Malgré ses aspects restrictifs, cette loi a été une conquête sociale considérable, donnant aux femmes le droit de disposer de leur corps, donc de leur vie, en choisissant d'avoir ou non des enfants. C'est aussi une grande avancée en termes de santé publique, qui a permis de mettre fin à une immense hypocrisie en même temps qu'aux complications et aux drames liés aux avortements clandestins. Aujourd'hui, l'avortement est un acte médical à très bas risque quand il est correctement effectué.
Mais cet anniversaire est aussi l'occasion de dire que des freins subsistent et que ce droit conquis de haute lutte n'est pas définitivement acquis. Ce n'est pas un hasard s'il a fallu attendre trois ans certains décrets d'application de la loi de 2001 qui améliore le texte de 1975. Les oppositions sont plus insidieuses qu'autrefois, mais elles restent très actives, en France comme en Europe ou aux Etats-Unis.
Le premier est contenu dans les termes mêmes de la loi qui ouvre aux médecins une clause de conscience opposable à la demande des femmes. Ce qui a autorisé les pratiques restrictives, pour ne pas dire l'obstruction, de nombreuses structures hospitalières. Le droit d'avorter est plutôt une autorisation d'avorter, sans que les femmes aient la garantie que leur demande va aboutir, les praticiens n'ayant pas l'obligation d'y répondre.
Autre obstacle de taille : la contraception et l'avortement ne donnent toujours lieu qu'à deux heures d'enseignement au cours des sept ans que durent les études médicales!
Un autre risque se profile, celui que les centres d'IVG soient pris dans la tourmente de la régression des budgets des hôpitaux publics. Ceux-ci seront conduits à réaliser les actes rentables alors que le forfait attribué pour l'IVG est inférieur au coût réel de l'intervention. Sans compter que, sur fond de pénurie globale de personnels qualifiés, les effectifs risquent d'être orientés ailleurs.
La technique a fait la preuve de son efficacité et de son innocuité. Sa diffusion par la médecine de ville doit permettre, face aux délais d'attente inacceptables imposés par certains hôpitaux, à un plus grand nombre de femmes d'y accéder avant la fin des cinq semaines d'aménorrhée. La méthode offre aux femmes un meilleur respect de leur intimité et favorise leur autonomie. Mais sa diffusion passe par la formation et la responsabilisation des médecins de ville et la mise en place de réseaux ville-hôpital. Car il ne s'agit pas de laisser les femmes à leur solitude. La pratique de l'IVG reste la mission des établissements de santé qui doivent offrir le choix entre les techniques médicale et instrumentale et accompagner les femmes dans leurs difficultés sociales ou psychologiques éventuelles.
C'est un fait. Avant la loi Veil, il y en avait sans doute autour de 400 000. Les femmes n'ont pas banalisé l'avortement comme méthode de contraception, comme le prédisaient certains opposants. Mais il n'existe aucune contraception parfaite et parfaitement utilisée. Sur leurs 35 ans de vie fertile - 30 ans si l'on décompte le temps de deux maternités -, les femmes ont parfois « envie de souffler », connaissent des oublis, des arrêts intempestifs. Nous ne sommes pas des robots.
Alors, bien sûr, il faut développer les campagnes d'information sur la contraception - il n'y en a pas eu depuis 2001- et surtout former les médecins à une approche individuelle, à une écoute en finesse. Mais il ne faut pas feindre d'ignorer les limites de la contraception. Les Françaises comptent déjà parmi les Européennes qui utilisent le plus les méthodes contraceptives efficaces et qui font aussi le plus d'enfants. Les démographes en conviennent désormais : il subsiste sans doute un nombre d'avortements incompressible. Il faut dédramatiser et cesser de culpabiliser. La question fondamentale, c'est que les femmes aient les enfants qu'elles désirent.
Propos recueillis par Marie-Jo Maerel
(1) ANCIC : 48, route Nationale - BP 14 - 37390 La Membrolle - Tél. 02 47 42 55 31.