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OU TROUVER 15 MILLIARDS ?

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Un rapport de l'inspection générale des affaires sociales évalue à 15 milliards d'euros l'investissement nécessaire dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dans les dix ans. Catherine Vautrin a installé, le 14 mars au Plan, une « mission d'appui » pour voir plus clair sur le sujet.

L'équation commence à donner des cauchemars aux ministres. « Je ne sais pas comment on fait demain pour payer la dépendance, avec de moins en moins d'actifs et de moins en moins d'enfants », a avoué Philippe Douste-Blazy en inaugurant Geront'expo, le 8 mars. La secrétaire d'Etat aux personnes âgées paraît plus sereine, mais elle se « doute bien que les 10 000 nouvelles places » en établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) prévues en quatre ans par le plan « vieillissement et solidarités » « devront être dépassées » (1). Catherine Vautrin a utilisé ce bel euphémisme en installant, le 14 mars, une mission d'appui relative aux besoins en EHPAD auprès du commissariat général du Plan.

Cette création fait directement suite à la proposition formulée par Michel Laroque, inspecteur général des affaires sociales, dans un rapport remis au ministère en septembre 2004 et qui vient d'être diffusé aux membres de la mission. Ce texte de « préfiguration d'une étude prospective sur l'investissement dans le secteur médico-social pour personnes âgées » n'a, comme l'indique son titre, qu'une ambition limitée. Il « fait un point sur les données déjà disponibles ou en cours de collecte en matière d'établissements et de démographie » et « propose une démarche concertée permettant de favoriser les investissements ». Dans ce cadre, il synthétise cependant des éléments intéressants.

Mais d'abord, comment évaluer les besoins pour les 10 ou 20 ans qui viennent alors que l'on ne connaît pas ceux d'aujourd'hui ? « La demande en hébergement pour personnes âgées reste un phénomène mal connu. Il n'y a pas de gestion organisée de file d'attente », note le rapporteur. Une seule certitude : les 671 000 places installées dans les 12 250 établissements actuels, avec un taux d'occupation de 95 % (2) et les 77 000 places en services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) ne répondent que partiellement aux besoins. « Pas un jour en effet où je ne sois alertée sur un problème de manque de places en SSIAD ici, en établissement là », reconnaît Catherine Vautrin. Il est vrai que, malgré les créations de places réalisées au rythme de 1 % par an depuis 1996, le taux d'équipement a diminué en valeur relative puisque le nombre de personnes âgées de plus de 75 ans a crû parallèlement de 3 % par an. La répartition des capacités d'accueil est, de plus, très inégale sur le territoire, et va presque de un à cinq pour la seule métropole.

En prenant la situation de 2002 comme « norme implicite », le rapport préparatoire au plan « vieillissement et solidarités », élaboré dans l'urgence au lendemain du drame de la canicule de l'été 2003, avait établi des projections à partir des données démographiques. Dans l'hypothèse où le nombre de places devrait évoluer à proportion du nombre des plus de 75 ans, il faudrait en créer 130 000 en établissements à l'horizon 2010 et 171 000 à l'horizon 2015. Les chiffres sont respectivement de 13 000 et 18 000 pour les SSIAD.

Ces données brutes doivent naturellement être fortement nuancées. D'abord parce que le besoin de prise en charge n'est pas lié à l'âge en tant que tel mais au degré de perte d'autonomie. Or, si l'espérance de vie augmente, la durée moyenne de vie sans incapacité s'accroît encore plus vite. Trois hypothèses, optimiste, pessimiste et médiane, ont été formulées sur l'évolution de ce facteur dans les dix prochaines années. Selon les cas, il y aurait, en 2010, de 32 000 à 100 000 personnes dépendantes de plus qu'en 2002. La fourchette irait de 61 000 à 173 000 à l'horizon 2015. Ces chiffres ne peuvent être directement traduits en besoin de places, parce qu'une part seulement des personnes dépendantes vit en établissement et que la demande d'hébergement dépendra, pour partie au moins, de l'effort qui sera consenti pour le maintien des personnes âgées à domicile.

A l'horizon 2040, une étude de l'INSEE chiffre, en hypothèse moyenne, à 1,2 million le nombre de personnes âgées dépendantes, soit une augmentation de 43 % par rapport à l'an 2000. Cette évolution ne sera pas linéaire, l'augmentation devenant plus rapide à partir de 2030, époque de l'arrivée à 85 ans des enfants du baby boom d'après la Deuxième Guerre mondiale. A ce moment aussi, le nombre des aidants familiaux potentiels aura tendance à diminuer.

Une hypothèse de 60 000 places à créer en dix ans

Conclusion : dans tous les cas, même avec une forte priorité accordée au maintien à domicile, il faut relancer l'effort de construction et d'offre de places médicalisées en hébergement. Michel Laroque retient une hypothèse - à valider - de 60 000 places à créer d'ici à 2015.

Il faut également se dépêcher d'adapter le parc existant pour accueillir des personnes toujours plus âgées et dépendantes. Le rapport signale le flou qui existe, là encore, quant à l'évaluation des besoins. Selon une enquête de la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) réalisée en 2003, la seule mise aux normes des établissements devrait entraîner des travaux pour 70 %des lits. Beaucoup jugent ce taux excessif et le situent autour de 30 %, ce qui représente quand même 200 000 lits à rénover (voir encadré). Autre indication : sur un échantillon d'établissements interrogés par la direction générale de l'action sociale (DGAS) en 2003,7 % ont fait l'objet d'un avis défavorable à la poursuite de l'activité de la part des commissions de sécurité...

Sachant que la CNAV estime à 70 000 € le coût moyen de création d'un lit et à 52 000 € celui d'une rénovation, Michel Laroque chiffre à 4,2 milliards d'euros le montant des créations nécessaires et à 10,4 milliards celui des rénovations. Le total est « de l'ordre des 15 milliards d'euros ». Même calculé à la louche comme première estimation, le chiffre fait réfléchir.

Quels sont, en effet, les fonds mobilisables en regard ? La DGAS estime à 250 millions d'euros les capacités d'autofinancement des établissements publics (qui représentent 60 % du parc actuel). Elle parie sur leurs excédents, sur des cessions d'actifs et sur la constitution d'une trésorerie par la demande d'une caution à l'entrée et d'un règlement des frais d'hébergement en début de mois plutôt qu'à terme échu. Il n'y a pas de données disponibles sur les maisons de retraite privées à but non lucratif, qui ne sont pas fédérées dans une organisation nationale, note le rapport. L'Uniopss étudie la possibilité de mobiliser des fonds propres dans le cadre de l'économie sociale. Quant aux maisons de retraite commerciales, elles ne semblent pas avoir de difficulté à collecter des capitaux, mais elles ne peuvent répondre qu'aux besoins de la clientèle la plus solvable.

D'autres intervenants publics devront donc mettre la main à la poche. Les capacités de financement des collectivités territoriales « ne paraissent pas négligeables », dit le rapporteur, qui ne peut cependant avancer de chiffres. Il suggère aussi qu'elles pourront faire des apports en nature, par des garanties d'emprunts ou, pour les communes notamment, par la cession ou la mise à disposition de terrains. La CNAV a consacré, en 2004,50 millions d'euros à des prêts sans intérêt (contre 70 millions en 1996) et n'envisage pas, pour l'heure, une démarche « plus volontariste ». Les caisses d'assurance maladie accordent aussi des prêts (36 millions en 2002) mais s'interrogent sur le bien-fondé de leur intervention, notamment du fait de la création de la nouvelle caisse de solidarité pour l'autonomie (CNSA), compétente pour les problèmes de dépendance. L'Etat lui-même intervient en faveur de l'humanisation et de la mise aux normes de sécurité au travers des contrats de plan Etat-régions. Il avait prévu d'engager 204 millions d'euros pour la période 2000-2006. Indolences locales ?gels de crédits ? A la mi-2004, seuls 35 % des sommes étaient utilisés... Catherine Vautrin vient de remettre 50 millions au pot (pris sur la CNSA).

Tous ces apports mis bout à bout, on est donc encore loin, très loin, des 15 milliards d'euros. Mais la pénurie de financements n'est pas seule en cause, il existe d'autres obstacles administratifs, financiers, techniques, signale le rapport. Il s'interroge ainsi sur le lien direct, établi par la loi du 2 janvier 2002, entre l'autorisation d'un nouvel établissement et le financement des soins disponible dans l'année, « alors que le projet ne commencera souvent à fonctionner qu'un ou deux ans plus tard ». Catherine Vautrin impute d'ailleurs à cette mesure le blocage de toutes les demandes de construction en 2002 et 2003, « ce qui n'a rien fait pour arranger les choses ». Michel Laroque relève aussi la disparité des aides à la pierre, dont la « remise à plat pourrait être de nature à faciliter le travail des promoteurs de projets ». Il souligne la multiplication des normes architecturales et techniques (pour la sécurité, l'alimentation en énergie, la lutte contre la légionellose...) qui accroissent les coûts tout en allant parfois « à l'encontre des formules de fin de vie conviviale ». Il rappelle encore les difficultés entraînées par les normes comptables pour le calcul des amortissements et la disparité des régimes fiscaux applicables selon la forme juridique des établissements, en matière de TVA, de taxe sur les salaires, d'exonération du foncier, de défiscalisation.

Autant de questions qu'il proposait donc de soumettre à l'examen d'un groupe de travail prospectif, associant tous les acteurs concernés. Ce qu'a fait Catherine Vautrin en sollicitant le commissaire général au Plan le 31 janvier et en installant donc la « mission d'appui » le 14 mars. Avec une triple commande et un échéancier serré : détermination des besoins de places nouvelles en EHPAD à l'horizon 2010-2015 et 2025, en juin 2005 ; répartition des établissements sur le territoire et définition d'un modèle optimal de constitution d'un EHPAD, en octobre ;financement des opérations de construction, en décembre.

Animé par Stéphane Le Bouler et composé d'une cinquantaine de membres - des représentants du Plan, des ministères concernés et de leurs services déconcentrés, des caisses de sécurité sociale, des conseils généraux, des fédérations d'établissements, des associations de directeurs, et cinq chercheurs, mais pas de représentants des personnes âgées elles-mêmes -, le groupe est déjà convoqué tous les vendredis matin jusqu'à la fin juin.

Son programme de travail est chargé, mais ses membres savent qu'ils ne pourront pas évaluer les besoins d'investissements indépendamment des nombreuses questions collatérales. Les travaux réalisés, il faudra les amortir sur le tarif d'hébergement. Selon une étude de la CNAV, une rénovation entraîne une élévation moyenne de 13,5 % des prix de journée acquittés par les résidents. Lesquels sont déjà supérieurs aux pensions moyennes perçues. Qu'en sera-t-il avec le pouvoir d'achat des retraités de 2015 ?, demande par exemple Pierre Jamet, directeur des services au conseil général du Rhône. Autre angoisse : le déficit de personnels pour faire tourner à la fois les établissements et les services d'aide et de soins à domicile. Il faudra aussi investir dans la formation et en tenir compte dans les rémunérations... De quoi, effectivement, donner des cauchemars à un ministre. Et sans doute pas à lui seul.

Marie-Jo Maerel

Une chambre sur deux encore sans douche

Nous n'en sommes plus aux dortoirs des hospices d'antan, n'empêche qu'il reste beaucoup à faire, au-delà des mises en sécurité, pour adapter certaines maisons de retraite aux normes contemporaines (3). Ainsi, 7 % d'entre elles n'ont pas au moins un bâtiment accessible aux personnes en fauteuil roulant, 17 % pas d'ascenseur qui leur soit accessible. 13 % ne sont pas équipées de main courante dans les zones de circulation, qui comptent encore des marches dans 10 % des cas. 17 % des chambres comportent deux lits, 1 % trois lits. 3 % des chambres n'ont pas de lavabo, 10 % pas de toilettes, 52 % pas de douche, 4 % ni rideaux ni volets aux fenêtres, 18 % pas de détecteur d'incendie, 77 % pas de robinet mitigeur qui évite les brûlures. Et ces taux sont souvent nettement plus élevés dans les logements-foyers.

Notes

(1)  Elle espère d'ailleurs déjà doubler le rythme grâce aux reconversions de lits hospitaliers en places d'EHPAD, recommandées par la récente circulaire budgétaire - Voir ASH n° 2397 du 4-03-05.

(2)  Au 31 décembre 2003, selon la DREES - Voir ASH n° 2398 du 11-03-05.

(3)  Source : « Les EHPA en 2003 : locaux et équipements » - DREES - Etudes et résultats n° 380 - Mars 2005 - Disponible sur www.social.gouv.fr.

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