C'est un exercice imposé par la loi « Sarkozy » du 26 novembre 2003 (1) auquel le gouvernement devra désormais se livrer chaque année : ce dernier a remis le 8 mars aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat son premier rapport sur « les orientations pluriannuelles de la politique d'immigration » (2). Fruit d'un travail collectif mené par les différents ministères concernés par les thèmes de l'immigration et de l'intégration, ce document d'une soixantaine de pages met notamment en évidence les difficultés du gouvernement à lutter contre l'immigration clandestine.
La première partie du rapport offre une photographie assez précise des étrangers présents sur le territoire français, de leur nombre, des raisons de leur venue en France et même, s'agissant des demandeurs d'asile, de leur pays d'origine. Une zone d'ombre subsiste cependant :le nombre de clandestins, très difficile à estimer. Contraint par la loi de proposer malgré tout des solutions en la matière, le gouvernement livre ses pistes de réflexion, présentant toute une série d'indicateurs qui permettent selon lui d'évaluer un peu mieux cette population.
Il évoque en premier lieu le nombre de placements en zone d'attente - entre 15 000 et 20 000 en 2003 -, « qui peut donner une indication sur la pression migratoire aux frontières, bien qu'il désigne des individus qui, pour une majorité d'entre eux, n'entreront pas en France ». Autre indicateur : le nombre de refus d'admission sur le territoire français aux frontières. Ainsi, selon les statistiques dressées par la police de l'air et des frontières, seuls 60 % des 15 200 personnes arrêtées à la frontière de Roissy en 2003 ont effectivement quitté le territoire. Par exemple, sur les 9 400 personnes non admises n'ayant pas sollicité l'asile, 1 500 sont tout de même « entrées » pour des raisons diverses (non-identification de la personne...).
Troisième indicateur : le nombre de déboutés du droit d'asile, « en forte progression depuis le milieu des années 1990 » (3). « On estime qu'une forte proportion des étrangers demandeurs d'asile reste sur le territoire français après s'être vu opposer un refus de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides et, le cas échéant, par la commission des recours des réfugiés », souligne le rapport. En 2003, les décisions négatives d'asile conventionnel se sont élevées à près de 56 600, en progression de 28,8 % par rapport à 2002.
Le nombre d'arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière non exécutés - en progression depuis 1997 - est lui aussi intéressant à retenir, même si, note le rapport, il n'est pas totalement pertinent pour appréhender le nombre de clandestins restés sur le territoire national. Il comprend en effet les mesures d'expulsion, lesquelles sont prononcées pour partie à l'encontre d'étrangers en situation régulière.
Tous ces indicateurs permettent de donner des informations sur les flux d'étrangers qui entrent annuellement dans l'ensemble de la population étrangère en situation irrégulière ou qui en sortent. Le gouvernement en propose également trois autres donnant des informations sur une partie des clandestins. Et en premier lieu, le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale de l'Etat (AME), qui est passé de 139 000 à 170 000 entre 2001 et 2003. Un indicateur à considérer toutefois avec précaution. D'une part parce que l'aide ne concerne que les personnes ayant recours à des soins et que « la part des étrangers en situation irrégulière ayant fait appel au système de soins français reste inconnue ». D'autre part parce que les droits à l'AME étant ouverts pour une année, le nombre d'ayants droit peut contenir des personnes dont la situation a été régularisée ou qui ont quitté le territoire français.
Le rapport retient également comme indicateur possible le nombre d'infractions à la législation sur les étrangers. Il s'agit plus précisément du nombre d'interpellations de personnes étrangères - passé de 49 500 en 2002 à 45 500 en 2003 - et de celui de l'ensemble des délits à la police des étrangers - en hausse de 4,5 % en 2003 avec 66 000 personnes mises en cause. Des chiffres à analyser eux aussi avec prudence, tempère le rapport. « Si les variations constatées peuvent refléter les fluctuations du nombre d'étrangers en situation irrégulière[...], elles comprennent des doubles comptes » - un étranger pouvant être interpellé ou mis en cause à plusieurs reprises - et « peuvent refléter les fluctuations de l'activité des services ».
Dernier indicateur proposé : le nombre de placements en centre de rétention administrative -passé de 25 100 en 2002 à 28 200 en 2003 -, « qui prend en compte les étrangers en situation irrégulière en attente de reconduite à la frontière et traduit ainsi l'importance des mesures de sorties forcées du territoire ». Toutefois, nuance encore le rapport, les personnes condamnées à une peine d'interdiction du territoire, qui est prononcées pour partie à l'encontre d'étrangers en situation régulière, figurent également parmi les étrangers qui transitent dans ces centres.
Dans la seconde partie du rapport, le gouvernement fait le point sur son action pour lutter contre l'immigration clandestine, se félicitant de la « forte croissance du nombre de mesures d'éloignement exécutées à partir de 2003 et surtout de 2004 ». Il constate néanmoins que l'exécution de ce type de mesures « se heurte à un certain nombre de difficultés majeures sur lesquelles l'action des acteurs de l'éloignement n'a que peu d'effet ». Des difficultés qui tiennent notamment au fait que l'étranger concerné peut être introuvable - par exemple quand la mesure d'éloignement a été notifiée par voie postale - ou que l'intéressé est ressortissant d'un pays avec lequel il n'y a pas de liaisons commerciales possibles pour cause d'insécurité persistante. L'identification et la recherche de nationalité des étrangers à éloigner, qui ne sont pas toujours aisées, sont un autre écueil rencontré par les pouvoirs publics, tout comme le « manque de coopération » du ressortissant étranger - qui peut se défaire de tout document personnel -, les contraintes de temps inhérentes à la procédure d'éloignement, les pratiques « parfois contestables » de certaines autorités consulaires « qui aboutissent soit à des réponses hors délais, donc inexploitables, soit à des refus » ou encore l'absence de réponse aux requêtes des préfectures.
Autre frein à la progression du nombre de mesures d'éloignement : le « faible nombre » de places en centre de rétention administrative à la disposition des préfets. En effet, « il est très rare qu'un étranger en situation irrégulière puisse être conduit à l'aéroport dans les instants qui suivent son interpellation, ne serait-ce que pour des raisons juridiques dans la mesure où il dispose d'un délai de 48 heures pour faire un recours contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière pris à son encontre ». En 2003, souligne encore le rapport, « il n'existait que 775 places effectives dans les centres de rétention ».
Signalons que la troisième partie du rapport met en lumière la politique d'intégration développée à l'égard des étrangers en situation régulière. Il s'attarde notamment sur le contrat d'accueil et d'intégration. Fin novembre 2004 - et depuis le 1er juillet 2003, date de l'instauration du dispositif -, plus de 41 000 primo-arrivants avaient demandé à signer un contrat. Autre constat : au 30 septembre 2004, les ressortissants des pays du Maghreb étaient les plus nombreux parmi les signataires. En outre, 51,5 % des signataires étaient des femmes, 61,5 % des membres de famille de Français, plus des deux tiers étaient capables de communiquer de manière correcte en français et leur âge moyen était de 32 ans.
O.S.
(1) Voir ASH n° 2336 du 5-12-03 et n° 2338 du 19-12-03.
(2) Les orientations de la politique de l'immigration - Rapport au Parlement - Disponible sur le site du ministère de l'Intérieur :
(3) Sur cette question, voir la pétition lancée par France terre d'asile, ce numéro.