Rénover un habitat dégradé, mais aussi permettre aux populations démunies de se réapproprier leur logement et de reprendre en main leur existence en se découvrant « capables de faire » : tel est le double intérêt de l'autoréhabilitation accompagnée du logement (1). Un outil original de lutte contre l'exclusion qui permet à des personnes en difficulté de réaliser elles-mêmes des travaux d'amélioration de leur maison ou de leur appartement. « L'habitat est un formidable outil pour rebondir et se restructurer », constate ainsi Bruno Six, de la Fondation Abbé-Pierre, qui soutient depuis une dizaine d'années ce type d'opérations. Dans une société où les « processus d'intégration des savoir-vivre et du savoir-habiter » sont en panne, les chantiers d'autoréhabilitation permettent « de remettre la personne en capacité technique et symbolique de s'approprier son habitat », explique Daniel Cérézuelle, sociologue de l'action sociale et de l'exclusion au Programme autoproduction et développement social (PADES), une structure qui vise notamment à promouvoir l'autoréhabilitation (voir encadré, ci-contre).
L'intérêt de l'autoréhabilitation s'avère en effet pluridimensionnel. Celle-ci engendre un meilleur confort technique (amélioration matérielle effective et durable, acquisition d'une pluralité de savoir-faire facilitant notamment l'entretien, la maîtrise de l'énergie, ou encore la prévention des risques sanitaires) tout en favorisant l'insertion sociale (possibilité de redémarrer un projet en panne, transformation du regard porté sur le logement et la famille, restauration de l'image de soi...). « Un travail par soi, pour soi, mais qui met en relation », résume Daniel Cérézuelle. « Il faut voir la satisfaction d'un père quand il dit à son fils "tu vois, c'est ton père qui a fait cela " », témoigne Jean-Pierre Bachowicz, responsable de l'association Habitat Solidarité à Saumur, qui met en route une dizaine de chantiers par an (2). Cette structure accompagne principalement des propriétaires pauvres, dont l'habitat n'a cessé de se dégrader. « En milieu rural, le propriétaire occupant pauvre est un public oublié, rappelle Bruno Six. En raison du tabou sur la propriété, il est invisible pour les travailleurs sociaux. »
Depuis près d'une dizaine d'années, les praticiens de l'autoréhabilitation interviennent aussi bien en milieu rural qu'en ville, et soutiennent les propriétaires comme les locataires. Mais, comme le déplorent les promoteurs, ces initiatives demeurent souvent fragiles, émiettées et pâtissent d'un manque de reconnaissance et de soutien de la part des pouvoirs publics. Il faut dire que pendant des années, l'autoréhabilitation accompagnée du logement ne soulevait guère l'enthousiasme. « Tout le monde était obsédé par le chômage, constate Daniel Cérézuelle. Il fallait absolument remettre les gens au travail. Cela a éliminé en partie les autres objets des politiques d'insertion. Or il faut absolument encourager d'autres types d'activités productrices. » La commune des Mureaux, en région parisienne, est l'une des rares, avec Perpignan, Bordeaux et Le Havre, à soutenir des expériences d'autoréhabilitation accompagnée du logement. En collaboration avec le PADES, ces quatre partenaires prévoient d'ailleurs, à l'aune de leurs expériences, d'éditer un guide méthodologique à la fin de l'année 2005. Albert Bischerour, adjoint au maire des Mureaux, chargé de la politique de la ville, se présente comme un « convaincu » : « Au début, je pensais qu'il s'agissait d'un nouveau gadget de la politique de la ville, se souvient-il. Mais les chantiers d'autoréhabilitation ont vraiment créé du lien social. Je souhaiterais que les quatre villes puissent former un comité et aillent défendre le projet au plus haut de l'Etat. »
Les projets d'autoréhabilitation engagés depuis deux ans aux Mureaux, en collaboration avec l'Association des compagnons d'Ile-de-France (ACIF) (3), sont intégrés dans le programme d'initiative communautaire Urban et l'aide européenne aux villes en difficulté. « Mais ces financements s'arrêtent en 2006, prévient Albert Bischerour. Il faut désormais que le projet puisse rentrer dans une politique sociale de l'habitat plus vaste. »
Sur le terrain, l'ACIF propose, deux fois par semaine, des ateliers d'entretien et de remise en état du logement (papier peint, sanitaires, parquets...). « C'est là que des liens vont se créer, explique l'adjoint au maire . Nous sommes aussi en contact avec la direction des affaires sanitaires et sociales, la caisse d'allocations familiales, les services sociaux, les espaces de quartier pour repérer les familles dans le besoin. Car aucune d'entre elles ne va venir d'elle-même. »
Une coordinatrice sociale prend ensuite contact avec la famille, et tente progressivement d'instaurer une relation de confiance. « Ces gens sont reclus et rechignent à recevoir chez eux », poursuit Albert Bischerour. Les travaux à mettre en œuvre sont ensuite évalués en concertation avec la famille, qui participe financièrement à l'achat des matériaux à hauteur de 10 %. Un encadrant technique prend le relais pour la réalisation des travaux, en partenariat avec les bénéficiaires. « Pour la plupart, il s'agit de femmes seules avec enfants, explique Pascal Quijoux, directeur de l'ACIF. C'est là que l'entraide prend tout son sens : la famille et les voisins viennent les épauler. » A l'issue du chantier, ces familles peuvent ensuite renouer le lien avec les services sociaux. « L'atout de ce dispositif, c'est que le travailleur social entre de plain-pied dans le quotidien des familles qui n'ouvrent pas facilement la porte, estime Michel Méry, président du comité habitat à la Fon-dation de France. Le passage du technique au social permet de mieux régler les problèmes car les gens se livrent plus facilement. »
Mais favoriser, au-delà du bénéfice matériel, l'insertion sociale ne s'improvise pas. En amont et en aval du chantier, l'autoréhabilitation nécessite un accompagnement de qualité. Muriel Derouard, chargée de l'évaluation au PADES, préfère ne pas s'en tenir à une logique chiffrée : « Dans le bilan des actions, on s'imagine que le nombre qu'on annonce est un critère pertinent. Mais si on en reste à une logique de moyens, on finit par ne faire que de l'embellissement. Il faut toujours revenir au projet social défini au préalable et ne pas exclure les publics les moins mobilisables et les moins visibles. »
Cette dimension qualitative pose la question de la formation du coordinateur social et de l'encadrant technique. « Le poste d'animateur technique d'insertion par l'habitat n'existe pas, constate Jacques Matelot, des Compagnons bâtisseurs de Bretagne. Peu de formations existent car c'est un profil atypique, à la fois technique et social. C'est d'abord un professionnel du bâtiment qui va faire le diagnostic technique et assurer la sécurité du chantier, mais il doit aussi avoir une approche pédagogique. Pour tous les travaux que la famille peut réaliser elle-même, l'animateur technique doit savoir se mettre en creux. » Il peut parfois arriver que l'encadrant technique et le coordinateur social soient une seule et même personne. « Mais ces gens-là sont rares, tranche Michel Néry, directeur du Pact des Yvelines. D'autant que ces deux fonctions peuvent relever de financements et de diplômes différents. » Pour Vincent Courouble, directeur de l'Association départementale des maisons pour l'insertion, à Amiens (4), la notion de « travailleur social en bâtiment » reste encore à inventer...
Autre difficulté de taille, pour mener à bien un chantier d'autoréhabilitation, le montage financier des opérations. « Les financements ont été mis en œuvre de manière plus ou moins expérimentale, poursuit Vincent Courouble. Il faut désormais trouver des solutions plus pérennes. » Car l'autoréhabilitation ne s'inscrit pas dans une case pré-établie. « Elle peut dépendre de nombreux financeurs : l'action sociale, la politique de la ville, la démocratie participative, l'insertion sociale... », constate Jacques Matelot.
A Saumur, l'association Habitat Solidarité, dont l'action s'inscrit dans le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées, reçoit des financements multiples. Pour un chantier de 15 000 €, 40 % des fonds sont apportés par la famille bénéficiaire, 28 % proviennent de l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH), 22 % du conseil général de Maine-et-Loire et le reste de diverses subventions, notamment de la caisse d'allocations familiales et du centre communal d'action sociale. « Le montage de demande d'aides financières est donc très lourd, regrette Jean-Pierre Bachowicz. Il nous faudrait des modes de financement plus souples. »
Mais la reconnaissance publique de l'autoréhabilitation tarde à venir. D'où les propositions formulées par la Fon-dation de France et la Fondation Abbé-Pierre : faire de l'autoréhabilitation un outil central des politiques de l'habitat, prendre en charge le coût des matériaux et de l'ingénierie d'accompagnement par des financements publics (Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat, Fonds de solidarité logement, politique de la ville...), encourager et organiser des financements privilégiés adaptés à la précarité des ménages (prêts bonifiés, taux garantis par des fonds spécifiques), accompagner la diffusion de la démarche par la formation et le tutorat des acteurs locaux, et, enfin, prévoir des supports de communication pédagogiques efficaces (films, campagnes d'information). Voilà qui permettrait vraiment, selon les acteurs de terrain, de faire de l'autoréhabilitation un outil de développement local.
Florence Pagneux
Le Programme autoproduction et développement social (PADES) est une association créée en 2002 pour promouvoir les initiatives d'autoproduction (jardins de développement social, autoréhabilitation, autoproduction) et les transformer en une démarche cohérente aux méthodes d'action mieux définies afin de favoriser leur soutien par des politiques publiques. L'association édite une série d'enquêtes de terrain, des évaluations d'actions et propose des guides méthodologiques. Elle a réalisé un guide pratique pour la Fondation de France, intitulé Se reconstruire en améliorant son logement ?L'autoréhabilitation, un outil de développement social (disponible auprès de la Fondation de France - 12 € - Tél.01 44 21 31 00). Site du PADES :
(1) La Fondation de France a organisé sur ce thème, le 19 novembre dernier à Paris, un colloque intitulé « Se reconstruire en améliorant son logement » - FDF : 40, av. Hoche - 75008 Paris - Tél. 01 44 21 31 00 - Fax : 01 44 21 31 01.
(2) Association Habitat Solidarité : 191, boulevard Henri-Dunand - 49400 Saumur - Tél. 02 41 50 25 06.
(3) Association des Compagnons d'Ile-de-France (ACIF) : 6, chemin du Bout-du-Large - Z. I de la Grosse-Pierre - 78540 Vernouillet - Tél. 01 39 71 07 64.
(4) L'Association départementale des maisons pour l'insertion (ADMI) met notamment en œuvre des opérations de réhabilitation au profit des locataires et accédants à la propriété en difficulté - ADMI service logement : 25, rue Riolan - 80000 Amiens - Tél. 03 22 71 77 00.