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PREMIER BILAN MITIGÉ POUR LES CEF

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Encore en période de « rodage », les centres éducatifs fermés peinent à trouver leurs marques en tant que structures alternatives à l'incarcération et à s'insérer dans une réponse éducative cohérente.

C'est le 24 janvier, alors que l'agitation médiatique est retombée autour des centres éducatifs fermés (CEF), que le garde des Sceaux a choisi de rendre publics les résultats de l'évaluation de ces structures, prévue par leur cahier des charges et conduite par un comité technique composé de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) et d'un représentant du secteur associatif (1). Créés par la loi du 2 septembre 2002 réformant la justice, ces centres accueillent les mineurs multirécidivistes de 13 à 18 ans placés sous contrôle judiciaire, en sursis avec mise à l'épreuve ou, depuis le 1er janvier, en libération conditionnelle. 11 établissements existent aujourd'hui, dont 9 gérés par le secteur associatif habilité, et 60 au total devraient être créés sur la durée de la loi de programmation pour la justice (2003-2007).

Parmi les 75 mineurs accueillis entre mars 2003 et avril 2004 dans les six premiers établissements ouverts (2), « 51 % n'ont pas fait parler d'eux ». 13 % ont commis des infractions pénales, 35 % ont cumulé infractions pénales et absences régulières, 20 % ont été absents irrégulièrement à plusieurs reprises et 33 % ont dû être incarcérés pendant le temps de leur placement. Des chiffres jugés « encourageants » par Dominique Perben mais qui, pour le Syndicat national des personnels de l'éducation surveillée (SNPES) -PJJ-FSU, ne font que conforter les critiques qu'il formule depuis le départ sur le principe même de ces structures : « On voit bien que la préoccupation du ministre est que ces jeunes ne fassent plus de bruit, commente Maria Inès, membre du bureau national et éducatrice en milieu ouvert. Les professionnels qui suivent ces jeunes à la sortie constatent que leurs problématiques individuelles n'ont pas été résolues. On a seulement effacé pendant un temps les symptômes, en travaillant sur le comportement. De plus, la stigmatisation du mineur qui sort d'un CEF ne facilite pas son orientation vers un établissement classique. » Le lien direct, avancé par le ministre, entre la création de ces structures et la chute du nombre d'incarcération de mineurs entre 2002 et 2004 (passé de 936 à 579), ne convainc pas davantage. « Cette corrélation reste à prouver, estime Bertrand Rouis, secrétaire général de l'UNSA-Syndicat de la protection judiciaire de la jeunesse. D'autres éléments, comme l'attitude des juges, sont aussi à prendre en compte. »

De leur côté, les auteurs du rapport expliquent que ce bilan chiffré, en demi-teinte tout de même, est à relativiser. Les premiers centres, en effet, perçus comme la concrétisation d'une promesse électorale de Jacques Chirac, ont ouvert dans un contexte sensible qui n'a pas facilité leur mise en route. A l'opposition d'une grande partie des travailleurs sociaux s'est ajoutée la réticence des édiles concernés par l'implantation d'un CEF sur leur commune, ainsi que l'agitation médiatique autour des premières fugues. Au final, l'année d'observation, sur un échantillon de structures relativement réduit et en pleine montée en charge, correspond davantage à un « temps de rodage, avec ses tâtonnements et ses nécessaires adaptations ». Ce que reconnaît Michel Franza, directeur général de l'Union nationale des associations de sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence, qui gère la quasi-totalité des centres confiés au secteur associatif : « Les statistiques auront plus de valeur à la fin de 2005, après une année de véritable activité », tempère-t-il.

Toutes précautions prises, ce rapport très nuancé permet de soulever les limites des centres éducatifs fermés, qui peinent pour l'heure à remplir leurs objectifs. Même les premiers ratés, comme au centre de Lusigny, ne sont pas anodins : ils montrent, souligne le comité technique d'évaluation, qu' « aucun projet n'est viable sans valeurs partagées et sans cadre organisationnel rigoureux qui doivent être garantis par les porteurs de projet ». Pour le reste, indique-t-il, même si les premiers CEF ont été lancés dans l'urgence, les conditions formelles de leur création ont été respectées. Avec plusieurs bémols cependant : « l'implication des acteurs incontournables du projet a été peu recherchée (magistrats du siège et du parquet, directeurs départementaux de la PJJ...) et leur avis sur la nature des besoins locaux n'a pas été suffisamment pris en compte dans le cadre d'un diagnostic partagé. » Outre cette faille dans la concertation, « les dispositions de la loi du 2 janvier 2002 relatives à l'inscription nécessaire d'un nouvel établissement dans le cadre d'un schéma départemental n'ont pas été suffisamment respectées ». Tous les centres, en revanche, sont dotés d'un projet d'établissement conforme aux exigences du cahier des charges, dont certains présentent une approche particulièrement approfondie, comme à Saint-Denis-le-Thiboult, qui travaille autour de la dimension familiale.

Autre aspect positif : « l'articulation entre les CEF et les autres services fonctionne ». Les deux tiers des permanences éducatives des juridications concernées par des placements déclarent avoir proposé une orientation dans ce type de structure. Près de la moitié se dit satisfaite de la préparation et de la mise en œuvre des placements. Cette bonne entente n'occulte pas cependant l'hostilité de certains éducateurs à l'égard des CEF. Ainsi, c'est souvent à la demande du juge que l'orientation est effectuée. Un directeur d'établissement rapporte même « qu'il a dû affronter l'hostilité des services partenaires à l'ouverture de l'établissement et que la préparation du placement d'un mineur a entièrement été gérée par le CEF ». L'inadéquation parfois avérée entre les attentes des magistrats et les missions assignées aux CEF pose également problème. Pourtant, « il s'agit bien de mettre en œuvre une action éducative organisée autour d'un module minimal de six mois avec trois phases (accueil-évaluation, programme éducatif intensif, préparation à la sortie) et non de dépanner un magistrat dans le besoin », rappelle le comité d'évaluation.

Des droits globalement respectés

Le rapport se penche aussi sur la mise en œuvre du « bilan global » du mineur, l'un des éléments centraux du cahier des charges. Si la santé physique et psychologique du jeune, son niveau de scolarité et ses aptitudes professionnelles sont toujours méthodologiquement explorées, peu de centres s'intéressent de façon systématique et construite à son environnement social et familial. Plus gênant, les bilans ne « débouchent pas forcément sur la formalisation de projets individuels comportant des objectifs » formellement définis. Ainsi, seuls deux CEF sur cinq élaborent des projets avec des objectifs écrits et un seul le présente dans un document spécifique, conformément à la loi du 2 janvier 2002, remis à la fois au magistrat, au mineur et à sa famille. Le suivi psychologique prend une place importante dans la prise en charge : 80 % des mineurs accueillis, soumis par ailleurs à un volume d'activité important (jusqu'à 35 heures hebdomadaires), bénéficient d'un suivi psychologique individuel ou collectif de une à deux fois par semaine.

Egalement passé au crible : le traitement judiciaire des manquements aux obligations de placement. Alors que le SNPES-PJJ-FSU dénonce « un système qui consiste à incarcérer un jeune non pas pour un délit, mais pour un défaut d'adhésion à un placement », le comité de pilotage rapporte que sur 104 incidents enregistrés, 43 ont été suivis d'effet. « Il n'y a donc pas d'automaticité dans l'enchaînement entre incident, convocation, révocation, incarcération, exclusion définitive du CEF », précise-t-il, pointant que l'objectif est de faire des CEF une alternative à l'incarcération, et non « une antichambre ou une annexe de la prison ». De même, contrairement aux critiques du SNPES, le rapport affirme que « les droits et libertés des mineurs sont globalement respectés ». Mais persistent tout de même « des entorses au droit et à la confidentialité des correspondances téléphoniques et au droit à maintenir des relations avec la famille sous réserve de prescription judiciaire ».

Qu'en est-il enfin des jeunes passés en CEF ? Les bilans de fin de placement (dont la durée est de cinq mois en moyenne), effectués sur 28 mineurs, montrent que 20 d'entre eux ont amélioré leur situation sur le plan du passage à l'acte délictuel. Si des progrès sont notables en matière de savoirs fondamentaux, d'adaptation « aux règles de la vie en société », seuls sept mineurs, en revanche, ont évolué dans leurs relations familiales. Tout aussi mitigés sont les bilans effectués après le placement : les deux-tiers des mineurs sortis du dispositif au 30 avril 2004 ont connu la détention après ou pendant le placement. « Le nombre de mineurs incarcérés ne permet pas aujourd'hui de considérer que le programme parvient à créer durablement les conditions d'une alternative à la détention », pointe le comité de pilotage, qui reconnaît que, de toute évidence, il n'y a pas d'effet mécanique à court terme, ce qui ne constitue pas une surprise ».

Face à cet état de fait, les défaillances dans la prise en charge après le placement sont particulièrement problématiques. Ainsi, « comme il est souvent observé ailleurs, c'est la phase de la préparation à la sortie qui suscite le plus d'insatisfaction, tant du côté des CEF que des éducateurs relais ». Or la création de nouvelles structures est inutile, pointe le rapport, « si la protection judiciaire n'est pas en capacité d'assurer les complémentarités nécessaires ». Constat, ajoute-t-il, qui a d'ailleurs déjà prévalu pour la création des centres éducatifs renforcés (CER).

Comment alors éviter un empilement contreproductif de structures et inscrire les CEF dans une continuité éducative ? Pour le comité technique d'évaluation, il est nécessaire « de repenser les cadres et les contenus de l'ensemble des établissements et services concourant à la prise en charge des mineurs délinquants ». Refondation qui pourrait d'ailleurs, pour le secteur public, s'appuyer sur le décret sur la structuration juridique des services, attendu très prochainement. « Les prises en charge renforcées, contenantes et contraignantes » à l'œuvre dans les CEF et les CER devraient en outre inspirer les autres dispositifs d'hébergement de la PJJ. Le rapport préconise également « de piloter fortement au plan local la mise en cohérence des interventions des différents acteurs ». Et, pour améliorer le fonctionnement des CEF, de « redéfinir les contenus de formation » pour mieux préparer les professionnels aux phénomènes de violence et à la méthodologie d'observation et d'évaluation. La fonction d'éducateur en structure d'hébergement devrait être rendue plus attractive, propose-t-il encore. Les personnels des CEF, âgés en moyenne de 37 ans et majoritairement masculins, sont davantage recrutés, dans le secteur habilité, en fonction de leur parcours « et non prioritairement sur le diplôme d'état d'éducateur spécialisé ». Ce qui selon les auteurs n'a pas d'impact négatif sur la qualité des prestations, mais pose la question de la valorisation de l'expérience en hébergement, « dans le cadre d'une politique de développement de la carrière ».

Maryannick Le Bris

Qui sont les mineurs accueillis ?

Majoritairement âgés entre 15 et 18 ans (avec une forte représentation des 15-16 ans), les mineurs placés en centres éducatifs fermés (CEF) viennent essentiellement des zones urbaines, à 61 %situées dans un département autre que celui de la structure et « présentent pas une typologie particulière en termes de normes socio-économiques ». A ceci près que de graves troubles dans les relations intra-familiales se sont traduits, pour 20 % d'entre eux, par un départ de la cellule familiale.70 % des mineurs placés ont fait l'objet de mesures de protection administrative, 76 % ont été placés au moins une fois avant leur arrivée dans l'établissement. 60 % ont fait l'objet d'au moins trois types de mesures judiciaires différentes (hébergement, milieu ouvert, investigation). 90 % sont multirécidivistes et 30 % étaient détenus au moment de leur placement. Plus de la moitié sont en rupture scolaire depuis plus de six mois. Si leur état de santé général ne paraît pas dégradé, « une polyconsommation de divers produits toxiques est observée dans les bilans médicaux et par les différents professionnels ».

Notes

(1)  Synthèse du rapport d'évaluation du programme expérimental CEF - Novembre 2004.

(2)  Les CEF de Saint-Denis le-Thiboult (Seine-Maritime), Lusigny (Allier), Valence (Drôme), Sainte-Eulalie (Gironde), Beauvais (Oise) et Mont-de-Marsan (Landes).

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