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Oser promouvoir la liberté d'aller et venir des usagers

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Dans les institutions sanitaires et médico-sociales, les entraves à la liberté d'aller et venir des personnes accueillies sont multiples. Au nom du principe de précaution ou d'autres justifications :manque de moyens, vie collective, protection de l'usager... Comment permettre aux équipes d'assumer, en connaissance de cause, la prise de risque inhérente à la reconnaissance de la citoyenneté des résidents ?

Avoir pour tout espace de circulation, pour seul horizon quotidien, l'enceinte de son institution, quand ce n'est pas celle de sa chambre, c'est ce que vivent 45 % des 660 000 usagers hébergés en établissements pour personnes âgées, pour enfants ou adultes handicapés, dans des structures de soins psychiatriques ou des unités de soins de longue durée. Parmi eux, 15 % ont l'interdiction de sortir. Une réalité troublante décelée par l'enquête Handicaps Incapacités Dépendance de l'INSEE (1), qui atteste en outre que seuls 20% des résidents franchissent « assez souvent et sans aide » la porte de leur établissement. Ainsi, même les 55 % de personnes qui n'y vivent pas confinées ne jouissent pas toutes parfaitement de leur liberté d'aller et venir.

Sur le terrain, multiples sont les entraves au plein exercice du droit de circuler, pourtant fondamental. Non facilité par des choix architecturaux ou des contraintes, plus ou moins justifiables, inhérentes à la vie en collectivité, il est souvent empêché pour des motifs thérapeutiques ou de protection des personnes. Le bien-fondé de ces entraves, qui tendraient à s'alourdir, suscite cependant les interrogations de nombre de professionnels des champs sanitaire, social et médico-social confondus par la discordance patente entre le droit, les principes éthiques et la réalité des pratiques. La liberté d'aller et venir semble en fait rarement la priorité, comme l'ont montré les débats organisés, les 24 et 25 novembre à Paris, lors de la conférence de consensus sur le sujet (voir encadré).

Une première difficulté concernant ce principe -qui possède une valeur constitutionnelle et est décliné dans des textes généraux (code civil, pénal) ou spécifiques (code de l'action sociale et des familles, charte des droits et libertés de la personne accueillie) - tient à l'ambivalence même du droit objectif. En effet, il revient à ce dernier « de protéger les libertés de la personne accueillie comme de veiller à ce que les effets pervers de la liberté ne lui nuisent pas », rappelle François Vialla, directeur du Centre européen d'étude et de recherche droit & santé (Montpellier I). La liberté d'aller et venir est donc un objectif à faire respecter, mais des principes fondamentaux concurrents, tel le droit à la sécurité (des tiers, voire sanitaire), lui sont parfois opposables. Or, sur fond de judiciarisation de la société, il semble s'opérer « un glissement subtil de la notion de responsabilité fondée sur la faute vers une responsabilité fondée sur le risque », résume Alain Villez, conseiller technique de l'Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux. Ce que confirme Claudine Badey-Rodriguez, psychologue exerçant auprès de personnes âgées dépendantes : « Il y a une hantise permanente du risque de mise en cause de la responsabilité. De plus en plus de directeurs disent ne pas vouloir de problèmes et transmettent cette crainte aux personnels. » Au final : par précaution, « la sécurité prime sur la liberté ».

Grands sont dès lors les risques de dérive. « Cela se traduit par un déni de la citoyenneté des résidents, mais aussi de leur autonomie, impossible sans prise de risque », estime Alain Villez. « Les risques accidentels susceptibles d'engager plus facilement la responsabilité des personnels et de l'institution ont tendance à être surévalués. A l'inverse, les risques de perte d'intégrité physique, sociale... des personnes sont minimisés. » Ainsi, pour empêcher les « fugues », des établissements adoptent des systèmes électroniques. Pour illustration, dans l'un d'eux, déplore Claudine Badey-Rodriguez, « il a été décidé que les résidents à risque devraient porter un bracelet déclenchant une sonnerie en cas de franchissement du portail. Or aujourd'hui, il est posé de plus en plus rapidement. » Parallèlement, rien n'empêche l'intrusion de résidents désorientés dans la chambre d'autres résidents. « La violation de l'intimité est prise comme un mal nécessaire. Là, il n'y a pas de risques pour les personnels ni pour l'institution... » Pour parer à d'éventuelles chutes ou agressions, les actes de contention semblent eux aussi se banaliser. « Nous avons une cellule conjointe Etat-département et pas un mois ne se passe sans que l'on évoque des situations de confinement, de contention, voire de harnachement », s'alarme Jérôme Guedj, vice-président du conseil général de l'Essonne en charge de l'action sociale. Non discutées au départ au sein des équipes, maintes mesures de contrainte, rarement réévaluées, perdurent.

Pour limiter décisions arbitraires et dérapages, des précautions doivent être prises. Beaucoup estiment qu'un débat devrait s'installer au sein des équipes médico-sociales, souvent traversées par des logiques contraires, afin d'aboutir à des décisions collégiales. En atteste notamment Janine Calvi de l'Association des paralysés de France (APF)  : « C'est par une réflexion approfondie que le dilemme permanent liberté-sécurité a pu être apaisé » dans un des établissements de l'association. A l'origine, le cas de M. R. se rendant souvent au village en fauteuil électrique : il avait été par deux fois retrouvé ivre, gisant à terre au bord d'une rivière. Cette mise en danger a été fortement discutée. « Pour les soignants, notre obligation de soins devait se traduire par des mesures de contrainte : interdiction de sortir, voire retrait du fauteuil roulant ; pour les intervenants sociaux devaient primer le choix et la liberté de M. R., avec l'acceptation d'une prise de risque défendue comme le prix à payer au projet d'établissement, qui vise l'autonomie, la participation des résidents à la vie sociale. » Le principe de la liberté de circuler, édicté dans la charte des usagers des structures d'hébergement de l'APF, a été rappelé, puis « l'engagement de l'établissement s'est centré sur les conditions de sa mise en œuvre ». Notamment, les soignants font un travail de promotion de la santé en incitant M. R. à prendre conscience de ses conduites à risque.

Mais pour articuler les pratiques, gérer les incertitudes, s'interroger sur la prise de risque et échanger, encore faut-il avoir du temps. « On a de moins en moins les moyens d'un travail en équipe !, se désespère Catherine Badey-Rodriguez. Il y a un tel décalage entre ce qu'il faudrait faire et ce qu'il est possible de faire que le défaitisme gagne. En gros, c'est : "A quoi bon se poser de telles questions quand on n'arrive même pas à instaurer des pratiques acceptables pour la dignité des personnes !" Que vaut la liberté d'aller et venir face aux quelques minutes que l'on a pour faire la toilette, donner à manger... ? » Les professionnels réclament donc le recrutement de personnels, nombreux et bien formés, pour permettre un accompagnement humain et favoriser les déplacements, ainsi que des séquences de supervision.

Une clarification des attentes quant à la liberté d'aller et venir est également incontournable. Pour ce faire, il faut établir des procédures et les formaliser, et impliquer les premiers concernés :usagers et familles, en les écoutant et en faisant œuvre de pédagogie. La recherche du consentement doit notamment permettre de mieux délimiter la mission de l'institution et autoriser un partage des risques. « Les familles veulent la meilleure prise en charge possible mais aussi la prévention de tous les risques et font pression sur les personnels et les dirigeants, constate Alain Villez. C'est d'ailleurs à leur demande que certaines contentions sont posées. Il faut donc pouvoir leur expliquer que les institutions ne peuvent tout faire et qu'elles ont aussi à respecter un projet de vie, d'établissement. » La voie de la contractualisation est défendue par divers acteurs. C'est le cas de Marie-Dominique Lussier, gériatre au centre hospitalo-universitaire de Poitiers : « Oui, un contrat est indispensable car il oblige chaque signataire à clarifier ses attentes en les confrontant aux moyens dont il dispose. Oui, l'entrée en institution peut nécessiter des réductions de liberté de déplacement car il existe une prise de risque réelle que le contrat pourra contenir et faire évoluer favorablement. » C'est en effet par ce biais, analyse François Vialla, « en associant le résident ou ses représentants à la prise en charge, que peut se jouer l'équilibre entre les objectifs apparemment opposés de liberté et de sécurité. Un résident peut renoncer à un droit s'il y a une contrepartie. » S'ils n'ont pas la liberté de consentir, les mineurs, les majeurs sous protection... n'ont pas pour autant à être écartés des décisions. « Ils ont le droit d'être informés et de façon adaptée à leurs capacités mentales », insiste la juriste Nathalie Lelièvre.

Vers un aléa médico-social ?

Enfin, pour promouvoir le respect de la liberté d'aller et venir, il semble urgent d'éclaircir les responsabilités juridiques. « Il faut rassurer les personnels, affirme l'avocat Gilles Renaud. Les poursuites pénales n'interviennent que lorsqu'il y a un non-respect délibéré des lois et règlements. Les rares affaires qui ont eu lieu concernent des comportements pathologiques, des cas de maltraitance. Il n'y a donc rien à craindre de cette judiciarisation dont on nous parle tant, ni d'ailleurs de la responsabilité civile, puisque c'est celle des établissements, des associations, qui est alors mise en cause. » Grand étant néanmoins le danger qu'une institution se sentant menacée fasse pression sur ses personnels, des interrogations se font jour sur l'intérêt de créer un « aléa médico-social », au même titre que l'aléa thérapeutique, pour faire assumer le risque à la collectivité. N'est-elle pas en effet fautive quand elle n'investit pas dans les moyens nécessaires au respect des libertés ? Lorsqu'elle impose un établissement inadapté faute de places ou ne favorise pas la prise en charge des personnes à domicile ?Lorsqu'elle œuvre contre l'implantation de certains établissements, en particulier ceux privilégiant l'ouverture sur l'extérieur, par peur de leurs populations ? « Il y a urgence à porter le débat sur la place publique, résume Catherine Badey-Rodriguez. Les questions éthiques concernent tous les citoyens. »

Florence Raynal

LES REPRÉSENTATIONS COLLECTIVES IRRIGUENT LES PRATIQUES PROFESSIONNELLES

« Les restrictions de liberté ne sont possibles que parce qu'elles se construisent sur une représentation négative des personnes aidées », affirme Michel Billé, sociologue et directeur adjoint de l'Institut régional de travail social de Poitiers. Quelle meilleure preuve en trouver que le langage ? Ainsi, s'interroge-t-il, quand on enferme quelqu'un dans une « unité pour déments déambulants », le nom du service n'est-il pas plus enfermant encore que la clé ou le digicode ? Et de s'insurger : « Comment, dans des établissements pour personnes âgées, ose-t-on parler de "pensionnaires ", ou de "fugues" s'il n'y a pas captivité ; "d'internat ", dans des foyers d'adultes en situation de handicap ; de "permissions" de sortir... ?Cette forme d'enfermement-là est fondamentale. Les autres, dans les murs de l'institution, n'en sont que des conséquences. » Les restrictions de liberté ne peuvent en outre exister, analyse-t-il, que « parce qu'elles se développent au cœur du paradoxe de l'aide contrainte » - la sécurité en est alors le ressort principal -, mais aussi car « elles sont socialement autorisées et construites », sans quoi elles ne dureraient pas. « Tout est bon pour justifier l'injustifiable : le manque de moyens financiers, de personnels qualifiés, de places, le droit du travail, la vie collective et ses obligations, les règlements, les circulaires..., énumère-t-il. Mais ces justifications masquent une question plus grave : qu'attendons-nous des institutions où l'on place certains d'entre nous ? De tout ce système social et médico-social auquel nous déléguons une part de nos obligations envers nos semblables ? » C'est ainsi, selon lui, parce que nous autorisons collectivement les institutions à malmener la liberté des personnes qu'elles peuvent le faire. Comment ? En considérant que certains ne sont plus tout à fait nos égaux, en intégrant un peu facilement l'idée que l'action sociale et médico-sociale coûte trop cher ou encore en nous pensant quittes dès que l'institution entre en scène.

Notes

(1)  Voir ASH n° 2280 du 11-10-02.

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