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Difficile ménage à trois

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Que reste-t-il à négocier aux partenaires sociaux quand l'Etat leur annonce, pour 2005, une marge d'augmentation de 0,64 % de la masse salariale (1)  ? Cadré par les procédures d'autorisation, les enveloppes financières opposables et l'agrément obligatoire des accords collectifs, le secteur social et médico-social se sent de plus en plus corseté. Jusqu'à l'étouffement ?

Dans la métallurgie ou le bâtiment, à la seule condition qu'ils respectent le cadre légal, les partenaires sociaux discutent librement des conventions collectives. Quand ils signent un accord, ils peuvent décider de le mettre en application dès le lendemain. Pas dans le secteur social et médico-social, pourtant régi par le même code du travail. Toutes les conventions collectives et le moindre de leurs avenants, de même que tous les accords d'entreprise, y sont soumis à l'agrément du ministre chargé des affaires sociales. Sous peine de nullité. Et ce n'est pas une clause de style, de nombreux accords étant retoqués. Les textes traitant de la réduction du temps de travail (RTT) mis à part, cela a été le cas pour 31 % à 44 % des accords, selon les années, entre 1999 et 2003. Avec une proportion plus forte encore pour les avenants de portée nationale (55 % de refus en 2003) que pour les accords locaux.

Cette situation exorbitante au regard du droit commun est, au moins pour partie, la contrepartie des financements publics accordés aux établissements et services. Comme le disait sans détour Pierre Bérégovoy, alors ministre des Affaires sociales, lors du débat sur la loi de finances pour 1983 : « Quand l'Etat, à travers des subventions ou des prix de journée, supporte la charge des rémunérations, quand l'employeur n'est pas directement et financièrement responsable, les pouvoirs publics ne peuvent se désintéresser des décisions prises. [...] Le payeur doit être le décideur. »

Le contrôle du financeur s'exerce au moins par trois voies. Il passe d'abord par l'autorisation préalable à toute création, transformation ou extension d'un établissement ou service, inscrite dès la loi fondatrice du 30 juin 1975. Disposition qui sort déjà clairement le secteur du droit de l'entreprise privée. Cette première ceinture a été rapidement doublée par des mécanismes de régulation financière instaurés en 1986, et renforcés en 1998. Les enveloppes de crédits votées au titre de l'assurance maladie et du budget de l'Etat sont devenues opposables, leur déclinaison faisant l'objet de dotations régionales et départementales limitatives. Enfin, la loi du 2 janvier 2002 a achevé de lier les autorisations d'établissements et de services aux schémas d'organisation du secteur d'une part, à l'existence de leur financement d'autre part.

Dans la même démarche d'endiguement, la loi du 30 juin 1975 a donc prévu une autre disposition :l'agrément des accords collectifs, organisé concrètement par un décret du 30 septembre 1977. L'obligation est très large puisqu'elle vaut pour tous les textes négociés, qu'ils aient ou non une incidence financière. Elle couvre tous les types d'établissements et de services dont les dépenses de fonctionnement sont « supportées, en tout ou partie, directement ou indirectement, soit par des personnes morales de droit public, soit par des organismes de sécurité sociale ». Ce qui englobe l'ensemble de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (BASS) et de la branche de l'aide à domicile (BAD). Mais laisse de côté d'autres organismes comme les foyers de jeunes travailleurs, les centres sociaux et socio-culturels et l'animation, qui vivent de leurs ressources propres ou d'autres types de subventions.

Cette disposition a, dès l'origine, suscité une levée de boucliers de l'ensemble des syndicats et de grandes institutions sociales. Mais elle n'a pas empêché un développement rapide du secteur, les pouvoirs publics reconnaissant au fil des ans l'importance des besoins sociaux et se reposant largement sur l'initiative associative pour y répondre. Elle n'a pas non plus donné aux partenaires l'impression d'un dialogue complètement verrouillé, du moins jusqu'à l'orée de ce siècle. « Il fut un temps où, par les négociations, on arrivait à une reconnaissance du travail accompli et des efforts de formation réalisés. Il y avait une certaine souplesse, pas une approche uniquement comptable », juge Michel Pinaud, secrétaire général de la Fédération nationale de l'action sociale FO.

La RTT a marqué une apogée, au moins quantitative, du nombre d'accords signés (2), mais elle s'est aussi accompagnée d'une modération salariale d'environ 2,5 % pour les années 2000-2001. De l'avis général, un « rude tournant » a été pris à partir de 2002, quand le secteur public est passé à son tour aux 35 heures. La modération salariale de fait qui lui a été imposée a été étendue au secteur associatif, qui a « payé une deuxième fois la RTT ». Depuis, l'austérité qui prévaut pour réduire le déficit du budget de l'Etat et celui de la sécurité sociale n'a pas aidé à dénouer les cordons de la bourse.

Explosi f

Pour 2005, les employeurs s'inquiètent notamment de la fin, non compensée, des aides Aubry, qui représente une perte moyenne de 3 % de la masse salariale. « Ce sont des milliers d'emplois qui sont en cause », proteste la FEHAP. « C'est aussi la qualité du service aux usagers qui est entamée », ajoute Philippe Calmette, directeur général du Snapei. « Les déficits cumulés plus la réduction à rien du dialogue social, tout cela va finir par devenir explosif », prévient Didier Tronche, directeur général du Snasea.

Malgré l'absence de « grain à moudre », les trois parties parviendront-elles au moins à progresser sur l'appréciation de l'impact des accords, comme le suggère la direction générale de l'action sociale (DGAS)  ? Faute de moyens propres, l'administration s'en remet actuellement aux estimations des employeurs, souvent sous-évaluées, dénonce par exemple le récent rapport des inspections générales des affaires sociales et des finances sur les CHRS (3). « Nous disposons de panels d'établissements représentatifs pour les conventions de 1951 et de 1966, et si nous nous trompons, c'est de peu », proteste Philippe Calmette, qui se réjouit néanmoins du projet d'améliorer les outils de mesure. « La négociation doit s'appuyer sur des chiffres validés par toutes les parties. »

A l'aune de la cure d'austérité imposée à la BASS, l'agrément de l'accord du 29 mars 2002 sur les emplois et les rémunérations dans la BAD paraît d'autant plus exceptionnel, avec son augmentation moyenne des salaires d'environ 24 % en quatre ans. Mais on partait de tellement bas que tout le monde convenait du saut à accomplir. « Hélas ! faute de revalorisation correcte de la valeur du point, les premiers échelons sont déjà, à nouveau, rattrapés par le SMIC », dénonce Emmanuel Verny, directeur général de l'Unassad. Lequel s'inquiète aussi de l'absence de visibilité quant à la marge disponible pour achever la mise au point, « qui ne peut se faire à coût constant », de la convention collective unique de la branche. « Mais c'est sans doute aussi à nous, partenaires sociaux, d'avancer nos propositions. »

La visibilité... c'est aussi ce que demandaient, il y a peu, les employeurs de la BASS, lassés de voir refusés à l'agrément une bonne partie des accords laborieusement négociés. Le législateur a répondu à leur attente, et au-delà. Depuis la loi 2002-2, l'administration doit préciser en début d'année ses « orientations » quant à l'augmentation de la masse salariale. Des orientations transformées en « paramètres d'évolution », plus clairement contraignants, depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004. Paramètres qui se réfèrent «  notamment » aux mesures prises en matière de rémunérations pour la fonction publique. « Nous réclamions une enveloppe annuelle nous laissant la possibilité d'une négociation responsable, se défend Didier Tronche, directeur général du Snasea, et non pas une sujétion permanente à ce qui se passe dans la fonction publique. » Ou alors, il faut rétablir dans tous les domaines «  une véritable égalité de traitement, perdue de vue depuis plusieurs années », demande la FEHAP. « Au moment où s'annonce une pénurie importante de professionnels, il faudrait surtout prendre en compte les besoins, et la nécessité d'attirer des jeunes dans le secteur puis de les fidéliser », estime Michel Pinaud . « Aucune vision globale ni de moyen terme ne prévaut lors des décisions de refus ou d'agrément des accords », s'inquiète aussi Philippe Calmette.

« Les employeurs affichent leur mécontentement, mais restent inféodés à la tutelle. A la fin, ils rentrent dans le moule, proteste Joëlle Loussouarn-Peron, membre de la commission exécutive de la Fédération santé et action sociale CGT. On ferait mieux d'avoir des réunions tripatites avec l'Etat, ce serait plus clair. » « En attendant d'abord de savoir ce qu'on leur concède avant de se retourner vers les syndicats, les employeurs rentrent dans le jeu du ministère, dénonce aussi Maryvonne Nicolle, secrétaire de la Fédération Santé-sociaux CFDT. Mieux vaudrait que nous nous mettions d'abord d'accord entre nous sur des objectifs. Qu'ils montrent qu'ils sont favorables à la fin du blocage salarial, par exemple ! La pression est plus forte sur le secteur, il faut d'autant moins baisser les bras. »

Autre difficulté pointée par les syndicats :le calendrier désormais imposé aux négociations. « En mars au plus tard, l'administration nous réunit pour faire le bilan de l'année n-1, et annoncer le cadrage pour l'année en cours. Si l'on veut négocier, il faut donc le faire entre avril et juillet pour que cela ait une chance d'être pris en compte dans la loi de finances et le budget de la sécurité sociale de l'année n+1 », constate Maryvonne Nicolle. « Une atteinte de plus à la liberté de négociation », renchérit Joëlle Loussouarn-Peron.

Dernière inquiétude : la décentralisation des politiques sociales. « L'article 16 de la loi de 1975 sur l'agrément n'avait qu'un mérite : il rendait les accords agréés opposables aux financeurs, estime Michel Pinaud. Maintenant, l'opposabilité s'arrête aux limites des enveloppes dévolues aux conseils généraux. Le problème risque de s'aggraver maintenant qu'ils vont avoir la haute main sur la planification et la fixation des prix de journée... » Didier Tronche ne partage pas la même inquiétude. Pour lui, « il est plus facile de discuter d'objectifs de qualité et de réponses aux besoins avec les élus et les cadres de proximité qu'avec l'Etat qui ne pense plus que "budget " ». « Il est clair que nous devrons désormais interpeller l'Assemblée des départements de France au plan national, chaque conseil général au plan local. C'est une nouvelle donne importante à introduire dans les pratiques syndicales », note Maryvonne Nicolle. Le paritarisme tournait déjà au difficile ménage à trois. Faudra-t-il désormais jouer à quatre ?

Marie-Jo Maerel

LA PROCÉDURE D'AGRÉMENT BIENTOT RÉAMÉNAGÉE

Un nouveau décret en Conseil d'Etat relatif à l'agrément ministériel est en préparation et pourrait sortir vers la fin avril. Il modifie notamment le délai de réponse maximal de l'administration. Au lieu de deux mois pouvant être portés à six actuellement (ce qui est souvent le cas), il passerait à quatre mois. Surtout, alors que l'absence de décision dans le délai valait agrément tacite, elle sera désormais synonyme de rejet. Simple application de la loi qui bannit toute acceptation implicite d'une demande à caractère financier et retour au droit commun, dit la direction générale de l'action sociale. Recul par rapport à l'obligation de motiver toute décision de refus, qui permettait de renégocier les points litigieux, protestent les partenaires sociaux. Le projet de décret ajoute aussi aux enveloppes limitatives des crédits d'assurance maladie et du budget de l'Etat, déjà prises en compte pour fixer les paramètres d'évolution de la masse salariale, celle des dépenses délibérées par les collectivités locales.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2396 du 25-02-05.

(2)  Le nombre de textes soumis à l'agrément est soudainement passé à plusieurs milliers. Hors RTT, environ 130 à 150 accords sont signés chaque année.

(3)  Voir ASH n° 2396 du 25-02-05.

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