Liée à l'allongement de la durée de la vie, la maladie d'Alzheimer est une pathologie du vieillissement qui débute par des troubles légers, souvent peu spectaculaires, et se traduit par une dégradation progressive et irréversible de toutes les fonctions mentales, à commencer par la mémoire. Comment les malades et leurs familles vivent-ils, au quotidien, ce « temps de mort psychique précédant la mort physique » ? Pour le savoir, Emmanuelle Soun s'est entretenue avec une vingtaine d'aidants familiaux - conjoints et enfants de personnes atteintes -, ainsi qu'avec une malade, plusieurs médecins et la responsable d'une antenne départementale de l'association France Alzheimer qui a également aidé la sociologue à réaliser une enquête auprès de 100 familles.
Du riche matériau recueilli, il ressort que ces « trajectoires de maladie d'Alzheimer » ont en commun la recherche éperdue d'un diagnostic et d'un soutien médical. Plus ou moins active et rapide, cette démarche des familles en réaction aux troubles observés intervient, dans la quasi-totalité des cas, après qu'elles-mêmes ont déjà identifié la pathologie dont souffre leur proche. Les aidants, cependant, devront souvent multiplier les consultations avant de se voir confirmer leurs doutes. Le suivi médical des personnes qui ont été diagnostiquées comme atteintes de la maladie d'Alzheimer varie, ensuite, entre le passage plus ou moins occasionnel d'un médecin généraliste et l'accompagnement plus régulier par des spécialistes.
Dans les différents cas de figure, les relations entre familles et médecins s'avèrent difficiles, voire conflictuelles, ces derniers ayant non seulement tendance à adopter des stratégies de retardement de l'annonce du diagnostic, mais aussi, pour certains d'entre eux, d'évitement du malade et de ses proches, qui n'obtiendront que rarement informations et conseils pour s'occuper de lui. D'où l'importance du rôle joué par les associations de familles pour faire l'apprentissage d'un nouveau mode de vie avec une pathologie qui nécessite de profonds réaménagements du quotidien.
Au total, souligne Emmanuelle Soun, « la maladie d'Alzheimer peut être considérée comme une maladie "hors médecine " » : impuissants à l'enrayer, les médecins ne savent pas non plus apporter au malade et à ses aidants le soutien qui leur permettrait de mieux vivre avec la maladie.
Des trajectoires de maladie d'Alzheimer -Emmanuelle Soun - Ed. L'Harmattan - 28 €.