charge. Qui peut dire, de façon honnête, laquelle est la plus légitime, la plus pertinente ?
La pensée transdisciplinaire, telle que la définit Edgar Morin, ne s'oppose pas à l'approche disciplinaire. Elle se nourrit de l'apport des disciplines, en créant des liens entre elles, sans les hiérarchiser. Mais la difficulté réside dans l'utilisation de langages disciplinaires, appelés aussi "langages d'experts ". Bien sûr, il est légitime de posséder un vocabulaire propre à son métier, mais comment communiquer avec l'autre si un langage professionnel trop spécifique ne permet pas de se faire comprendre d'un très grand nombre ? A trop vouloir recourir à un langage d'expert, on limite l'amorce d'un vrai débat entre professionnels de différentes disciplines, on ne communique qu'avec des gens de même métier, qu'avec ceux qui nous ressemblent. C'est ainsi qu'un débat sur la prise en charge d'un usager, par exemple, n'est généralement ouvert qu'aux professionnels des secteurs éducatifs et médicaux, sans que les autres disciplines y soient intégrées. Cette situation est une conséquence de l'approche disciplinaire, voire corporatiste parfois, qui parcellise la prise en charge, comme si l'homme pouvait se réduire à quelques-unes de ces facettes. L'approche disciplinaire a bien sûr amélioré les dispositifs de prise en charge, mais elle ne peut être l'unique voie de la démarche qualité, laquelle va être l'occasion pour tous les professionnels salariés des établissements sanitaires et sociaux de s'adresser à l'autre avec des codes connus de tous, de confronter leurs idées, dans le respect de chacun. Ce sera un dispositif global et négocié où tous les secteurs d'activité auront leur importance.
Communiquer avec autrui, c'est échanger des idées mettant en jeu des formes, des significations. En effet, il ne suffit pas de donner par exemple un lexique à chacun des participants d'une réunion pour être certain que tout le monde se comprenne. Un même mot peut avoir une signification différente en fonction du contexte, de celui qui l'énonce, et de la personne qui l'entend. J'ai en tête un exemple assez éclairant. Des professionnels du travail social souhaitaient mettre l'usager au centre d'un projet de création d'un établissement pour adultes handicapés mentaux. Les parents, associés au projet, soutenaient cette idée. La discussion s'est portée sur le mot "sujet ". Pour les travailleurs sociaux, ce terme semblait exprimer le mieux l'idée de respect de l'individu accueilli. Pour les familles, en revanche, il avait une connotation d' "esclave ", soumis à autrui comme les "sujets" des rois sous l'Ancien Régime. Lorsque chacun a pu expliquer à l'autre le sens qu'il mettait sous ce mot, un consensus est apparu pour le choix du terme "personne ". Tant que les travailleurs sociaux ne s'étaient pas confrontés à d'autres, ils n'avaient pas besoin d'expliquer le mot "sujet ",puisqu'il "allait de soi ". Autrement dit, la communication au sein d'un même groupe se fait souvent par l'intermédiaire d'évidences, de sous-entendus, qu'il est inutile d'expliquer pour se faire comprendre ; mais cela peut créer parfois des malentendus avec des personnes étrangères au groupe. Il s'agit donc de faire en sorte que tous les professionnels d'un établissement sanitaire et social soient membres d'un même groupe social afin qu'ils se comprennent et élaborent ensemble une démarche qualité.
Les comités de pilotage pour la mise en place de la démarche qualité auront donc à s'attacher à mieux comprendre les logiques et perceptions des différents acteurs. C'est un exercice long et difficile car la tentation de vouloir imposer son point de vue disciplinaire restera présente, au moins au début du processus. Afin de limiter ces risques corporatistes, l'instance devra obligatoirement comporter un représentant de chaque métier. Les services éducatifs n'ont pas à être surreprésentés au détriment des services administratifs et généraux. La démarche qualité est un système d'organisation où tous les services sont liés les uns aux autres, comme une horloge où tous les éléments du mécanisme sont solidaires et nécessaires. Dès qu'un élément manque, c'est la panne.
Chaque individu, nous dit Edgar Morin, "possède à l'intérieur de lui-même l'organisation de son milieu ". Dans le cadre de la démarche qualité, chacun exposera ainsi la connaissance organisationnelle de son milieu (sa discipline, sa technique, son métier) mais en intégrant tous les autres services et en proposant des liens possibles avec les autres disciplines. La réflexion sur la contribution de chacun à une prise en charge globale de l'usager doit aboutir à un système d'organisation repéré et repérable par tous, mettant en lien tous les protagonistes d'un établissement sanitaire et social (salariés, usagers, financeurs, autres partenaires). Le professionnel doit garder à l'esprit qu'il accompagne un individu qui possède sa propre histoire au sein d'un système familial, socioculturel, économique, géographique. Une prise en charge de qualité devrait s'orienter alors vers une vision plus globale de l'individu. »
Richard Ribière Contact : Adapei - Secteur « enfants » : 1, rue Françoise-Dolto - 01103 Oyonnax cedex - Tél.04 74 73 23 00 - E-mail :