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Un recul pour les lieux d'accueil et de vie

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Le décret donnant un cadre juridique aux lieux d'accueil et de vie paru fin décembre (1), ainsi que certains textes qui l'ont précédé, « anéantissent les spécificités » de ces structures, spécificités pourtant reconnues par la loi rénovant l'action sociale et médico-sociale. C'est l'interprétation d'Alain Souchay, permanent responsable du lieu d'accueil de Brox (Aveyron) et président de Faste Sud Aveyron, une association de lieux d'accueil créée en 1984.

« Plusieurs décrets relatifs, directement ou indirectement, aux lieux d'accueil et de vie sont parus récemment : celui concernant l'autorisation, le 26 novembre 2003 (2), celui sur le contrat de séjour, le 26 novembre 2004 (3), et celui définissant ces lieux, le 23 décembre dernier. Ces textes - ainsi qu'un décret à paraître sur la tarification - vont sans doute constituer pour longtemps le cadre de l'action de ces structures et définir leur place dans le travail social.

Pour saisir les enjeux de ces décrets et leurs conséquences, rappelons les spécificités des lieux d'accueil et de vie : ils offrent une prise en charge globale des personnes accueillies, sans étiquetage préalable ; ils construisent leur accompagnement dans le temps et avec des limites dans ce temps ; ils ne se situent pas dans un rapport hiérarchique avec les autres dispositifs mais comme des partenaires ; ils ne font pas partie du schéma départemental ; enfin, et surtout, ils utilisent des conventions dans lesquelles le "prix de pension" est négocié.

Les décrets les concernant ont été publiés de façon désarticulée, sans pensée cohérente ! Les "missions" dévolues par ces textes aux lieux d'accueil et de vie ne disent rien de leur caractère "soignant ", voire thérapeutique, pour lequel ils sont pourtant souvent utilisés. L'ensemble des décrets les soumet aux mêmes contraintes que les autres structures. Ces contraintes sont parfois démesurées, tel le passage en comité régional de l'organisation sociale et médico-sociale (CROSMS) sans procédure simplifiée, et sont impraticables en l'état. Le vocabulaire utilisé, "mission ", "prix de journée ", "tarification ", "contrôle ", aussi bien que le contenu des décrets n'expriment jamais ce en quoi les lieux d'accueil et de vie diffèrent des institutions classiques, alors que la loi du 2 janvier 2002 (art. L. 312-1, III) établit qu'ils ne "constituent pas des établissements et services sociaux et médico-sociaux ". Et le prochain décret tarifaire semble de la même veine : il ne parle que de "tarifs ", avec indexation sur le SMIC (!), sans avoir même ébauché la nature de la prestation -une prise en charge globale et permanente - proposée par les lieux d'accueil et de vie. Il découple cette prestation du "prix de pension" et instaure une décision autoritaire au détriment d'un échange négocié, sans même élaborer des critères pour cette décision.

Par toutes leurs dispositions, les décrets d'application annulent, de fait, ce que la loi a posé : une autre façon de travailler dans le social. Aucun de ces textes ne permet de saisir ce qu'est un lieu d'accueil et son cadre de travail ! Ils ne font qu'anéantir les spécificités de ces lieux, qu'ils cherchent à assimiler aux institutions classiques, ce qui n'est pas du tout conforme à l'esprit de la loi, et bien qu'un ministre les ait jugés devant l'Assemblée nationale "particulièrement utiles pour les personnes acceptant difficilement les contraintes des autres établissements sociaux et médico-sociaux ".

La partenariat avec les conseils généraux en question

Le partenariat avec les conseils généraux apparaît également comme une source de préoccupation pour les lieux d'accueil et de vie. Travaillant avec des services départementaux dans toute la France, nous sommes bien placés pour observer leur politique sur le terrain comme dans l'administration des départements. Nombre de conseils généraux ont des rapports fructueux avec les lieux d'accueil pour ce qui concerne le caractère concret du travail. Le souci de répondre aux difficultés des personnes en souffrance a permis un réel partenariat technique : les lieux d'accueil sont reconnus professionnellement. En revanche, les représentants des conseils généraux ont manifesté, dans l'élaboration des décrets, le refus de considérer les lieux d'accueil et de vie comme des partenaires juridiques, notamment en leur refusant la possibilité de passer des conventions et donc de négocier le "prix de pension ".

Le fait de passer des conventions est pourtant une des spécificités majeures des lieux d'accueil et de vie. Et les services des mêmes conseils généraux utilisent avec satisfaction leurs compétences et leurs pratiques depuis plus de 20 ans ! Ce paradoxe nous fait sentir que nous sommes davantage utilisés comme des "petits soldats méritants" que respectés comme des partenaires.

C'est une attitude constante : du point de vue politique et administratif, les travailleurs sociaux ne sont pas considérés comme des acteurs mais comme des exécutants de la politique de leur hiérarchie. Il est vrai que leur statut de salarié ne permet pas d'évolution. Dans les lieux d'accueil et de vie, la prise en charge globale et permanente par les mêmes personnes n'a qu'un lointain rapport avec le travail salarié. La question n'est donc pas d'adapter notre travail au salariat, mais de repenser la situation juridique de ce dernier : est-il adapté aux prises en charge nécessaires aux personnes en grande difficulté ?

Des craintes injustifiées

Certains responsables départementaux se sont émus, pour justifier leur refus de conventions, du fait que les animateurs de lieux d'accueil sont des "travailleurs indépendants ". Ils crient alors à la dérégulation et au libéralisme échevelé. La crainte de ces conseils généraux ne paraît justifiée que par une absence de réflexion et d'analyse des pratiques de leurs propres services. Elle ne repose sur rien dans les faits pas plus que dans le cadre juridique proposé par les lieux d'accueil. Dans une convention, il s'agit de fixer un prix en rapport avec une prestation observable, contrôlée, faisant l'objet de bilans. Une convention propose un partenariat, un travail de concert. C'est cette situation juridique qui est parfois mal acceptée par les administrations, où le sens de la hiérarchie est très prégnant, mais qui se révèle pourtant dans la pratique tout à fait féconde. C'est sur cette nouveauté dans le travail social que les institutions achoppent, ce qui les conduit à refuser par les décrets ce que la loi a posé comme exigence.

Enfin les décrets ne placent pas les lieux en dehors du schéma départemental, c'est-à-dire comme ayant une autonomie juridique, valable aussi en dehors du département, alors que nom-bre de lieux d'accueil travaillent avec la France entière ! Pourtant, les discussions parlementaires préparatoires à la loi du 2 janvier 2002 les ont clairement situés en dehors de ce schéma. Pourquoi donc les maintenir sous une tutelle départementale ou leur imposer l'obligation de travailler préférentiellement avec le département d'agrément ?

Il apparaît donc clairement qu'il existe de fortes résistances à nos pratiques et à notre façon de nous situer dans le champ social.

Les vertus des conventions

Les lieux d'accueil utilisent depuis plus de 20 ans la convention de séjour temporaire comme cadre juridique et technique de leur travail. Cette pratique résout aisément toute une série de difficultés techniques dans l'accueil de personnes en grave difficulté sociale et psychique. Elle permet, de plus, de gérer les questions de bilans, de contrôle, de dossier d'accueil, de tiers référent, cela de façon simple, et même élégante, alors que ces points n'ont même pas été examinés par les décrets cités plus haut. Cette pratique n'enlève rien, dans les faits, aux administrations concernées : leur implication juridique et leur responsabilité sont même requises par la convention. Ce n'est pas par hasard que de très nombreuses demandes nous sont faites : c'est bien que les pratiques des lieux d'accueil apparaissent pertinentes, riches d'imagination créatrice. Le département de l'Aveyron, par exemple, passe des conventions depuis plus de 20 ans, sans avoir rencontré quelque difficulté que ce soit. Il a laissé la négociation sur le prix de pension aux partenaires engagés dans la convention, cela sans aucun excès financier de la part des lieux d'accueil, qui auraient plutôt tendance à sous-estimer leur travail !

Nous, lieux d'accueil, continuerons donc à travailler comme "indépendants ", c'est-à-dire en ne laissant pas à certains de nos partenaires le pouvoir de nous donner des "missions" dont ils ne connaissent pas le contenu, pas plus que de "tarifer" une prestation pour laquelle ils n'ont pas de critères d'évaluation !

Ce travail d'accueil, ce travail social, est plus exigeant qu'une bénédiction tarifaire qui dégage trop facilement ces administrations de leurs responsabilités de suivi, de contrôle et, tout simplement d'efficacité. Efficacité que pourtant elles disent rechercher !

Nous leur proposons en revanche, comme cela est le cas depuis plus de deux décennies, de construire avec eux des étayages adaptés à chaque personne en souffrance accueillie. Il s'agit d'entrer dans une autre logique de pensée et de pratique. Ici se joue un peu de l'avenir du travail social. »

Alain Souchay Permanent responsable du lieu d'accueil de Brox : 12360 Brusque - Tél.05 65 49 57 60 E-mail :souchaya@wanadoo.fr.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2389 du 7-01-2005.

(2)  Voir ASH n° 2337 du 12-12-03.

(3)  Voir ASH n° 2384 du 3-12-04.

TRIBUNE LIBRE

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