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Une « maison accueillante » pour rompre l'isolement

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En misant sur le partenariat et la pugnacité de son assistante sociale, l'association Ikambéré accompagne les femmes originaires d'Afrique subsaharienne touchées par le VIH. Une mission difficile puisque le sida accroît la vulnérabilité sociale de ces publics.

Au nord de Paris, dans un immeuble d'apparence moderne, à deux pas d'un impressionnant nœud autoroutier et le long d'une départementale à fort trafic, a élu domicile l'association Ikambéré (1), nom qui signifie, dans une langue du Rwanda, « La maison accueillante ». Une fois le seuil franchi, la maison porte bien son nom : les murs sont chatoyants, des rires fusent, des femmes vont et viennent. Au milieu d'entre elles, une petite fille s'aventure dans une zone réservée au personnel. Elle est rattrapée par la comptable qui l'embrasse avant de la rendre à sa maman.

Dans une grande pièce claire, remplie de canapés et de tables basses, jouxtant une cuisine, cinq ou six femmes sont assises confortablement et conversent. Certaines déjeunent. De nombreux points communs les rapprochent : à 95 %originaires d'Afrique subsaharienne, elles sont toutes séropositives. Ces caractéristiques sont d'ailleurs la raison d'être de l'association, qui s'est fixé pour mission l'accompagnement des Africaines atteintes par le VIH et qui bénéficie pour cela de nombreuses subventions (2). Ces femmes viennent ici prendre gracieusement un repas chaud et équilibré, essentiel au maintien d'un bon état de santé. Elles profitent aussi de cet espace convivial pour exprimer tout ce qu'elles ne peuvent pas dire dehors, ou même à leur entourage. Elles sont là enfin pour s'informer sur le VIH mais aussi rompre leur isolement autour d'activités utiles et variées animées par des bénévoles et des professionnelles : atelier d'alphabétisation, de couture, espace cuisine et diététique, atelier informatique, cours de yoga et de poterie... La convivialité est ici le maître-mot. Souhaitant aller au plus proche de cette population isolée, l'association essaie de la sensibiliser par des messages et des méthodes adaptés à son environnement socioculturel.

La première fois, les femmes se rendent souvent à l'association avec appréhension. Puis une barrière tombe et elles reviennent régulièrement. Aucun horaire n'est imposé si ce n'est ceux d'ouverture et de fermeture des locaux. Elles sont libres d'aller et de venir. Comme si elles rendaient visite à leurs sœurs ou à leurs cousines, elles sonnent, poussent la porte, s'installent au salon, mangent, causent, rient, pleurent parfois, puis s'en retournent. Certaines passent juste pour déjeuner mais la plupart restent aussi le temps d'un atelier ou d'une conversation. Cha-cun de leurs passages dure en moyenne trois à quatre heures. Au fur et à mesure, elles prennent confiance puis trouvent les ressources pour déposer enfin leur fardeau, partager leurs expériences et exprimer leurs angoisses. Pouvoir parler à quelqu'un - qui plus est à une autre femme dans une situation similaire - en toute confiance, c'est déjà beaucoup. « Seules trois personnes connaissent mon problème, dit l'une d'elles, Dieu, le médecin et Ikambéré. »

La dernière analyse des données montre que, lors de son premier accueil, l'usagère type est une jeune femme de 26 à 35 ans (60,69 %), originaire d'Afrique subsaharienne, domiciliée dans la Seine-Saint-Denis ou à Paris, en situation administrative précaire, n'exerçant pas d'activité professionnelle (dans plus de 92 % des cas) et, de surcroît, hébergée par des amis ou de la famille. « J'ai coutume de dire que les femmes que nous suivons, avance Diane Diallo, l'assistante sociale d'Ikambéré, présentent une triple vulnérabilité : femmes, migrantes, atteintes par le VIH. » Elles viennent grâce au bouche à oreille ou accompagnée d'une des cinq médiatrices de santé de l'association chargées d'intervenir en milieu hospitalier et de faire le lien entre le personnel soignant et les malades et entre les malades et l'association.

Un toit, des papiers en règle et un travail

Dès lors qu'elles passent le seuil d'Ikambéré, démarrent une prise en charge globale et un accompagnement personnalisé. Toute nouvelle entrante est reçue individuellement par l'assistante sociale. « Sur rendez-vous ou non, elle est accueillie, écoutée et soutenue car nous trouvons très important de recevoir en priorité celle qui fait le pas pour la première fois. » Grâce à sa grille d'entretien, Diane Diallo conduit ce temps d'échange de manière orientée et passe en revue le suivi médical de la personne, sa situation familiale, ses conditions financières et les raisons de sa venue. « Notre entretien me permet de répertorier ses besoins et de les classer. Puis, de concert avec elle, un projet d'accompagnement est mis en place », explique l'assistante sociale. « Très souvent, la première demande concerne l'hébergement. Puis viennent la recherche d'aides financières et les difficultés face aux démarches administratives. » Ces démarches peuvent concerner une autorisation de travail ou l'aide médicale de l'Etat (AME). C'est le cas, par exemple, de cette maman d'un bébé de six mois, dont la première demande d'AME est partie en avril 2004. Cinq mois plus tard et en l'absence de réponse, elle a alerté Diane Diallo, qui a lancé une recherche auprès de la préfecture et de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS). Aucune trace de sa demande n'a été retrouvée. Elle en a formulé une seconde en septembre. Toujours pas de nouvelles. Diane Diallo est intervenue et a découvert que la préfecture attendait une réponse de la DDASS, qui elle-même ne trouvait pas trace du dossier médical. Elle a mené l'enquête de ce côté et s'est rendu compte que le médecin chargé de remplir le dossier avait omis de le faire... En apprenant cela, cette mère de famille fond en larmes.

Aider ces femmes à trouver un travail fait aussi partie de la mission de l'association Ikambéré. Dans ce domaine, les difficultés sont multiples : manque de qualification, expérience insuffisante, diplôme non reconnu, problèmes psychologiques ou de santé... Alors l'assistante sociale accompagne les femmes dans leurs démarches d'insertion professionnelle et les oriente vers des formations appropriées ou vers des projets pouvant correspondre à leurs attentes.

La force du service social de l'association repose largement sur les partenariats que Diane Diallo a su tisser avec d'autres associations, les services sociaux associatifs ou hospitaliers et les administrations. Elle n'hésite pas à décrocher son téléphone pour savoir où en sont les demandes, pour proposer une répartition des tâches entre services sociaux, pour solliciter un hébergement ou une aide financière pour une formation.

Travailler efficacement, c'est travailler ensemble. Une limite pourtant. « Cer-taines assistantes sociales ont tendance à renvoyer toutes les femmes africaines touchées par le sida vers notre association. Alors que je préconise un partenariat où chacune s'engage à faire une partie du travail », insiste Diane Diallo.

Son efficacité tient aussi au fait que le travail social d'Ikambéré ne repose pas uniquement sur elle, mais sur une équipe. Toutes, quelles que soient leurs fonctions dans la maison, concourent à accompagner les femmes dans leur accès aux droits sociaux. Une des médiatrices l'aide, deux jours par semaine, à remplir les différents dossiers. Quand un entretien individuel déborde en temps et en émotion, Aimée-Florence Bantsimba-Keta, l'animatrice chargée d'assurer les ateliers, prend le relais et prolonge l'entretien dans son bureau. Quand, dans le salon, l'affluence est à son comble et que de trop nombreuses femmes attendent d'être reçues par l'assistante sociale, Bernadette Rwégéra, la directrice, prête aussi main forte.

Convaincue que « les problèmes sociaux réclament une réponse sociale et professionnelle », Bernadette Rwégéra a fait le choix d'employer une assistante sociale à plein temps. « Avant l'arrivée de Diane, nous faisions aboutir des dossiers mais pas avec ce même professionnalisme. Pour être crédible, il était important que nous nous dotions d'une spécialiste. Elle est notre docteur social », témoigne Aimée-Florence Bantsimba-Keta.

Aliona Darzon

UN ESPACE D'ÉCOUTE ET DE RENCONTRE

En 1995, Bernadette Rwégéra, l'actuelle directrice de l'association, soutient son mémoire de DEA d'anthropologie sur « Les femmes et les enfants immigrés d'Afrique subsaharienne vivant en Ile-de-France face au VIH ». A l'occasion de ce travail, elle comprend l'isolement et la souffrance de ces femmes et prend la mesure du processus d'exclusion qu'elles subissent. Elle décide de créer un espace d'écoute, de parole et de rencontre, « un lieu où elles viennent, se posent et disent ce qu'elles ont envie de dire », résume-t-elle. C'est sur cette idée que voit le jour, le 2 janvier 1997, Ikambéré. A sa tête, Bernadette Rwégéra, accompagnée de deux autres salariées, toutes officiellement à mi-temps. Aujourd'hui, l'association compte 16 salariés et accueille, en moyenne, une trentaine de migrantes chaque jour. Au cours de ces huit années de fonctionnement, quelque 950 femmes se sont rendues à Ikambéré. En 2004, plus de 170 y ont été reçues pour la première fois.

LES FEMMES D'AFRIQUE SUBSAHARIENNE PARTICULIEREMENT EXPOSÉES

En 2003, près de 5 millions de personnes ont été nouvellement infectées par le VIH, le chiffre annuel le plus haut depuis le début de l'épidémie (3). A l'échelle mondiale, le nombre de personnes vivant avec le VIH continue d'augmenter. L'Afrique subsaharienne a la prévalence la plus élevée du monde et doit faire face à l'impact démographique le plus important. 25 millions de personnes vivraient avec le virus dans cette partie du globe. La prévalence continue d'augmenter dans certains pays comme Madagascar et le Swaziland mais recule à l'échelle nationale en Ouganda. En décembre 2003, les femmes représentaient près de 50 % de toutes les personnes vivant avec le VIH dans le monde, et 57 % en Afrique subsaharienne. Une proportion que l'on retrouve en France : selon l'Institut national de veille sanitaire, les femmes, majoritairement d'Afrique subsaharienne, représentent presque la moitié des nouveaux diagnostics en 2003-2004. D'ailleurs, le nouveau programme de lutte contre le VIH/sida pour 2005-2008, lancé par Philippe Douste-Blazy en décembre, prévoit de cibler des actions de prévention sur certains publics prioritaires dont les migrants originaires d'Afrique subsaharienne (4).

Notes

(1)  Ikambéré : 39, boulevard Anatole-France - 93200 Saint-Denis - Tél. 01 48 20 82 60.

(2)  DDASS 93 et DASS de Paris, Drassif, direction générale de la santé, conseil général, conseil régional d'Ile-de-France, CPAM de Bobigny, Mairies de Paris, de Saint-Denis et de Bagnolet, Préfecture de Bobigny, Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, Droits des femmes, Ensemble contre le sida, Solidarité Sida...

(3)  Source : Rapport sur l'épidémie mondiale de Sida - ONUSIDA 2004.

(4)  Voir ASH n° 2384 du 3-12-04.

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