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Le plan de santé mentale : des ambitions, mais aussi de nombreuses ambiguïtés

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Une ambition, beaucoup d'idées, une certaine ouverture... Les 91 pages du projet de plan de santé mentale présenté, le 4 février, par Philippe Douste-Blazy (1) et actuellement soumis à la concertation, ont de quoi séduire à première vue. Ne serait-ce que parce qu'après la multitude de rapports sur le sujet et le plan « santé mentale » lancé en 2001 par Bernard Kouchner, alors ministre de la Santé, et qui n'a jamais été mis en œuvre en raison du changement de gouvernement, un véritable programme est enfin proposé aux partenaires.

Un renouveau dans le discours

L'Association des instituts de rééducation (AIRe) enregistre même un renouveau dans le discours du ministre car son projet «  situe la souffrance psychique, née du plus intime de l'humain, comme non évaluable, ni mesurable » et comporte des prises de position claires sur le renforcement de la prévention de la dépression dans les établissements scolaires, la nécessité de réserver aux psychiatres la prescription des antidépresseurs et des psychotropes pour les enfants et les adolescents, la place à redonner aux psychothérapies, la réaffirmation de la légitimité de la psychanalyse.

Incontestablement, soulignent la Fédération hospitalière de France (FHF), la Fédération nationale des patients et ex-patients en psychiatrie (FNAP-Psy), l'Union nationale des amis et familles de malades mentaux (Unafam), la Conférence nationale des présidents des commissions médicales d'établissements (CME) des centres hospitaliers spécialisés (CHS) - qui ont tenu à réagir ensemble dans un long communiqué commun -, le ministre a pris la mesure de la complexité et des spécificités du champ de la psychiatrie et de la santé mentale. Même si elles appellent à une certaine vigilance pour éviter « une fascination » pour le schéma anglo-saxon « dont on sait le substrat utilitariste et la capacité sans égale à évincer les sujets les plus vulnérables ». Les organisations saluent également la définition d'orientations de travail en direction de populations ou de préoccupations spécifiques, bien « qu'étonnamment », regrettent-elles, ne soit pas évoqué explicitement le problème urgent des personnes souffrant de psychoses qui vivent désormais dans la cité.

Certes, le plan comporte des avancées (renforcement de la place des représentants d'usagers, mesures en faveur des détenus, déploiement de solutions d'accompagnement médico-sociales...). Néanmoins, la FNAP-Psy, l'Unafam, la FHF et la Conférence des présidents des CME de CHS estiment qu'il ne renforce pas suffisamment les actions de dépistage et de prise en charge dans les établissements de l'enfance en danger et de l'enfance protégée et qu'il ne prend pas assez en compte les situations de détresse des proches des patients présentant des pathologies sévères au long cours. De même, elles regrettent que le plan reste trop imprécis sur la valorisation de l'activité en psychiatrie. Au chapitre des omissions, également, la « correction des effets pervers » pour les patients suivis en psychiatrie du décret du 4 octobre 2004 réformant la liste des affections de longue durée (2). Texte qui, selon les fédérations, aboutit à exclure tous les troubles aigus (psychose comprise) de moins d'un an d'ancienneté.

Difficile de ne pas applaudir à la volonté du ministre de donner un nouvel élan au secteur psychiatrique et de « le conforter comme base de l'organisation des soins ». Ce qui satisfait l'AIRe, tout comme la FNAP-Psy, l'Unafam, la FHF et la Conférence des présidents des CME de CHS. Ces dernières apprécient qu'enfin ce système soit soutenu politiquement et que l'on tente d'apporter « une réponse crédible au flottement sur les principes organisateurs ressenti depuis une dizaine d'années par bon nombre de soignants et d'usagers ». Reste que, pour ces quatre fédérations, le plan est très ambigu sur la façon de procéder puisque, s'il réaffirme la légitimité du secteur, il veut également développer les réseaux de santé, «  sans distinguer les niveaux et les modes d'articulation  ». D'où des risques de dilution, voire de confusion. Ce qu'interprète Sud Santé-sociaux comme « la disparition du secteur au profit d'une organisation basée sur le territoire de santé ».

C'est pourquoi la FNAP-Psy, l'Unafam, la FHF et la Conférence des présidents des CME de CHS, demandent que tous ces élargissements potentiels sous la forme de réseaux ou de territoires de santé « soient clairement posés sur un socle cohérent et lisible par tous, c'est-à-dire à partir d'un ou de plusieurs secteurs réunis en fédération ». Elles réclament notamment que les projets d'ouverture des alternatives en psychiatrie au secteur privé à but lucratif ne soient autorisés que si des conventions de fonctionnement ont été signées avec les secteurs (ou fédération de secteurs) psychiatriques.

Autre travers du plan soulevé par ces quatre fédérations : en privilégiant l'implantation des services de psychiatrie dans l'hôpital général, il témoignerait d'un « hospitalocentrisme » dépassé. Elles proposent donc un autre référentiel d'accessibilité en se fondant sur la distance maximale à parcourir par tout assuré social pour être soigné en psychiatrie, soit 40 minutes en voiture et/ou en transport en commun. Quant au moratoire sur la fermeture des lits, il doit correspondre à une véritable politique de secteur, rappellent les fédérations.

Des ressources humaines d'abord

D'une façon générale, le chapitre sur les moyens humains est fortement critiqué. Le plan prévoit en effet de créer 2 500 postes médicaux et non médicaux en quatre ans. « Cela représente environ deux postes par service alors même que des milliers de postes restent vacants! », s'indigne Sud Santé-sociaux. « Il pourrait prévoir 10 000 postes que cela ne servirait à rien si on ne parvenait pas à les pourvoir. Il n'y a aucune mesure d'attractivité dans le plan », renchérit Nadine Prigent, secrétaire générale de la Fédération de la santé et de l'action sociale CGT. «  Où sont les effectifs, s'interroge la Fédération des services publics et de santé-FO, qui explique «  chercher en vain une réponse concrète en matière de création de postes ». Autant d'interrogations qui amènent la FNAP-Psy, l'Unafam, la FHF et la Conférence des présidents des CME de CHS à réclamer « une politique volontariste et innovante en matière de gestion des ressources humaines ». Elles demandent en particulier une implication des médecins libéraux, généralistes et spécialistes, dans les activités de sectorisation psychiatrique « sous la forme de missions d'intérêt général ». L'AIRe regrette aussi que sa proposition visant à solliciter les psychiatres exerçant en libéral pour qu'ils contribuent aux missions de service public n'ait pas été retenue.

Mais le problème majeur du plan, selon la FNAP-Psy, l'Unafam, la FHF et la Conférence des présidents des CME de CHS, provient du manque de lisibilité de l'effort financier, ce qui atténue considérablement sa portée. Les diverses sources de financement sont ainsi mélangées au lieu de faire l'objet de présentations distinctes. Au total, le milliard et demi d'euros d'investissement en psychiatrie annoncé par le ministre apparaît davantage comme « des effets de manche des services de communication ». Ce chiffre, qui mélange la part d'autofinancement des établissements et des emprunts qu'ils vont être amenés à faire, correspond en fait à un engagement de l'Etat de... 65 millions d'euros annuels !, estiment les quatre organisations.

Même « contraste embarrassant », notent-elles, entre le nombre de patients hospitalisés qui relèvent de solutions médico-sociales - soit 10 000 - et le nombre de places effectivement proposées : 1 000 places d'hébergement dans les établissements médico-sociaux, 1 900 dans les services d'accompagnement à domicile. Comment alors penser et mettre en œuvre les sorties d'hospitalisation ?, s'interrogent-elles.

Enfin, le plan laisse « une question en suspens », selon ces mêmes organisations. Celle de l'implication et du soutien des élus des conseils généraux et des communes. « Bien souvent, le sort des personnes handicapées psychiques fait l'objet d'un déni de compétence entre d'une part un dispositif soignant, sous compétence de l'Etat et de l'assurance maladie, qui se voit contraint, sinon enjoint, de savoir "passer le témoin" à d'autres acteurs sociaux et médico-sociaux, qui sont, eux, sous la compétence du département ou des communes. » Pour pallier cette attitude d'évitement, propre au handicap psychique, les fédérations proposent la mise en place de contrats d'objectifs entre les différents partenaires (élus et institutions) pour créer des solutions de logement.

I.S.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2394 du 11-02-05.

(2)  Voir ASH n° 2376 du 8-10-04.

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