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Un centre de soins pour les victimes de la torture

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Le centre Primo-Levi offre des soins médicaux et psychologiques ainsi qu'un accompagnement socio-juridique aux personnes en exil victimes de la torture ou de la violence politique. Mais faute de moyens, et face à l'afflux des demandes, les files d'attente ne cessent de s'allonger.

Une salle d'attente colorée, plusieurs espaces de consultation médicale, des bureaux et une salle de réunion aménagés dans un ancien appartement du XIe arrondissement de Paris. Les locaux du centre de soins Primo-Levi (1) sont exigus mais l'ambiance se veut chaleureuse, conviviale et sécurisante. Les usagers qui dé-filent souffrent en effet de maux bien particuliers. Victimes de la torture ou de la violence politique dans leur pays d'origine, ils vivent de surcroît une situation d'exil en France. Aux malheurs subis pendant la guerre ou liés à la répression (disparition des proches, prison, sévices, viols...) viennent s'ajouter les difficultés quotidiennes dues à la précarité de leur situation en France.

Pour tenter de soulager ce double traumatisme, l'association, qui s'est vu décerner le prix des droits de l'Homme en 2004 (2), propose une prise en charge globale inscrite dans la durée. Celle-ci est réalisée par une équipe pluridisciplinaire composée de thérapeutes, de juristes et de professionnels de l'accompagnement social (3). « Nous ne pouvons pas séparer le médical et le psychologique du vécu quotidien de nos patients, explique Sibel Agrali, la présidente du centre. Ce sont des personnes qui ont survécu à des situations extrêmes et qui subissent de plein fouet le déclassement social depuis leur arrivée en France. »

Pour mettre en confiance les patients non francophones, l'association fait également appel à des interprètes professionnels par l'intermédiaire de l'association Inter service migrants (ISM). « Leur présence est plutôt rare dans les centres d'aide aux migrants, signale Sibel Agrali. C'est un poste qui, s'il coûte cher, participe à la qualité de l'écoute et du suivi des patients. » L'association suit environ 350 personnes chaque année (dont la moitié sont des nouveaux patients) pendant une durée de six mois à un an. « Certaines d'entre elles ne viennent que trois ou quatre fois consulter un médecin alors que d'autres nous sont fidèles depuis le début », ajoute la présidente. La majorité des patients sont des adultes, mais la proportion de mineurs augmente (31 % des nouveaux patients en 2003).

Une orientation en douceur

Depuis sa création en 1995 à l'initiative de cinq organismes (4), le centre Primo-Levi a vu évoluer son public selon la carte des conflits du monde, des plus médiatiques aux plus ignorés. « Au tout début de notre activité, un tiers des patients provenaient de Turquie et les autres d'Afrique, rappelle Sibel Agrali. Puis la demande algérienne a progressivement augmenté. » Aujourd'hui, la majorité des usagers provient d'Afrique centrale et de l'Ouest (République démocratique du Congo, Congo Brazzaville, Angola, Côte- d'Ivoire...). « A travers leur récit, nous pouvons suivre leur cheminement, poursuit la présidente. Certains sont partis du Rwanda vers des pays limitrophes et ont été poussés de frontière en frontière au gré des conflits. »

Les patients, orientés souvent par le tissu institutionnel ou associatif, poussent de plus en plus spontanément la porte du centre grâce au bouche à oreille des communautés. Car la majorité d'entre eux ne sont pas des primo-arrivants : ils se présentent généralement au centre après 13 mois de présence en France. « Ils se sont d'abord préoccupés de l'essentiel, comme de trouver un toit et de quoi manger, explique Janine Dardare, assistante sociale de l'association. Ce n'est qu'une fois que leur environnement social s'est élargi qu'ils peuvent, enfin, penser à eux. » D'autant que la demande d'aide s'avère une démarche difficile. « On ne se raconte pas facilement à un étranger », poursuit-elle. D'où la nécessité d'un accueil et d'une orientation en douceur, réalisée en plusieurs étapes.

Donner un sens à la douleur

Le premier rendez-vous avec l'association, baptisé « premier entretien d'accueil », revêt toute son importance. « Je vérifie d'abord que la personne entre bien dans la prise en charge que nous proposons et je la réoriente, le cas échéant, vers d'autres structures, explique Catherine Pinzuti, « accueillante » au centre. J'essaie ensuite de saisir la nature de la demande de soins afin de l'inscrire sur une liste d'attente. Mais ce n'est pas facile de demander à une personne qui souffre de patienter encore trois mois avant de revenir au centre voir un médecin. »

La consultation médicale, qui vise à traiter des symptômes propres aux victimes de la torture (maux de tête, cauchemars, troubles du sommeil...), se révèle elle aussi tout à fait particulière. « Le médecin essaie de mettre en relation les symptômes avec ce qui a été vécu, explique Sibel Agrali. Le patient ne pourra aller mieux qu'à partir du moment où il pourra donner un sens à ses douleurs. » Un kinésithérapeute et un dentiste peuvent également être amenés à intervenir au fur et à mesure de l'accompagnement. « Les personnes violentées au niveau de la tête ont souvent besoin de soins dentaires, explique Janine Dardare. Mais la consultation dans un cabinet public peut s'avérer très traumatisante pour une victime de la torture. » Pour compléter ce suivi médical, un travail auprès du psychologue ou du psychothérapeute permet de mettre en parole les souffrances (5). Enfin, plus d'un tiers des patients ont recours à un accompagnement social et juridique. La première des missions de l'assistante sociale relève alors de la gestion de la vie quotidienne. « Je suis parfois obligée de leur trouver moi-même un toit, explique Janine Dardare. Un des patients est arrivé un matin avec sa valise. Heureusement, j'ai pu lui trouver une place dans la journée en foyer d'urgence. »

L'assistante sociale et les juristes du centre prennent aussi en charge la rédaction et le suivi des demandes d'asile. « Un dossier mal fait, et c'est leur avenir qui se joue, prévient Janine Dardare. Je ne suis pas là pour arranger leur histoire mais pour la mettre en forme, replacer la chronologie en me repérant en fonction des saisons, des anniversaires. » Un travail de fourmi qui l'amène parfois à demander des extraits d'actes de naissance ou des certificats de décès dans les pays d'origine des patients. « Nous ne remettons jamais en cause la parole de la personne, poursuit Janine Dardare. Nous tentons au contraire de déceler avec elle des éléments à mettre en valeur dans le dossier : il est notamment intéressant de découvrir qu'elle a un enfant français ou qu'elle peut bénéficier de la carte de soins. J'explique aussi comment se passe une convocation à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides ou un entretien à la Commission des recours des réfugiés. »

Cette pluralité de soins et de services, dispensés sous le même toit, permet au patient de retrouver une certaine stabilité. « Cet aspect contenant est nécessaire pour ces personnes qui vivent avec un sentiment d'éparpillement et d'éclatement, soit parce qu'elles ont été déplacées, soit parce que leur famille est dispersée, précise Sibel Agrali. Le centre devient alors un lieu où se créent des repères. » Un point fixe d'autant plus nécessaire que les demandeurs d'asile sont « souvent renvoyés d'une institution à une autre, d'un hébergement à un autre », ajoute Janine Dardare. La cohérence du suivi est assurée par les réunions régulières de l'équipe. Ces moments à plusieurs permettent d'évoquer les situations difficiles, de réfléchir sur le travail accompli et de coordonner les actions. « Le fonctionnement même du centre repose sur cette notion de travail en équipe », souligne Catherine Pinzuti.

Mais le centre Primo-Levi se trouve aujourd'hui victime de son succès. Face à l'afflux des demandes de soins, les listes d'attente s'allongent. Résultat : le délai pour obtenir un rendez-vous avec un psychothérapeute s'élève désormais à un an. Autant dire une éternité pour une personne en souffrance psychique. Faute de moyens suffisants, l'association n'est pas en mesure d'embaucher à plein temps un psychothérapeute supplémentaire. Les sources de financement de l'association sont pourtant nombreuses. Elles se répartissent entre les organisations internationales (Union européenne, Fonds européen pour les réfugiés, ONU), l'Etat français (subvention du Premier mi-nistre, Fonds d'aide et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, direction de la population et des migrations, direction générale de la santé), la région Ile-de-France, les associations (Comité catholique contre la faim et pour le développement, Médecins du monde...) et les dons privés. « Mais la contribution de l'Etat laisse vraiment à désirer », regrette Sibel Agrali. Qui constate que le regard posé sur la population des demandeurs d'asile aurait profondément changé ces dernières années. « Si on distinguait auparavant les exilés venus de tel ou tel pays, on les englobe désormais dans les étrangers, avec l'idée qu'ils représentent une menace pour la cohésion sociale. »

De son côté, l'assistante sociale s'inquiète des conséquences de la réforme du droit d'asile, censée donner un coup d'accélérateur aux procédures. « On va accueillir de plus en plus de déboutés, s'inquiète Janine Dardare. C'est tout de même beaucoup plus difficile de se reconstruire sur la base du "il n'y a rien pour vous ici ". C'est un non-sens d'accueillir des gens qui ont vocation à repartir. » Déjà, la courbe du profil des patients commence à s'inverser : si en 2002,93 %des nouveaux patients adultes étaient demandeurs d'asile ou réfugiés contre 7 % de déboutés, ils n'étaient plus que 88 % en 2003 dans cette situation. Pour autant, l'association n'entend pas faire de différence entre demandeurs, déboutés ou réfugiés. « Ils ont tous leur place au centre », prévient Janine Dardare. « Notre seul but est qu'ils aillent mieux, renchérit Sibel Agrali. Que ce soit ici ou ailleurs. »

Florence Pagneux

UN CENTRE DE FORMATION POUR LES PROFESSIONNELS DE L'ASILE

Partant du constat que les professionnels de l'accueil des demandeurs d'asile et des réfugiés se retrouvent souvent déroutés face à la souffrance extrême des personnes victimes de la torture ou de la violence politique, l'association Primo-Levi a mis en place en 2002 un centre de formation agréé au titre de la formation continue. Plusieurs formules sont proposées aux participants : soirées thématiques mensuelles, sessions de deux jours deux fois par an, formation à la demande, analyse des pratiques et debriefing. Les thématiques abordées par les formateurs vont de la notion de traumatisme à la problématique de la torture, du deuil, de la rupture du lien social ou de l'aide spécifique à apporter aux enfants. Le programme et les tarifs des soirées thématiques et des sessions de formations 2005 sont disponibles sur le site de l'association : www.primolevi.asso.fr.

Notes

(1)  Association Primo-Levi : 107, avenue Parmentier - 75011 Paris - Tél. 01 43 14 88 50 - www.primolevi.asso.fr.

(2)  Ce prix est décerné chaque année par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme. Cette institution indépendante, constituée d'une centaine de personnalités issues de la société civile, récompense des actions de terrain menées par des associations qui agissent sur tous les continents.

(3)  Elle compte des médecins généralistes, des psychothérapeutes, un psychiatre, un kinésithérapeute, un chirurgien- dentiste, une assistante sociale, des juristes, des accueillants, une pharmacienne et une documentaliste.

(4)  Amnesty International section française, l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture, Juristes sans frontières, Médecins du monde et Trêve.

(5)  L'association édite la revue trimestrielle Mémoires qui aborde, à travers analyses, reportages ou témoignages, les problématiques spécifiques des victimes de tortures : violences faites aux familles, parole des victimes, souffrance des enfants...

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