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« Sommes-nous des chefs de rayon ? »

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Les terminologies commerciales s'infiltrent jusque dans les enquêtes officielles envoyées aux établissements du secteur social, constate avec inquiétude Dominique Rolin, directeur du centre départemental de l'enfance de Moselle (1).

« Directeur d'un établissement public accueillant des enfants et adolescents, j'ai reçu il y a quelques jours, comme beaucoup d'autres sans doute, des documents à remplir pour une enquête statistique émanant d'une administration centrale ayant pour but "d'apporter des éléments nécessaires à l'analyse des dispositifs mis en place pour la protection de l'enfance ". Cette enquête nationale s'adresse à "l'ensemble des structures accueillant des personnes en difficulté :foyers de l'enfance, pouponnières, maisons d'enfants, services de placement familial, villages d'enfants, clubs et équipes de prévention, lieux de vie..." Elle comporte deux grands volets d'investigation : l'un concerne l'établissement, son activité et ses personnels, l'autre, je cite, "la clientèle des sections pour enfants et adolescents en difficulté ".

« Je réagis sur le terme "clientèle ".Ayant eu des parents qui, à une époque, avaient été épiciers, je ne peux m'empêcher de faire le rapprochement avec le monde du commerce. Directeurs de ces structures, sommes-nous des chefs de rayon chargés d'accueillir des enfants et adolescents, pardon, des "clients ",susceptibles de trouver dans nos tiroirs des prestations, pardon, des "produits ", à la mesure de leurs attentes, pardon encore, de leurs "besoins de consommateurs " ?

« Evidemment, j'ai conscience d'être provocateur, mais après avoir entendu dans le secteur social siffler les sirènes du monde de l'entreprise - dont le modèle est, nous dit-on, appelé à guider les modes d'organisation de nos établissements -, après avoir beaucoup lu sur la marchandisation du social, je constate qu'il faut désormais, clairement, s'adapter à des logiques et à des terminologies commerciales ! L'emploi du terme "clientèle" dans l'enquête ne saurait être fortuit.

« Au risque d'archaïsme, on peut - et je ne suis pas le seul à le penser - avoir une autre conception de l'action sociale. Les enfants et les adolescents - et toute personne en difficulté - ne sauraient être réduits au statut de "clients ". Je crois encore à celui d' "usagers" et d' "ayants droit ". La contractualisation à outrance de l'action sociale risque une sérieuse dérive si elle s'appuie jusqu'à la caricature sur le modèle commercial. Je crois à l'interactivité, à la co-construction du service rendu entre l'usager et l'établissement.

« Le bien-être ou le mieux-être constitue, dans nos établissements, un élément d'un projet qui vise à améliorer le sort d'autrui : individu en souffrance, exclu, marginal... Si ce bien-être devient un argument de marketing, un slogan pour alimenter le marché du social, alors nous pourrons peut-être être présents sur les catalogues de tourisme, à côté des publicités ventant les vertus de telle ou telle chaîne thermale ou de remise en forme - sans jeu de mots, bien sûr. Et alors, seuls celles et ceux qui pourront se le payer y accéderont ! Les autres ? Allez, il restera bien toujours des bénévoles au grand cœur et, peut être, le service public pour s'en occuper. »

Notes

(1)  Centre départemental de l'enfance de Moselle : 137, route de Plappeville - 57063 Metz cedex 2 - Tél. 03 87 34 64 00.

LE SOCIAL EN ACTION

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