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Maltraitance des personnes âgées : des plaintes difficiles à faire entendre

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Comment les personnes âgées per- çoivent-elles les faits de maltraitance dont elles sont victimes ? Dans quel cas portent-elles plainte ? Ces deux questions viennent de faire l'objet d'une recherche de la DREES d'autant plus innovante et intéressante que la maltraitance des personnes âgées vulnérables n'a fait que très récemment l'objet d'une prise de conscience collective et qu'aucune enquête nationale officielle n'a encore qualifié ses formes ni mesuré sa fréquence (1). L'étude a puisé à deux sources : une quarantaine de dossiers de plaintes parvenus à la direction générale de l'action sociale et autant d'entretiens menés par des sociologues avec des personnes de plus de 65 ans n'ayant jamais porté plainte (2).

Premier constat : les motifs de griefs sont sensiblement les mêmes, que les faits aient donné lieu à une plainte officielle ou qu'ils soient énoncés au cours des entretiens, et que la personne âgée vive à domicile ou en établissement. Autre évidence :toutes les catégories de proches sont susceptibles d'être mises en cause : la direction, les personnels et les autres résidents dans les établissements, les professionnels de l'aide et les voisins pour le domicile, et la famille dans les deux cas.

Les maltraitances évoquées s'inscrivent mal dans les typologies classiques, qui distinguent entre les violences physiques, psychologiques, financières, médicamenteuses, les négligences actives ou passives et les violations des droits et libertés. Parce que la frontière entre violence physique et violence morale est parfois difficile à identifier et que certains faits, comme la non-prise en compte des capacités ou des handicaps par les aidants, entrent mal dans ces catégories. Les chercheurs proposent donc une autre typologie centrée sur les perceptions des victimes, qui distingue les atteintes à l'intégrité de la personne, à sa dignité et à son autonomie citoyenne.

Brutalité et manque d'égards

Entrent dans la première catégorie les violences physiques caractérisées, mais aussi la brutalité ou la brusquerie dans les gestes, la non-prise en compte des régimes et des goûts dans l'alimentation, l'inattention aux plaintes, le refus ou l'inadaptation des soins, le non-soulagement de la douleur, le manque d'hygiène...

Les actes agressant la dignité recouvrent à la fois les atteintes à la pudeur, liées, par exemple, au manque de discrétion ou d'égards dans l'aide à la toilette ou la gestion de l'incontinence, et les paroles blessantes, humiliantes ou dégradantes. Il peut y avoir aussi « brutalité langagière » dans l'annonce polie mais glacée d'un diagnostic ou d'une décision, ajoutent les auteurs, qui notent que ces atteintes à la dignité s'accompagnent souvent d'un sentiment d'abandon.

La catégorie des atteintes à l'autonomie du citoyen englobe tous les comportements entravant ou réduisant la possibilité « de décider et de choisir par soi-même pour soi-même ». Par exemple, la contention, l'enfermement, le placement forcé, le manque d'aide ou une aide inadaptée, l'absence d'attention aux habitudes de vie (aux horaires du lever et des repas, aux préférences alimentaires...), le manque d'argent, la privation des meubles personnels lors de l'entrée en maison de retraite. Autant de circonstances où la personne a le sentiment d'être assujettie au bon vouloir des professionnels ou d'une organisation collective selon des règles qui lui échappent, de ne pas être traitée en adulte, d'être dépossédée de sa qualité d'humain ou de citoyen (3).

Ces différents types de maltraitance ne donnent pas lieu au même traitement : seuls les vols et les escroqueries financières importantes semblent engendrer une dénonciation systématique. D'autres faits, comme le manque d'aide, de soins ou d'argent, l'isolement pour les personnes à domicile, le placement forcé pour les personnes en établissement, ne provoquent quasiment jamais de signalement. Comment expliquer cette absence de plainte ou de revendication ?, se sont demandés les chercheurs qui distinguent cinq types de réaction.

Ils citent d'abord la « résistance efficace » des personnes qui se plaignent des maltraitances à leur auteur et en obtiennent l'arrêt. Il s'agit exclusivement de sujets peu ou moyennement dépendants, relève l'étude, et qui, souvent, dans le passé, se sont engagés ou ont su « donner de la voix ».

Une violence légitimée

Autre comportement, plus fréquent : la banalisation des maltraitances et même leur légitimation. Certaines pesonnes « s'autodévaluent comme vieilles et malades », évoquent la fatalité ou le destin et ne voient d'ailleurs pas d'alternative à leur situation. Certaines stigmatisent les autres résidents, incriminés comme grossiers ou pénibles, ce qui justifierait la brusquerie ou la mauvaise humeur des aidants. D'autres encore nient la souffrance dans une éthique de résistance au mal, ou parce que ce n'est rien par rapport à ce qu'elles ont vécu par le passé ou par rapport à ce que d'autres vivent dans le monde. La dénégation de la maltraitance peut aussi être une stratégie pour conserver une image positive de soi. S'avouer victime, c'est redoubler l'atteinte à la dignité.

Troisième type de réaction : « le retrait ». Des personnes résignées après avoir été désavouées dans leur plainte antérieure gardent le silence. Quand elles ne craignent pas carrément des représailles, elles se sentent incompétentes, impuissantes, leur parole ayant été jugée illégitime ou sujette à caution.

Quatrième attitude rencontrée : le déni des atteintes et la somatisation. La souffrance morale n'est alors lisible que dans des attitudes, des lapsus, des angoisses, des insomnies, des douleurs générales, une dépression.

Reste la dénonciation publique, la « plainte-revendication » à portée générale. Rare, on l'a vu, et plus facile à exprimer quand il s'agit d'actes reconnus délictuels ou criminels comme les violences physiques. Les atteintes à la dignité et à l'autonomie sont plus difficiles à caractériser et reçoivent moins de réponses. D'autant que la plainte exprimée par une personne âgée est facilement considérée comme disproportionnée, injustifiée ou délirante. Pour être entendu, mieux vaut que le plaignant fasse preuve de « compétence rhétorique » pour exprimer et qualifier les faits dans le vocabulaire médico-social de la maltraitance, souligne l'enquête. Il est donc très exceptionnel que ce soit la victime elle-même qui fasse la démarche. L'initiative revient souvent à un membre de la famille, à un proche ou à un professionnel. « Tout se passe comme si, pour les maltraitances vécues par des personnes âgées plus ou moins dépendantes, il fallait le plus souvent un garant extérieur pour rendre la plainte crédible, audible, légitime. »

M.-J.M.

Notes

(1)  Il n'existe que des évaluations réalisées par des associations comme Alma France.

(2)   « Perceptions et réactions des personnes âgées aux comportements maltraitants : enquête qualitative » - Hélène Thomas, Claire Scodellaro, Delphine Dupré-Lévêque - DREES - Etudes et résultats n° 370 - Janvier 2005 - Disponible sur www.social.gouv.fr.

(3)  Voir aussi, sur ce sujet, les recommandations de la conférence de consensus sur la liberté d'aller et venir dans les établissments, ASH n° 2390 du 14-01-05.

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