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Une étude pointe les failles du dispositif d'accueil parisien

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Un groupe de femmes membres d'associations et d'institutions de lutte contre l'exclusion a tenté de dresser un premier état des lieux de l'hébergement et de l'accueil des femmes en situation de grande précarité à Paris. Une enquête qui donne à voir le manque de moyens dont souffre ce secteur.

Estimant que les femmes représentent un public particulier, un groupe de professionnelles et de bénévoles issues d'institutions ou d'associations de lutte contre l'exclusion a souhaité leur consacrer une enquête spécifique. Baptisé « Femmes et précarité », ce collectif s'était formé en 2002 à l'issue d'un forum sur les femmes organisé par l'équipe « santé mentale et exclusion sociale » du centre hospitalier Sainte-Anne. « Nous avons décidé avec quelques-unes de continuer à travailler sur l'accueil des femmes, explique Michèle Dreyfus, assistante sociale à Sainte-Anne. Or les précédentes enquêtes dont nous disposions portaient sur l'ensemble du public accueilli dans les structures d'urgence. C'est donc la première fois que nous nous penchions précisément sur les femmes. »

L'enquête, intitulée « Etat des lieux du dispositif d'accueil pour les femmes en situation de précarité », a été rendue publique lors d'une journée organisée par la Mission d'information sur la pauvreté et l'exclusion sociale en Ile-de-France (MIPES) (1). Elle aborde trois grands points : la situation générale des structures, les caractéristiques des femmes accueillies et l'opinion des responsables d'institutions. Réalisée entre septembre 2003 et janvier 2004 à partir d'entretiens avec les responsables de 76 structures d'accueil parisiennes (centres d'hébergement d'urgence, centres d'hébergement et de réinsertion sociale [CHRS], résidences sociales...), cette étude est avant tout qualitative. Les informations fournies par les personnes interrogées ont cependant été exploitées de manière statistique grâce au soutien de la MIPES et de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale. Les résultats de cette enquête, destinés à « disposer d'une image moins émotionnelle et plus concrète de la réalité » et à « faire émerger de nouveaux modes de faire », sont plutôt alarmants. « La tonalité générale est au pessimisme », estime Giacomina Lucchini-Deledda, psychologue clinicienne dans un CHRS parisien et rapporteure de l'étude.

Premier constat : tous les établissements souffrent d'un manque de places. Le rapport entre l'offre et la demande varie de 1 à 25 à 1 à 1 000 selon les lieux. Une situation aggravée par un taux de rotation faible lié à la pénurie de logements sociaux. La durée moyenne de séjour constatée dans les centres d'hébergement d'urgence et les CHRS est « toujours supérieure à la durée théorique prévue par les textes » :plus de deux ans pour 12 des centres.

La qualité de l'accueil lui-même fait souvent défaut. Les locaux sont généralement vétustes, exigus ou mal adaptés. Seuls 28 % des centres d'hébergement disposent de douches individuelles. Les centres manquent également de personnel qualifié. Les bénévoles qui accompagnent les femmes (animation d'ateliers, soutien scolaire, bureautique...) sont souvent mis à contribution pour d'autres tâches. « Ils assurent aussi dans le dispositif d'accueil d'urgence une bonne part du fonctionnement même des ces établissements », note le rapport. Enfin, les services proposés aux pensionnaires se révèlent le plus souvent restreints. L'aide aux transports, notamment, est relativement rare : 9 % des femmes accueillies en bénéficient. « Or la question de la mobilité se pose quotidiennement pour aller chercher des repas gratuits ou entreprendre des démarches administratives », fait observer Giacomina Lucchini-Deledda. Concernant l'accueil des femmes avec enfants, seuls 27 lieux d'hébergement sur les 58 interrogés (2) sont équipés pour ce faire. 20% seulement des centres d'hébergement sont dotés d'une crèche. Les mères hébergées en chambre d'hôtel n'ont pour leur part aucun mode de garde à disposition.

Des liens insuffisants avec la psychiatrie

Rare point positif de cette enquête, les liens entre les lieux d'accueil des femmes et les partenaires du secteur de l'enfance sont assez étroits : 83 % des responsables de centres déclarent travailler en partenariat avec la protection maternelle et infantile et 72 % avec l'école. En revanche, peu de liens contractualisés ont été noués avec le secteur psychiatrique. Des relations pourtant nécessaires si l'on considère la fréquence des pathologies mentales, qui devancent la tuberculose ou le diabète, puis les problèmes dermatologiques. Les troubles psychiques ou psychiatriques des femmes sont liés à leur passé traumatique, aux violences qu'elles ont subies (parentales, conjugales) et à leur isolement familial, affectif et relationnel.

Parfois extrêmes, ces pathologies posent des problèmes de prise en charge. L'en-quête relève que 33 % des lieux d'hébergement (CHRS, centres maternels) ont refusé des femmes pour problèmes psychiatriques avérés. Quand elles sont accueillies, ces femmes fragilisées doivent en outre composer avec des conditions d'hébergement éprouvantes : absence de lits de repos pour celles qui sont enceintes, promiscuité et absence d'intimité, impossibilité de recevoir quiconque, climat d'insécurité...

Quant à la participation des usagers à la vie des lieux d'accueil et d'hébergement, les responsables de structures, qui ont quasiment tous mis en place des groupes de parole, estiment qu'ils « n'apportent pas les résultats escomptés ».

Face à ces difficultés, les travailleurs sociaux « sont de plus en plus nombreux à être tentés par le découragement et l'épuisement professionnels ». Stress, sentiment d'isolement, manque de soutien des équipes, poids de situations de plus en plus complexes ou manque de personnel spécialisé en interne rendent leur travail délicat. Les professionnels déplorent principalement l'insuffisance des moyens mis à leur disposition pour assurer le volet insertion (recherche d'un travail, d'un logement). Une prise en charge individualisée tenant compte des spécificités de chaque pensionnaire s'avère ainsi « difficile ». D'autant que le manque criant de logements et de solutions adaptées (appartements sociaux, logements collectifs, foyers, baux glissants...) ne permet pas toujours aux femmes de quitter les structures à l'issue de leur accompagnement (3). « Certains CHRS vivent très mal la stagnation, voire la régression, de certaines femmes au sein de leurs centres alors qu'elles sont parvenues à construire un projet de travail et de logement », note Giacomina Lucchini-Deledda. Quant à l'hébergement dans les chambres d'hôtel (insalubres, sans cuisine, sans douche), auquel les professionnels sont obligés de recourir faute d'autre solution, il n'est qu' « un pis-aller » anxiogène et dangereux « qui ne fait qu'accroître l'isolement des femmes ».

Le rapport formule plusieurs propositions pour améliorer la prise en charge des femmes. La création de structures intermédiaires, à mi-chemin entre les CHRS et le logement indépendant est vivement souhaitée. La mise en place de lieux d'hébergement spécifiques pour celles qui ne peuvent plus travailler (maladies incurables, maison de repos et de retraite) est également recommandée. Un effort particulier pour accueillir les femmes avec enfants et les couples est par ailleurs indispensable. Enfin, ces structures manquent de moyens pour développer des espaces créatifs, culturels, « qui permettraient aux femmes de se sécuriser à leur rythme », défend Giacomina Lucchini-Deledda. Devant ces besoins multidimensionnels, les professionnels se montrent bien pessimistes : « Ils ne se font pas d'illusions quant à l'augmentation substantielle de leur budget qui couvrirait les vrais besoins en places et en professionnels (médecins, psy, enseignants, éducateurs, juristes...)  », conclut l'enquête.

Les résultats de cette étude qualitative, qui dresse un sombre tableau des conditions d'accueil des femmes en situation de grande exclusion, viennent prolonger les travaux de chercheurs qui se sont notamment penchés sur la violence institutionnelle. Carole Amistani, ethnologue au laboratoire d'anthropologie urbaine (LAU) du CNRS a étudié une série de lieux d'accueil d'urgence des femmes sans domicile. Elle pointe, elle aussi, les insuffisances du dispositif d'hébergement. Avec des locaux « extrêmement exigus, mal adaptés et généralement en attente de travaux » et un personnel encadrant « composé de peu de travailleurs sociaux diplômés ou formés », la prise en charge de ces femmes se révèle « restreinte et très éloignée de l'accompagnement », explique-t-elle. Ces structures génèrent alors, sans le vouloir, une certaine « maltraitance institutionnelle ». Les institutions mériteraient donc d'être pensées autrement, de manière à mieux prendre en compte les spécificités de ce public (voir encadré ci-contre)  : « Il ne faut pas voir ces femmes comme des consommatrices de prestations mais plutôt comme des femmes qui s'adaptent à un environnement hostile. » Ce que Corinne Lanzarini, sociologue au Centre de recherche sur les enjeux contemporains en santé publique à l'université Paris-XIII, définit comme une « tactique de survie », ces femmes réagissant au coup par coup aux événements.

Ces dernières ont en effet perdu, dans la rue, toute notion de temporalité. Ce qui a une incidence sur leur relation aux institutions, qui introduisent leur propre dimension temporelle (tel jour pour la douche, tel autre pour le vestiaire, fermeture en hiver...). En occupant « un espace mental phénoménal » pour ces femmes sans repères, ces institutions produisent un « système de contrainte extrême », indique la sociologue. Reste que, malgré les efforts des travailleurs sociaux et des bénévoles, contraints de gérer l'urgence au détriment de l'insertion, cette « violence institutionnelle » risque de perdurer. Faute de moyens suffisants.

Florence Pagneux

FEMMES SDF : DES STRATÉGIES POUR NE RIEN DÉVOILER DE LEUR HISTOIRE

A Grenoble, l'association « Femmes SDF » a mené une « recherche action » de deux ans et demi auprès des femmes sans domicile pour tenter de changer le regard porté sur elles et leur proposer un accueil adapté. Entre septembre 2001 et juillet 2003, Marie-Claire Vanneville, chargée de mission à Femmes SDF, appuyée par un comité de soutien rassemblant d'autres associations (Médecins du monde, Secours catholique..) et soutenue financièrement par les collectivités locales et des financeurs privés, est allée à la rencontre de ce public fuyant et insaisissable. Principal enseignement de cette recherche : ces femmes font le maximum pour passer inaperçues et élaborent des stratégies de survie devant les travailleurs sociaux et les bénévoles en préparant des discours factices afin de ne rien dévoiler de leur propre histoire. « On les imagine sur le chemin de la réinsertion mais c'est pour mieux nous tenir à distance », explique Marie-Claire Vanneville. D'où la nécessité de proposer des lieux d'accueil adaptés. « A Grenoble, beaucoup d'endroits distribuent des repas, des vêtements ou proposent un hébergement, mais il n'existait pas d'espace intermédiaire, poursuit-elle. Il fallait donc créer un lieu où les femmes puissent tout simplement se poser et s'accorder un bon moment. » Depuis le 20 décembre, l'association a ouvert un centre d'accueil de jour entièrement pensé et aménagé par et pour ces femmes. Un espace où elles peuvent s'allonger, amener leurs animaux ou venir prendre une douche, « sans être obligées de parler ». Femmes SDF : 16, rue Aimée-Berey - 38000 Grenoble -Tél. 04 76 70 35 29.

Notes

(1)  Le 21 janvier, sur le thème « L'accueil des femmes en situation de grande exclusion » - MIPES : 35, boulevard des Invalides - 75007 Paris - Tél. 01 53 85 66 96 - Etude disponible sur www.iledefrance.fr.

(2)  Hors coordination de l'accueil des demandeurs d'asile.

(3)  Voir le dernier rapport de la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des personnes défavorisées dans les ASH n° 2393 du 4-02-05.

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