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De quel poids pourra peser le CSTS ?

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Le Conseil supérieur du travail social entend, dans le nouveau mouvement de décentralisation des politiques sociales, veiller à la cohérence nationale des formations sociales et accentuer sa vigilance sur le respect des pratiques professionnelles. Comment pourra-t-il assumer ce rôle alors qu'il manque déjà de moyens et de pouvoir politique ? La journée qu'il organise le 14 février au Sénat sera l'occasion d'amorcer la réflexion.

Le Conseil supérieur du travail social (CSTS), qui fêtait l'année dernière ses 20 ans, a décidé de sortir de sa coquille. L'assemblée consultative organise le 14 février, au Sénat, une journée de réflexion sur « les enjeux du travail social aujourd'hui », qui sera ouverte par Nelly Olin, sa présidente en qualité de ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion, et close par Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale. Cet événement - une première - rassemblera des représentants de l'Etat et des élus locaux autour des principales questions qui taraudent les professionnels de l'action sociale : la reconnaissance de leurs missions, leur complémentarité avec les autres acteurs de la vie publique et leur place au sein des politiques sociales décentralisées. L'instance sort ainsi de la réserve qui lui a souvent été reprochée, alors que l'action sociale vit une nouvelle phase de décentralisation, surtout marquée par la régionalisation des formations sociales.

C'est que, après avoir craint de disparaître dans la foulée de l'ordonnance de simplification des commissions administratives (1), le CSTS veut reprendre l'initiative. En février 2004, il s'était déjà auto-saisi de l'avant-projet de loi sur la prévention de la délinquance et avait ainsi rappelé son rôle de « gardien » des valeurs du travail social. Une prise de position importante, quelques semaines avant que des milliers de travailleurs sociaux ne descendent dans la rue. « L'idée d'organiser une journée d'information au Sénat est née de plusieurs facteurs, explique Brigitte Bouquet, vice-présidente et titulaire de la chaire en travail social du Conservatoire national des arts et métiers. Avant son renouvellement en septembre 2002, le CSTS a été laissé à l'abandon pendant un an, comme si les travailleurs sociaux avaient été réduits à la fonction d'exécutants, de gestionnaires de dispositifs. A cette préoccupation se sont ajoutés le projet de régionalisation des formations sociales et le malaise des professionnels face aux tentatives d'atteintes à leurs principes fondamentaux. Nous avons voulu montrer ce qu'est le travail social, et son importance devant la massification des problèmes sociaux. »

Cette décision s'inscrit d'ailleurs dans le prolongement de la redéfinition des missions du CSTS, recentrées sur son rôle de veille et d'expertise par un arrêté du 11 septembre 2002 (2). Le rôle d'appui technique qu'il apportait auparavant pour l'élaboration des diplômes a été confié à la commission professionnelle consultative (CPC) du travail social et de l'intervention sociale. Dans une note adoptée lors de son assemblée plénière du 18 juin 2004, intitulée « Positionnement et missions du Conseil supérieur du travail social », l'assemblée précise encore davantage son utilité dans le cadre du transfert des compétences relatives aux formations sociales. Selon ce document, le CSTS « assure son rôle d'apport d'expertise au ministre sur le travail social, en termes d'évolution et de mise en œuvre ». Et « de veille sur les nécessaires évolutions du travail social, des formations et des pratiques professionnelles liées à la mise en œuvre des politiques publiques ».

Une compétence qui lui est au fond toujours revenue, mais qu'il n'a pas toujours eu les moyens d'assumer. Faute, tout d'abord, de bénéficier de la reconnaissance politique qu'il mérite. Car contrairement à d'autres instances du même type, le Conseil supérieur du travail social manque de pouvoir de décision. Certes, l'assemblée a pu contribuer à enrichir la loi fondatrice du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, impulsé le schéma national des formations sociales et su prendre quelques positions d'importance. Mais dans la majorité des cas, elle est saisie des textes en préparation une fois qu'ils en sont déjà à une phase de consensus interministériel. « Notre consultation en amont n'est pas entrée dans la culture des ministres en charge de l'action sociale », regrette Christian Chassériaud, membre du bureau et président de l'Association française des organismes de formation et de recherche en travail social (Aforts). Rares sont ceux, d'ailleurs, qui ont fait preuve d'assiduité à ses réunions plénières, symbole du manque de considération pour l'action sociale de la part des décideurs politiques. « Il est intéressant de comparer le poids du CSTS à celui d'une autre instance consultative comme le Conseil supérieur de la fonction publique qui, lui, a un pouvoir décisionnel », commente Jean-Yves Baillon, ancien secrétaire général de l'Union fédérale de l'action sociale (UFAS) -CGT. « La direction générale de l'action sociale n'a pas encore eu le mode d'emploi du CSTS », ironise quant à lui Christian Chassériaud.

Mais, les membres du bureau en conviennent, l'organisation pèche elle-même par manque de réactivité. Premier frein à un fonctionnement plus offensif : ses assemblées plénières ont lieu seulement trois ou quatre fois par an, ce qui ne lui permet pas d'être toujours en phase avec l'actualité. De surcroît, la grande taille de cette assemblée de sages a les inconvénients de ses avantages. Miroir du monde de l'action sociale, elle est composée de 68 membres titulaires représentant, outre les départements ministériels, les usagers et les associations, les caisses de protection sociale, les syndicats de salariés, les organisations patronales, désormais regroupées par branche, les acteurs de la formation, auxquels s'ajoutent des personnalités qualifiées et, en théorie, l'Assemblée des départements de France, l'Association des régions de France et des représentants des étudiants. Pas facile dans ce cas de parler d'une seule voix. « Cette large représentativité permet de faire du CSTS un lieu de réflexion et de débat sur les positionnements de chacun, de faire un point sur les instances connexes - la CPC notamment -, et de se dire les choses sans qu'il y ait de rapport de force comme en négociation, juge Maryvonne Nicole, secrétaire fédérale de la fédération Santé-sociaux de la CFDT. Mais l'effet mécanique du nombre limite obligatoirement son action, transformant ses réunions en grand-messes. » Conséquence : l'assemblée apparaît parfois un peu trop consensuelle, même si son indépendance ne s'est jamais démentie. « C'est un outil de très haute compétence, mais je ne suis pas arrivé à faire s'exprimer le CSTS sur les centres éducatifs fermés, regrette encore Jean-Yves Baillon. L'assemblée aurait également dû se donner le droit de réfléchir à la mise en place du revenu minimum d'activité, sur le grand chantier de Jean-Louis Borloo sur les 500 000 emplois de service, sur la décentralisation... »

Un manque de moyens qui entrave ses actions

A ce manque de poids politique s'ajoute un manque de moyens notoire. L'organisation dispose seulement d'un poste de secrétariat au sein de la direction générale de l'action sociale (DGAS). Les frais de déplacement des membres de ses groupes de travail - une quarantaine par an pour présenter leurs travaux - ne sont pas financés. C'est d'ailleurs l'absence d'une ligne budgétaire dédiée qui l'a empêchée de mettre en place la commission permanente sur l'éthique et la déontologie qu'elle appelait de ses vœux en 2001. « C'est une structure symboliquement formidable, dotée d'acteurs de haute valeur, mais privée de relais politique et de moyens d'action », résume Hubert Boucher, membre titulaire, administrateur du Syndicat général des organismes privés sanitaires et sociaux à but non lucratif (SOP). Pour beaucoup, la création de la CPC en septembre 2002 a même contribué à la désinvestir davantage. « La réflexion sur les métiers a trop tôt quitté le CSTS, qui du coup n'a plus la même vision ni de compétence globale », juge François Roche, membre du bureau, directeur de l'Unité de formation des travailleurs sociaux de Vic-le-Comte (Puy-de-Dôme).

Compte tenu de ces fragilités, on ne peut que se réjouir que le CSTS ait malgré tout, grâce au militantisme des membres de son bureau, réussi à faire entendre une parole utile sur le travail social. La douzaine de rapports qu'il a produits, même s'ils ont été rangés dans les tiroirs des ministres, ont au moins alimenté l'analyse des professionnels sur leurs pratiques. Une fois adoptés, ces travaux sont adressés aux directions départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales, ainsi qu'aux centres régionaux de l'enfance et de l'adolescence inadaptées, chargés d'assurer leur diffusion... certes, de façon plutôt artisanale. Certains, utilisés comme ouvrages de référence dans les centres de formation, ont été édités par l'Ecole nationale de la santé publique et ont fait date dans l'analyse de l'action sociale, comme celui sur L'intervention sociale d'aide à la personne (1995), diffusé à plus de 15 000 exemplaires, ou celui intitulé Ethique des pratiques sociales et déontologie des travailleurs sociaux (2001), qui en est à sa deuxième édition. La plupart ont fait preuve de clairvoyance sur les enjeux actuels de l'action sociale... « Le CSTS a commencé à être influent dans le monde social au cours de sa troisième mandature [de 1994 à 1997] , quand Pierre Gauthier, alors directeur de l'action sociale, a décidé de valoriser ses travaux », souligne Jacques Ladsous, membre du bureau, vice-président sous la précédente mandature, et qui prépare pour le 14 février une synthèse de tous les rapports réalisés, pour mettre en évidence le fil rouge d'une réflexion qui s'est construite pendant 20 ans. Même si, regrette-t-il, certains documents auraient davantage pu faire mouche : « Pourquoi les établissements ont-ils choisi la démarche qualité plutôt que la méthode d'évaluation que nous préconisions dans notre rapport de 1992 ? », s'interroge-t-il. Trois rapports, attendus pour juin 2006, sont prévus pour la présente mandature : Le décloisonnement et l'articulation du sanitaire et du social, L'usager au centre du travail social :participation et représentation des usagers et Le travail social face à la grande pauvreté et l'exclusion.

Un rôle redéfini par la loi sur la décentralisation

Pour renforcer ses missions et gagner en visibilité, le CSTS entend donc être plus réactif sur les textes officiels en cours (la question du travail social en commissariat (3) est notamment à l'ordre du jour de son assemblée plénière du 24 mars, avec la démographie professionnelle et les formations sociales en Europe), mais aussi mettre davantage ses rapports en débat dans la sphère politique. L'enjeu est d'autant plus important que son rôle a été revu dans le cadre de la décentralisation. Le projet de décret relatif à la régionalisation des formations sociales prévoit qu'il émette son avis sur les orientations nationales du ministère chargé des affaires sociales tous les trois ans. « Le schéma national des formations sociales prend fin en 2005 et de nombreux travaux, dont les trois rapports attendus pour le deuxième trimestre 2006, pourront alimenter la réflexion pour construire les orientations en matière de travail social du ministre », précise Maryse Chaix, sous-directrice de l'animation territoriale et du travail social à la DGAS. « En outre, ajoute-t-elle, des groupes de travail ponctuels pourront être créés au second semestre 2005. La réflexion sera menée dans le prolongement de la journée du 14 février prochain. »

L'instance devra aussi se positionner non plus seulement comme une assemblée consultative auprès de l'Etat, mais comme un interlocuteur des élus locaux. Elle devra apprendre à travailler avec les décideurs que sont devenus les départements et les régions. Des interlocuteurs jusqu'ici quasiment inconnus, sachant que l'Assemblée des départements de France (ADF) et l'Association des régions de France (ARF), qui y siègent déjà en théorie, ont jusqu'ici plutôt pratiqué la politique de la chaise vide (voir encadré). Le CSTS devrait figurer, avec l'ARF, les directions régionales des affaires sanitaires et sociales, le groupement national des instituts de travail social (GNI) et l'Aforts, dans le groupe de suivi de la décentralisation des formations que la DGAS devrait prochainement installer. Il devrait également être représenté au sein du futur comité national de la formation tout au long de la vie. Mais au-delà de ces contacts bi-latéraux, comment pourrait-il avoir une influence sur les décisions des administrations locales qui détiendront les cordons de la bourse ?

Pour pouvoir néanmoins envisager l'avenir avec un peu d'optimisme, de nouveaux modes d'échange sont à inventer avec les décideurs locaux. Si tout le monde s'accorde à dire que le CSTS doit rester une instance nationale, sous peine de voir l'action sociale définitivement émiettée, l'idée de déconcentrer son activité dans les régions est à l'étude. Des membres du CSTS pourront-ils siéger dans les commissions régionales de formation ? Faut-il imaginer d'adosser l'instance aux conseils économiques et sociaux régionaux ? « Dans une période où le social devient une affaire territoriale, il faut soutenir le CSTS en tant que l'un des derniers bastions de la centralité de l'action sociale, analyse le sociologue Michel Chauvière, président de l'association 7.8.9 Vers les états généraux du social. Il faut explorer des mises en scène à expérimenter entre un Etat qui se démultiplie et les acteurs de la société civile. » Il y a urgence, selon lui, à sauvegarder et à renforcer le pouvoir de cet espace intermédiaire de débat, alors que la DGAS perd elle-même nombre de ses prérogatives et de ses moyens. Et à un moment où le CSTS pourrait être concurrencé sur son propre champ. « Que va-t-il peser face au Conseil national de l'évaluation sociale qui va prendre de l'importance avec la loi du 2 janvier 2002 ? », craint-il encore.

Dans cette perspective, la rencontre du 14 février constitue presque un pari sur l'avenir. « Soit l'on fait du CSTS un conseil moribond, soit l'on en fait un levier du travail social dans son rôle d'observatoire et de partenaire des politiques sociales », estime Christian Chassériaud. Et ce, à un triple niveau : au plan national, territorial et européen. « Car il faut aussi qu'il se prépare à une mission d'expertise en matière de formation au travail social auprès de la Commission européenne », ajoute-t-il. Mais cette ambition nécessite, au-delà de la réflexion, des moyens logistiques et, surtout, un vrai pouvoir décisionnel. Ce qui ne peut passer que par des choix politiques, qui dépassent largement la seule bonne volonté du Conseil supérieur du travail social.

Maryannick Le Bris

LE CSTS, MODE D'EMPLOI

Représentation nationale des acteurs mettant en œuvre les politiques sociales, l'instance consultative apporte son expertise au ministre chargé des affaires sociales sur les questions touchant au travail social et aux formations sociales, assure une veille sur l'évolution des pratiques professionnelles liées à la mise en œuvre des politiques publiques, formule avis, recommandations et propositions à la demande du ministre, notamment par le biais de rapports remis par des groupes de travail. Il émet également un avis sur les orientations du ministre relatives aux principes du travail social, veille au respect de l'éthique et de la déontologie et relaie les observations des usagers et des professionnels. L'assemblée, dont la mandature dure trois ans, est présidée par le ministre chargé des affaires sociales et pilotée par un vice-président élu par ses membres. Le Conseil supérieur du travail social, créé en 1984, en est à sa cinquième mandature. Son secrétariat est assuré par le bureau des professions sociales et du travail social de la direction générale de l'action sociale.

L'ARF « SIÉGERA PLUS ACTIVEMENT »

Depuis le renouvellement des conseils régionaux, deux nouveaux membres ont été désignés par l'Association des régions de France (ARF) pour siéger au Conseil supérieur du travail social : Sylvie Laroche, conseillère régionale (PS) de Franche-Comté et Corinne Feret, vice-présidente (PS) du conseil régional de Basse-Normandie. « La décision a été prise de siéger plus activement, affirme Monique Iborra, vice-présidente du conseil régional de Midi-Pyrénées, chargée du groupe de travail sur les formations sociales et paramédicales au sein de la commission sur la formation professionnelle de l'ARF. Les régions se sentaient auparavant peu concernées, car elles avaient peu de compétences en matière sociale. Mais maintenant qu'elles sont chargées de l'agrément des centres de formation et de leur financement, il est normal qu'elles appréhendent les professions sociales globalement, pas seulement sous l'angle de la formation. Nous ne voulons pas être seulement des signataires de chèques. »

Notes

(1)  Voir ASH n° 2367 du 9-07-04.

(2)  Voir ASH n° 2312 du 23-05-03.

(3)  Voir ASH n° 2393 du 4-02-05.

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