Indifféremment qualifiée de « psychique » ou de « sociale », la souffrance subjectivement ressentie comme étant d'origine sociale traduit une réalité qui « semble appeler d'autres outils, voire d'autres professionnels que ceux du travail dit "social " », explique Jacques Ion. Nommées dans cet ouvrage « socio-psychiques », ce sont ces nouvelles pratiques, mises en œuvre dans le cadre de dispositifs où les problèmes sociaux se posent, avant tout, en termes de clinique du « lien défait », qui font l'objet des différentes contributions de sociologues. Intervenant là où la relation d'aide est « en souffrance », c'est-à-dire très délicate à établir et à maintenir, les « nouveaux cliniciens du travail social », selon la formule de Bertrand Ravon, viennent en appui des travailleurs sociaux dont les difficultés à agir rencontrent l'incapacité des sujets aidés à enclencher une quelconque démarche.
C'est pourquoi, par exemple, en région Rhône-Alpes, des psychologues sont sollicités pour prendre en compte la souffrance psychique de certains bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI) dont les troubles se définissent essentiellement comme un frein à l'insertion. « Dans un dispositif RMI qui incite les gens à "se bouger ", commente Christian Laval, l'impossibilité de se "remettre en route" est corrélée à une santé psychique dégradée. » D'autres cliniciens interviennent directement auprès des travailleurs sociaux. C'est le cas dans les groupes d'analyse de la pratique, étudiés par Jean-Baptiste Pommier, qui ne visent pas à « soigner la personne du travailleur social », mais à « prendre soin de la relation de travail dans laquelle celui-ci est subjectivement empêtré ».
Judicieusement intitulé « Interface » et composé d'un psychiatre et de deux travailleurs sociaux, un dispositif médico-social novateur, également présenté par Jean-Baptiste Pommier, fonctionne au sein des structures de l'action sociale d'un arrondissement de Lyon pour soutenir leurs professionnels. L'équipe d'Interface a pour mission d'accompagner ces derniers dans la compréhension des situations d'usagers dont la santé mentale les inquiète, et dans l'élaboration des réponses à leur apporter. Ce travail autour de « relations d'aide désordonnées pour des motifs de souffrance chez l'usager » peut parfois déboucher sur des consultations de l'intéressé avec le psychiatre du dispositif. Réalisées sur le lieu d'activité du travailleur social référent, et toujours en sa présence, celles-ci ne sont pas conçues comme une prise en charge médicale mais comme son préalable. En effet, « des indications de soin précipitées se soldent souvent par des échecs qui accroissent la fragilité de la relation d'aide sociale et, en conséquence, les difficultés des professionnels », souligne l'équipe d'Interface. S'il s'agit donc de faciliter, quand il y a lieu, l'accès au soin psychique de personnes fragiles, note Jean-Baptiste Pommier, c'est bien, néanmoins, « la réparation de la relation plus que celle d'individus défaillants » qui constitue l'objectif-clé du dispositif lyonnais. Le même souci est partagé par les différentes modalités d'intervention étudiées dans cet ouvrage, qui toutes s'efforcent de remédier au malaise dans la relation pour venir à bout d'une panne de l'action.
Travail social et souffrance psychique - Sous la direction de Jacques Ion - Ed. Dunod - 23 €.