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Les formes élémentaires de la pauvreté

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Qu'est-ce qui fait que, dans une société donnée, une personne est considérée comme pauvre et définie prioritairement par sa pauvreté ? Selon le sociologue allemand Georg Simmel, dont Serge Paugam reprend l'analyse, c'est l'assistance que cette personne reçoit publiquement de la collectivité qui détermine son statut de pauvre et marque son appartenance sociale à une strate spécifique de la population -une strate inévitablement dévalorisée puisque définie par sa dépendance à l'égard de toutes les autres. Partant de ce postulat, l'objet d'étude de Serge Paugam n'est pas la pauvreté ni les pauvres en tant que tels, mais la relation d'assistance, et donc d'interdépendance, entre eux et la société dont ils font partie.

A partir de plusieurs recherches européennes auxquelles il a participé, Serge Paugam compare les formes que prend, dans différents pays, cette relation entre la population désignée comme pauvre et la société dont elle dépend pour sa survie. S'appuyant sur les représentations sociales de la pauvreté, qui sont à l'origine des politiques menées en direction des populations jugées défavorisées, ainsi que sur l'expérience vécue de ces dernières, l'auteur montre que le rapport d'une société à la pauvreté est essentiellement fonction de son niveau de développement économique et de son système de protection et d'action sociales.

Cela l'amène à dégager trois « formes élémentaires de la pauvreté » : la pauvreté « intégrée », la pauvreté « marginale » et la pauvreté « disqualifiante ». La première renvoie aux sociétés où les « pauvres », nombreux, se distinguent peu des autres couches de la population et ne sont pas, de ce fait, fortement stigmatisés. C'est le cas dans les régions les moins prospères des pays du sud de l'Europe, où la pauvreté de leurs conditions de vie n'implique pas une exclusion sociale des intéressés, notamment en raison de la vigueur des solidarités familiales. La pauvreté « marginale » s'observe, elle, dans les sociétés où les « pauvres » ne forment pas un vaste ensemble social peu distinct des autres, mais constituent une partie peu nombreuse de la population qui est souvent jugée inadaptée au monde moderne et fait l'objet d'une grande attention des institutions d'action sociale. Cette forme de pauvreté a une plus grande probabilité de se rencontrer dans les sociétés industrielles avancées en période de croissance économique, particulièrement dans celles qui réussissent à limiter l'ampleur du chômage et à assurer à chacun un haut niveau de protection sociale. Caractéristique de l'Europe des trente glorieuses, ce rapport social à la pauvreté n'est pas partout révolu, précise Serge Paugam. Il se vérifie encore en Suisse, en Allemagne et dans les pays scandinaves, soit des pays riches, touchés comme les autres par la dégradation du marché de l'emploi, mais qui, continuant néanmoins à croire fermement au schéma de la prospérité et du bien-être social partagé, tendent à minimiser l'ampleur de la question sociale. La pauvreté « disqualifiante », enfin, traduit une organisation sociale où les « pauvres » sont de plus en plus nombreux et, pour la plupart, refoulés hors de la sphère productive, ce qui accroît leurs difficultés et leur dépendance à l'égard des services d'action sociale. Cette forme de pauvreté, qui ne renvoie pas à un état de misère stabilisée mais à un processus de disqualification sociale pouvant toucher des franges de la population jusqu'alors parfaitement intégrées, a une plus forte tendance à se développer dans les sociétés post-industrielles, comme la France ou le Royaume-Uni, où le chômage et les statuts précaires dans le marché du travail ont beaucoup augmenté, contribuant à instaurer un climat d'insécurité sociale qui affecte l'ensemble de la population. Quelles conclusions tirer de cette typologie ? Au-delà d'une démonstration relativisant l'intérêt des outils statistiques utilisés pour mesurer objectivement la pauvreté, il s'agit d'appréhender plus finement le sens spécifique que revêt cette expérience dans une société donnée, pour définir des politiques contribuant « sinon à éradiquer, du moins à soulager, les souffrances de ceux et celles dont le destin, un jour ou l'autre, croise celui de la pauvreté ».

Les formes élémentaires de la pauvreté - Serge Paugam - Ed. PUF - 25 €.

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