« C'est une chose connue que l'innovation sociale et éducative est un "parcours du combattant ". Ceux qui s'y sont essayés connaissent l'incroyable accumulation d'obstacles économiques, administratifs, les soupçons d'illégitimité de la part des institutions, les contraintes contradictoires, dignes de Kafka. Ce n'est pourtant que la partie émergée de l'iceberg. Les rares collectifs porteurs de projets qui auront survécu à ces épreuves s'en préparent de bien plus difficiles encore ; le stade de la pérennisation, la capacité pour le projet de se stabiliser, d'évoluer et de se transmettre est d'une complexité autrement plus redoutable, surtout si l'on cherche à travailler de façon coopérative en dehors des institutions.
« Les réelles associations, regroupant usagers et acteurs sociaux, engagées dans le développement éducatif et social, pour être indépendantes, n'en sont pas moins fragiles. Elles ne pèsent pas lourd dans les négociations avec les collectivités ou les administrations et elles sont toujours prises en tenailles entre deux dangers : se laisser instrumentaliser par tel ou tel subventionneur et ne pouvoir suffisamment compenser la pression des salariés qui risquent de mettre à mal le projet initial.
« Les municipalités soutiennent souvent fort mal les interventions de développement social et éducatif qu'elles ne peuvent pas contrôler et qu'elles ne sauraient réaliser par elles-mêmes (est-il alors opportun de faire d'elles des « chefs d'orchestre » en matière de politique de prévention ?).
« Les collectivités territoriales, même quand elles sont convaincues du bien-fondé de l'action menée et de ses méthodes, peinent à financer une action, même innovante, quand celle-ci est uniquement locale. Elles peinent également à trouver des modes de subvention pérennes, ou à prendre en compte la globalité des charges d'une telle structure quand celle-ci est en dehors de tout agrément. Si des conventions pluri-annuelles sont parfois signées, que faire quand elles ne prennent pas en compte les besoins réels minimaux de fonctionnement, et fragilisent ainsi les structures ?
« Les subventionneurs privés, souvent indispensables au démarrage, laissent, quand ils doivent se retirer, un grand vide qui n'est généralement pas pris en compte par les institutions et les collectivités.
« Les recherches perpétuelles de subventions, année après année, au gré des appels à projets et des critères changeants des opérations, épuisent les professionnels qui s'y collent, et détournent un temps énorme de l'objet du projet : un mois de travail à temps plein pour 15 000 € de subventions. Combien pour 200 000 € (2) ?
« La politique de la ville, dont l'un des objectifs était de simplifier la recherche des subventions, s'est montrée peu efficace pour les petites associations porteuses d'un projet d'accompagnement global et durable.
« La précarité de l'action place salariés et responsables dans l'insécurité, et oblige à faire des économies sur l'encadrement des équipes et la gestion des projets. Le résultat est que les "militants" et les "salariés ", tous débordés, se retrouvent souvent en conflit, sans moyen de le gérer.
« Les obstacles rencontrés par les porteurs de projets éducatifs et de prévention sont décidément trop nombreux et trop persistants pour être mis sur le compte de la simple inertie des institutions. Il s'agit bien en réalité de choix de société. Le choix d'éduquer est aujourd'hui lourdement et doublement pénalisé, à la fois dans les pratiques professionnelles (conditions d'exercice difficiles et mises en cause nombreuses) et du point de vue de l'innovation et de l'expérimentation. Il existe pourtant des alternatives éducatives face au danger de la généralisation de réponses sécuritaires et punitives à courte vue. Elles ont été et sont expérimentées dans la difficulté ;des structures variées ont acquis des expériences précieuses, mais elles n'ont pas eu la possibilité de les faire reconnaître et essaimer. »
(1) 28, rue des Marguerites - 91160 Longjumeau - E-mail :
(2) Montant correspondant au budget annuel de la Maison Robinson.