Comment résoudre les difficultés financières - récurrentes et croissantes -, des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ? La question, sujet constant de revendications d'un secteur associatif sous tension, non résolue par la loi de programmation pour la cohésion so-ciale, est au cœur d'un rapport d'enquête demandé en juillet dernier aux inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des finances (IGF) par Jean-Louis Borloo, Nelly Olin et Nicolas Sarkozy, et achevé en janvier dernier. L'idée en avait été lancée il y a plus d'un an par Dominique Versini, alors secrétaire d'Etat à la lutte contre l'exclusion et la précarité.
Conformément à la commande, le document, que les ASH se sont procuré, se contente de réaliser une évaluation purement comptable du dispositif. Sans entrer, même si elle y est intrinsèquement liée, dans l'analyse de ses besoins quantitatifs et qualitatifs. Et en éludant les arbitrages à la baisse auxquels les associations sont contraintes - réduction du taux d'encadrement, de certaines prestations - pour maintenir leur budget en équilibre. « Depuis trois ans, ces établissements constatent une insuffisance croissante de financement qui a pour effet un nombre de plus en plus important de contentieux tarifaires et de déficits constatés lors des comptes administratifs », explique la lettre de mission. Devant la gravité de la situation, qui « risque à terme de mettre à mal le fonctionnement de ces établissements, majoritairement associatifs, et de déstabiliser le dispositif global d'accueil, d'hébergement et de réinsertion », les ministres réclament néanmoins des propositions respectueuses « de taux d'évolution de la dépense publique compatibles avec les impératifs budgétaires ». La mission, qui aurait dû rendre son rapport avant la fin de l'année dernière, dans la perspective de la loi de finances rectificative pour 2004, respecte effectivement les préoccupations de Bercy en préconisant prioritairement des mesures visant au rééquilibrage des moyens et à un meilleur pilotage de la gestion budgétaire. L'accroissement des crédits qu'elle recommande s'avère en outre bien en deçà des desiderata que les associations ont jusqu'ici exprimés...
Les rapporteurs reconnaissent en préalable que leur constat est similaire à celui que formulaient déjà en 1993 l'IGAS et l'IGF sur les CHRS et les centres d'aide par le travail. Leurs recommandations, regrettent-ils, ont été peu suivies. Première source de difficulté : les coûts salariaux des CHRS (au nombre de 780 au 1er janvier 2004, pour une capacité de 30 500 places) sont mal évalués et sous-estimés. Après enquête auprès des directions départementales des affaires sanitaires et sociales (voir encadré), la mission estime que ces coûts représentent 67 % de la dépense totale. Majoritairement en raison de la rénovation des conventions collectives (celles de 1951 et de 1966) et des accords collectifs des personnels en CHRS, dont le coût est souvent minoré par les fédérations d'employeurs, cette dépense a progressé selon elle de 8,7 % entre 2001 et 2003. Soit une hausse « bien supérieure à celles indiquées dans les circulaires budgétaires » (qui les situent respectivement à 2,39 % et 0,90 % en 2002 et 2003).
Autre constat déjà connu : les crédits versés par l'Etat (437 millions d'euros en 2004, soit une augmentation de 1,8 % des crédits disponibles) sont très inégalement répartis entre les régions. Le « poids déterminant de l'histoire » dans la définition des bases budgétaires régionales, en effet, est entretenu par un taux quasiment uniforme de reconduction des dotations. Ce qui aboutit à un montant de la dotation globale de fonctionnement (DGF) à la place présentant « des écarts de 1 à 2 sans véritable logique ». Selon le rapport, le déficit global des établissements s'élève à 6 millions d'euros en 2003... Mais les situations sont très disparates : 45 % des établissements seraient déficitaires et 55 %excédentaires, même si, reconnaît la mission, la situation globalement dans le rouge et une mauvaise connaissance des résultats rendent difficiles d'éventuels redéploiements entre établissements. Ce sont in fine les crédits « non reconductibles » (63 % des moyens nouveaux en 2004), c'est-à dire dégagés dans l'urgence et non pérennes, qui sont de plus en plus mobilisés pour pallier les déficits des établissements, mais aussi financer les jugements des contentieux tarifaires. Et pour la première fois, le rapport rend public le coût de ces contentieux, le plus souvent perdus par l'Etat : près de 13 millions d'euros en 2004, soit près de 3 % du budget consacré aux CHRS !
Face à ces difficultés, la mission émet trois recommandations principales : mieux répartir les crédits afin de réduire les inégalités entre régions, départements et établissements, améliorer les outils de connaissance et de financement des CHRS, renforcer le pilotage du dispositif. « Sous réserve de ces réformes » seulement, elle propose de revoir la dotation budgétaire allouée aux CHRS, qui couvre en moyenne 85 % des dépenses des établissements.
C'est l'évaluation de ce « rebasage » qui risque sans doute de décevoir le plus les associations. S'appuyant sur une estimation du déficit global des centres, hors crédits « non reconductibles », et des insuffisances salariales, la mission propose de réévaluer la dotation 2004 « dans une fourchette de 10 à 12 millions d'euros environ ». Soit à peine plus que le coût annoncé des contentieux, alors que la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale réclamait, à l'occasion de l'examen du budget 2004, « la poursuite du rattrapage des retards accumulés depuis six ans » (la reconduction ne couvrant même plus le taux de l'inflation), qu'elle évaluait alors à 50 millions d'euros (1). Les rapporteurs omettent également de se prononcer sur la poursuite de la transformation de places d'urgence en places de CHRS, qui présente l'intérêt, outre d'augmenter la capacité du dispositif, de le pérenniser financièrement. Ils n'évoquent pas non plus la possibilité de mettre en place un financement pluriannuel sur cinq ans, également demandé par le secteur associatif pour éviter les rattrapages perpétuels.
Face aux difficultés budgétaires, la mission juge prioritaire de réduire les inégalités entre régions et de « discriminer » celles dont le dispositif est globalement plus coûteux que la moyenne nationale. Elle préconise donc de « moduler le taux de reconduction appliqué aux enveloppes régionales en fonction du montant de la DGF par place installée versée par l'Etat ». Une recommandation qui aura du mal à séduire les gestionnaires, qui expliquent de longue date qu'une comparaison des coûts à la place est impossible, voire incohérente, tant ils diffèrent selon une multiplicité de facteurs, dont le type de public accueilli, les catégories et niveaux de prestations...
Pour tenir compte de la diversité du dispositif néanmoins, la mission préconise de définir un système unique d'indicateurs articulant les trois démarches de suivi déjà engagées :les indicateurs budgétaires du décret d'octobre 2003 (2), les indicateurs de performance proposés dans le cadre de l'évaluation du programme « politiques en faveur de l'insertion sociale » engagée par Dominique Versini et les indicateurs de qualité qui seront déterminés en application de la loi du 2 janvier 2002 (3). Elle réclame en outre un renforcement du système d'information, qui passerait en premier lieu par le renseignement régulier des tableaux de bord mis en place après le rapport de l'IGAS et de l'IGF en 1993. Nombre de directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), notent les rapporteurs, ont abandonné, faute de temps et de personnel en nombre suffisant, l'utilisation de ces outils. Ces derniers « doivent constituer un système d'information unique et cohérent » intégrant le calcul des indicateurs, soulignent les inspecteurs, et être informatisés pour faciliter le rapprochement entre les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus. A partir de ce système, la mission suggère de construire « un référentiel de coût fondé sur la définition de prestations comparables » qui permettrait notamment, dans le cadre de la convergence tarifaire prévue par la loi du 2 janvier 2002, de « revoir les budgets à la baisse selon ces critères ».
Les inspecteurs recommandent enfin d'améliorer le pilotage du dispositif par l'administration centrale. Ce qui nécessite, soulignent-ils, une meilleure coordination entre le bureau chargé de l'agrément des accords collectifs, le bureau « budgétaire » et celui chargé des métiers. « Le format d'agrément doit donc être revu », concluent-ils sans plus de précision. Des études devraient en outre être menées sur les caractéristiques du personnel, ajoutent-ils, afin de mieux évaluer le taux glissement-vieillesse-technicité (GVT) (4), aucun élément ne permettant aujourd'hui de justifier qu'il soit établi à 0,8%.
La mission préconise également que l'administration centrale apporte aux services déconcentrés un soutien méthodologique sur l'utilisation des chapitres budgétaires et un appui juridique pour les recours contentieux. « Un assainissement durable de la situation ne pourra être garanti sans une remise à niveau adéquate des moyens de pilotage de la direction générale de l'action sociale », conclut-elle. Un vaste projet de réorganisation, en somme, qui ne laisse pas augurer d'une amélioration rapide de la situation actuelle... Et au vu de ses recommandations budgétaires, il n'est pas sûr non plus que le rapport représente l'appui nécessaire aux ministres en charge de l'exclusion pour négocier devant Bercy la rallonge espérée.
Maryannick Le Bris
Face à l'absence de données sur la situation financière des CHRS, la mission a mené une enquête auprès des DDASS, dont 78 % ont répondu, sur les données relatives à la période 2001-2003. L'échantillon de l'enquête comprend 453 CHRS, assurant en majorité une prestation d'hébergement et de réinsertion sociale sans atelier.44 % appliquent l'accord collectif du SOP, 20 % la convention de 1951 et 21 % celle de 1966. Sur la période observée, la capacité totale des établissements a progressé de 3,5 % (de 39 à 40 places en moyenne) et l'effectif total de 4,7 % (de 10 à 11 équivalents temps plein [ETP]). De 2001 à 2003, le résultat comptable cumulé des établissement s'est dégradé : le déficit de 1 million d'euros en 2001 est passé à 3,5 millions en 2003, après avoir atteint 5,6 millions en 2002. De fait, les dépenses ont augmenté plus vite que les recettes (12,8 % contre 11,9 %). Les dépenses de personnel ont augmenté de 13 % (de 8,7 % par ETP), la part de ces dépenses étant la plus faible dans les CHRS assurant un hébergement seul et la plus importante dans ceux assurant un hébergement d'urgence. La dotation globale de financement a quant à elle augmenté de 11,4 %, soit à un rythme inférieur à celui des dépenses totales (+ 12,8 %). Autre constat : la moyenne de la dotation globale de fonctionnement (DGF) par place est plus élevée dans les établissements nécessitant le plus d'effectifs, comme ceux proposant des ateliers. Néanmoins, tempère le rapport, la corrélation entre la DGF par place et l'effectif ne se vérifie pas dans les établissements employant plus de 10 ETP (40 % d'entre eux). L'enquête met toutefois en lumière que les établissements ayant un taux d'encadrement élevé ont besoin d'autres sources de financement. Mais ces crédits complémentaires varient peu et restent marginaux.
(1) Pour l'année 2005, le rebasage du budget de fonctionnement des CHRS a été de 7,4 millions d'euros.
(2) Voir ASH n° 2384 du 3-12-04.
(3) La direction générale de l'action sociale travaille actuellement à un projet de « référentiel national des prestations du dispositif accueil, hébergement, insertion », inscrit dans la démarche de labellisation des différents dispositifs.
(4) Effet des augmentations salariales automatiques liées à l'ancienneté et à l'évolution professionnelle.