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Une « recherche sociale » par et pour les travailleurs sociaux

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Le DEA « Travail social, action sociale et société », institué dans la chaire de travail social du Conservatoire national des arts et métiers, entre dans sa quatrième année. Réclamée de longue date, cette formation de troisième cycle marque une reconnaissance du champ social au sein de la recherche.

Trois promotions ont déjà essuyé les plâtres du premier diplôme d'études approfondies (DEA) « Travail social, action sociale et société », lancé en octobre 2002 au sein de la chaire de travail social du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Cette formation inédite, devenue master de recher-che - en raison de la réforme européenne de l'université (LMD) -, était attendue de longue date dans le secteur (1). Elle permet de répondre « au souhait du milieu professionnel de développer une offre de formation de troisième cycle qui, tout en étant articulée aux savoirs méthodologiques et techniques professionnels, sache offrir des cadres théoriques permettant les capacités d'analyses attendues et la production de connaissances », affirme Brigitte Bouquet, vice-présidente du Conseil supérieur du travail social (CSTS) et professeur titulaire de la chaire. Jusqu'à présent, les travailleurs sociaux désireux de poursuivre une formation supérieure étaient obligés de s'inscrire en DEA de psychologie, de sociologie ou de sciences de l'éducation, « sans pouvoir toujours y trouver les approches pluridisciplinaires nécessaires à la meilleure appréhension de leur objet de recherche ».

Une exception française au regard de l'offre de formation prévalant à l'étranger. Brigitte Bouquet dénombre en effet une quarantaine de doctorats en travail social en Europe et 70 aux Etats-Unis, sans compter ceux du Canada ou de l'Amé-rique latine. Dès sa prise de fonction en septembre 2001, la titulaire de la chaire s'est donc lancée dans la demande d'habilitation d'un DEA auprès du ministère de la Recherche.

Malgré plusieurs na-vettes, le dossier a été rapidement accepté. Principal point d'achoppement des discussions : le travail social n'est pas considéré en France comme une discipline à part entière, mais uniquement comme un champ de pratiques. Le master de recherche s'appuie donc sur une discipline existante, la sociologie, tout en proposant des enseignements variés, alliant les sciences politiques, le droit, l'économie et la psychologie (2). La psychanalyse y est relativement absente. « Cela représentait un trop grand écart par rapport à notre discipline-mère, la sociologie », explique Brigitte Bouquet, même si certaines conférences lui sont consacrées. Le travail social est ainsi appréhendé à la croisée de quatre champs d'analyse complémentaires : les transformations de la société, l'émergence et la cristallisation des problèmes sociaux, les réponses apportées par « l'Etat social », et enfin les jeux d'acteurs (professionnels comme usagers).

Les finalités de cette formation pluridisciplinaire tranchent avec la conception traditionnelle de la recherche en France. Selon Brigitte Bouquet, « la recherche sociale a pour objet la société, pour mode de réalisation la collaboration des chercheurs et des praticiens, et pour souci un projet de société ». Autrement dit, au-delà de l'enjeu épistémologique propre à tout travail scientifique, cette formation poursuit également un objectif professionnel, visant à formuler des problèmes sociaux émergents pour enrichir la pratique, et s'inscrit dans une finalité plus vaste, celle de l'utilité sociale. « Cette finalité éthique en arrière-fond est propre au travail social », remarque la titulaire de la chaire. Mais cette position ne va pas sans difficultés. « Il n'est pas facile de prétendre faire science dans un champ dans lequel on agit », poursuit-elle, déplorant le cloisonnement en France entre praticiens et chercheurs. Le master de recherche bénéficie de l'apport de nombreux universitaires extérieurs au CNAM, spécialistes du champ du travail social : les sociologues François Aballea, Michel Chauvière, Claude Dubar ou Michel Messu font notamment partie de l'équipe enseignante (3).

Les étudiants sont des travailleurs sociaux pour la très grande majorité d'entre eux (voir encadré ci-dessous)  : les praticiens de terrain (éducateurs, assistants sociaux, animateurs) sont les plus nombreux, devant les directeurs ou directeurs adjoints, les cadres intermédiaires, les formateurs puis les consultants. Leurs motivations sont diverses. « Ceux qui occupent des postes à responsabilités ne pourront sans doute pas poursuivre en thèse, suppose Brigitte Bouquet, qui compte déjà deux doctorants dans la chaire de travail social (4). D'autres pourront, grâce aux compétences acquises, devenir chargés de mission ou d'étude dans de grandes institutions. » En définitive, très peu d'entre eux envisagent une carrière universitaire. « Pour beaucoup, ce travail de recherche correspond à une volonté de faire le point, d'approfondir la réflexion et de la transmettre au milieu professionnel, poursuit la titulaire de la chaire. L'université comme le ministère de la Recherche ont parfois eu du mal à comprendre cet intérêt pour l'enrichissement personnel. » Mais cet attrait pour la réflexion a aussi son revers. « La première promotion a un peu eu tendance à faire de l'essai philosophique, reconnaît Brigitte Bouquet. Mais cela a déjà évolué dans les promotions suivantes. » Pour Léa Lima, qui enseigne la méthodologie dans le master de recherche, « ce DEA est souvent utilisé par les étudiants pour mieux comprendre ce que font leurs semblables, mais pas forcément pour analyser le public sur lequel ils travaillent ». Son étude du contenu des mémoires des étudiants de la promotion Castel (5) est à ce titre éclairante. « Les travailleurs sociaux aiment se pencher sur leur travail, leur identité professionnelle, qui apparaît toujours problématique et en mouvement », constate-t-elle. Bon nombre de travaux sont ainsi consacrés à l'analyse des pratiques, au détriment, notamment, de l'étude des effets des politiques publiques sur les populations.

Du côté des méthodes de travail, les étudiants auraient tendance « à réfléchir sur le monde plutôt qu'à l'observer ». Mais ce goût de la posture réflexive au détriment de l'empirisme « participe aussi de la recherche sociale », tempère Léa Lima. De son côté, Brigitte Bouquet constate une profonde différence entre les étudiants issus de l'université et les travailleurs sociaux : « Si les premiers manient plus facilement la théorie, le langage académique, ils ont plus de difficultés à trouver un terrain d'investigation. Les professionnels sont quant à eux obligés de faire un pas de côté. » Un changement de position qui prend du temps, le costume de chercheur ne s'endossant pas si facilement. Pour Patrick Cottin, directeur d'un centre éducatif et thérapeutique à Rennes, qui a réalisé un mé-moire sur « L'opposabilité dans le travail social -possible contrepoint aux politiques publiques néo-libérales ? », ce cheminement fut laborieux : « Avant de commencer, j'avais des intimes convictions dont j'ai eu du mal à me départir. Il m'a fallu beaucoup de travail pour trouver la bonne distance et sortir du nombrilisme. » Mais ces efforts en valaient la peine. « J'avais besoin de réfléchir et de participer au débat, ajoute-t-il. La position de praticien-chercheur permet de prendre de la hauteur afin d'avoir un meilleur crédit en tant que travailleur social qui parle du travail social. »

Pour Marie-Hélène Barbaud, assistante sociale, cet apprentissage de la recherche correspondait à un besoin de prendre du recul sur un travail quotidien délicat, celui de l'attribution des aides financières. « Je voulais comprendre pourquoi je fais cela, comment je le fais et quelles sont les intentions et les finalités de ces aides qui ne cessent de se multiplier », raconte-t-elle. Si le passage du terrain à la recherche fut difficile, le retour au travail social le fut tout autant. « J'ai eu du mal à évoquer mon travail de recherche avec mes collègues, qui l'ont perçu comme une remise en cause de leur propre travail, indique-t-elle. Maintenant que je dispose de ces connaissances, cela me cause des difficultés car je regarde les choses avec beaucoup plus d'esprit critique. » L'assistante sociale a décidé de poursuivre en thèse, « en travaillant autour de la so-ciologie du droit ». Philippe Besson, directeur d'une association œuvrant dans le domaine du handicap, a lui aussi choisi de s'inscrire en thèse, après avoir produit un mémoire intitulé « Du droit des uns aux obligations des autres : quelques principes de justice pour éclairer les évolutions du RMI ». Une expérience de recherche qui lui a permis de participer à l'élaboration d'une politique publique locale « en dialoguant avec un directeur chargé de la vie sociale du département de la Loire intéressé par [son] travail ».

Enfin, Martine Favre, assistante sociale à la Mutualité sociale agricole à Toulouse, perçoit au quotidien les apports de son travail de recherche. Depuis la rédaction de son mémoire consacré à la solidarité (6), cette dernière parvient en effet « mieux à faire passer les valeurs implicites véhiculées par l'institution ». Si cette recherche l'a beaucoup enrichie, l'assistante sociale reconnaît que la conciliation entre DEA, travail et vie familiale tient de l'exercice d'équilibriste. « Le soutien de la famille et du milieu professionnel est indispensable pour mener une recherche de bon niveau », prévient-elle. Autant dire que la motivation des candidats doit être sans faille.

« C'est un vrai plaisir d'enseigner à des étudiants aussi motivés », confirme Brigitte Bouquet. La titulaire de la chaire de travail social souhaiterait désormais pouvoir leur offrir plus de choix en ouvrant, parallèlement au master de recherche, un master professionnel. Avec pour objectif de « former des cadres de l'intervention sociale ». Cette formation pourrait notamment convenir aux détenteurs du bachelor « Responsable de projets collectifs en insertion » proposé par la chaire (voir encadré ci-contre). « Mais nous nous heurtons à l'obstacle du manque de moyens, comme dans toutes les universités, regrette Brigitte Bouquet. Pour nous consolider, il nous faudrait quatre ou cinq permanents. Or, pour l'instant, je suis la seule. » Florence Pagneux

UNE MOYENNE D'AGE ÉLEVÉE

Les étudiants ont 40 ans en moyenne. Les femmes (61 %) sont plus nombreuses que les hommes (39 %). Et l'origine géographique des étudiants est variée :si 56 % d'entre eux sont issus de la région parisienne, les 44 % restants n'hésitent pas à multiplier les trajets province-Paris pour suivre les enseignements du master. Enfin, rares sont les participants à ne pas disposer d'un diplôme de travail social (13,2 %).

DEUX FORMATIONS DIPLOMANTES

La chaire de travail social fait partie du pôle « travail et société » du Conservatoire national des arts et métiers. Deux formations diplômantes sont proposées : le master de recherche « Travail social, action sociale et société » (niveau bac + 5) et le bachelor « Responsable de projets collectifs en insertion ». Ce diplôme de niveau bac + 3 est délivré conjointement par les chaires de travail social et d'analyse sociologique du travail, en collaboration avec la chaire de formation des adultes et le service « communication culture expression ». La chaire de travail social participe également au master de travail social en Europe, en partenariat avec l'Institut social de Lille-Vauban et 11 autres universités européennes. Plusieurs stages de formation continue sont également proposés chaque année. La chaire monte encore, dans le cadre du Groupe de recherches interdisciplinaires sur les organisations et le travail, des actions de formation à la demande du milieu professionnel. Enfin, des séminaires de recherche, des journées d'études et des colloques sont organisés.

Chaire de travail social du CNAM : Case 256 - 292, rue Saint-Martin - 75141 Paris cedex 03 - Secrétariat :Tél. 01 58 80 83 03 - E-mail :bouquet@cnam.fr - www.cnam.fr/travailsocial.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2264 du 24-05-02.

(2)  Ce diplôme de troisième cycle s'inscrit dans le cadre de l'école doctorale ETE (Entreprise travail emploi) conjointe au CNAM et à l'université de Marne-la-Vallée.

(3)  Ces enseignants sont respectivement professeur à l'université de Rouen, directeur de recherche au CNRS, professeur à l'université de Saint-Quentin-en-Yvelines et professeur à l'université de Nantes.

(4)  Les étudiants en thèse s'appuient sur l'unité mixte de recherche (UMR) Lise (Laboratoire interdisciplinaire de sociologie économique) et sur la chaire de travail social.

(5)  Robert Castel, Serge Paugam et François Dubet ont tenu une conférence d'ouverture de chacune des promotions du DEA, qui portent désormais leurs noms.

(6)   « Aux confins du développement social local et du mutualisme. Approche compréhensive : la solidarité, une valeur partagée ? »

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