La diffusion du rapport sur la pré- vention de la délinquance du député Jacques-Alain Bénisti (UMP), président de la Commission prévention du groupe d'études parlementaire sur la sécurité intérieure (1), tombe assez mal pour le ministère de l'Intérieur. Alors que ce dernier s'évertue à rassurer les travailleurs sociaux sur les nouvelles orientations de son projet de loi sur la prévention de la délinquance et de la violence, voilà que ce document, que l'élu lui a remis en octobre, met une nouvelle fois le feu aux poudres. « Ce texte, dont la volonté affichée est de contenir la population mise en situation de fragilité (étrangers, familles démunies, jeunes en difficultés scolaires), prévoit tout un arsenal de dispositions dignes d'une société où l'autoritarisme devient la seule loi », fulmine le Collectif national unitaire contre le projet de loi sur la prévention de la délinquance, qui appelle à une manifestation nationale le 3 février.
Le rapport du député - qu'il présente comme préparatoire au projet de loi - surprend à plusieurs égards. Tout d'abord sur le plan méthodologique. En matière de prévention, seul a été interrogé un cabinet privé de conseil, qui explique fonder ses prestations sur la maîtrise des risques... dans le nucléaire. Outre cette curieuse intrusion, aucun acteur social ne figure parmi les personnes auditionnées. Faut-il s'en étonner ? « Nous devons sortir de l'aspect simplement social et caritatif de la prévention pour mettre en place une politique ambitieuse fondée sur une politique d'intérêt général et de résultats », argumente l'auteur en introduction.
Pour mettre en cohérence une politique de prévention « dispersée dans les politiques sociales, de la ville, de la rénovation urbaine, de la famille, de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la justice », il préconise d'agir « très tôt » car « plus les comportements déviants sont résolus tôt, moins nous aurons à déployer de mesures drastiques à la fin de l'adolescence ». Et le député d'illustrer sa théorie sur la prévention précoce par le tracé d'une courbe pseudo-scientifique, et pour le moins caricaturale, « du parcours déviant » : elle commence dès l'âge de 3 ans ( « difficultés de la langue + comportement indiscipliné » ) pour atteindre son paroxysme à 23 ans ( « entrée dans la grande délinquance + trafics de drogues et vols à main armée » ). L'engrenage de la délinquance démarre, selon lui, en particulier avec les difficultés d'apprentissage du français : Si les parents sont d'origine étrangère et même si les pères « exigent le parler patois du pays à la maison », les mères « devront s'obliger à parler le français dans leur foyer pour habituer les enfants à n'avoir que cette langue pour s'exprimer », assène-t-il sans aucune nuance. L'ensemble de son approche relève du contrôle social des populations en difficulté et d'une vision sécuritaire du travail social. Interrogé par les ASH, l'auteur conteste pourtant toute volonté de stigmatisation : « Mes constats sont fondés sur les observations de la police et de la justice, explique-t-il. Si l'on n'opère pas de thérapie dès le plus jeune âge, la courbe de la délinquance progresse. C'est pour cela que je propose que les enseignants détectent, dès les premières années, les difficultés et passent le relais aux médecins et aux services sociaux. »
Jacques-Alain Bénisti propose donc de mettre l'Education nationale au cœur du dispositif de prévention et de créer, au sein de l'institution scolaire, un comité de coordination, d'aide et de suivi de l'enfant en difficulté. Il suggère également d'accroître l'implication des parents en « clarifiant » l'article du code civil sur la responsabilité parentale. Davantage de pouvoir serait donné aux chefs d'établissement pour sanctionner l'absentéisme. Pour les jeunes de 10 ans présentant des difficultés de langage et un comportement indiscipliné, il préconise un placement en « structure spécialisée d'éducation renforcée », et, pour ceux âgés de 16 ans ou plus qui ne seraient pas entrés dans le droit chemin, une orientation vers « des centres de délinquance » adaptés à cette tranche d'âge, qui restent à créer. Autres suggestions, déjà critiquées par les travailleurs sociaux quand elles avaient filtré de l'avant-projet de loi Sarkozy sur la prévention de la déliquance, la coordination de la politique de prévention reviendrait au maire et le secret professionnel serait redéfini.
Le ministère de l'Intérieur, depuis plusieurs mois déjà, explique que la remise en cause du secret ne figure pas parmi ses projets. Tandis que Jacques-Alain Bénisti affirme que « le ministère est en train d'étudier et d'affiner ses préconisations », on tient visiblement, place Beauveau, à garder ses distances. « Le rapport de Monsieur Bénisti n'engage que lui, c'est un élément d'une réflexion d'ensemble que nous sommes en train de mener », indique-t-on au cabinet de Dominique de Villepin. Le ministre attend d'ailleurs prochainement le rapport qu'il a commandé à la sénatrice Marie-Thérèse Hermange (UMP) sur la sécurité des mineurs, qui a d'ores et déjà auditionné plusieurs associations de travailleurs sociaux. Gageons qu'il aborde les problématiques sociales de façon moins réductrice et plus crédible.
M. LB.
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